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Le rapport «I left to be closer to Allah»: ce qu'il faut savoir

Les auteurs du rapport ne font aucunement des débats sur la charte des valeurs la cause de la radicalisation de certains jeunes musulmans québécois.
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AFP/Getty Images

Tout récemment l'Institute of Strategic Dialogue (ISD), de Londres, publiait un rapport intitulé«I left to be closer to Allah». Learning about Foreign Fighters from Family and Friends. On y trouve les résultats d'une recherche portant, notamment, sur ce qui motive les milliers de combattants dits étrangers qui quittent famille et pays pour se joindre aux groupes jihadistes depuis le début de la guerre de Syrie. Ses auteurs, Amarnath Amarasingam, chercheur à l'institut susmentionné, et Lorne L. Dawson, professeur à l'Université de Waterloo, y accordent une attention particulière aux processus de radicalisation.

Le rapport a suscité nombre de réactions au Québec au cours des derniers jours. On ne saurait s'en surprendre puisque parmi les trois études de cas sur lesquelles reposent les conclusions que l'on y tire, l'une porte sur des jeunes hommes et femmes québécois qui sont devenus des combattants étrangers au sens du terme ci-dessus. Les réactions, en général négatives, ont été particulièrement virulentes du côté des chroniqueurs et chroniqueuses du Journal de Montréal. Richard Martineau, par exemple, reproche au rapport d'attribuer la radicalisation de jeunes musulmans aux discussions qui ont entouré la charte des valeurs en 2013 et 2014, plutôt qu'à des imams radicaux ou autres promoteurs de la guerre sainte (26 mai 2018). Mathieu Bock-Côté abondait dans le même sens trois jours plus tard, voyant lui aussi dans le rapport de l'ISD une mise en accusation de la charte des valeurs à titre de la cause de la radicalisation de certains jeunes musulmans. Pour sa part, dans une chronique intitulée Radicalisation : enquêtebidon, Denise Bombardier prête aux deux chercheurs de l'ISD l'intention d'instrumentaliser la société québécoise pour en faire la cause du malheur des musulmans (26 mai 2018).

Face à un tel tollé, d'aucuns seront portés à consulter « I left to be closer to Allah » afin d'identifier les passages qui ont déclenché l'ire des personnes susmentionnées. Or, ce que l'on y trouve ne justifie pas tous les propos enflammés résumés ci-dessus. En effet, les auteurs du rapport ne font aucunement des débats sur la charte des valeurs la cause de la radicalisation de certains jeunes musulmans québécois, chose que Denise Bombardier reconnaît d'ailleurs de manière indirecte. Leur argumentaire est autre, Amarasingam et Dawson identifiant le sentiment d'être en marge de la société québécoise qu'éprouvent certains jeunes musulmans comme la cause première de leur radicalisation. Or cette marginalité fondamentale, prennent-ils soin d'expliquer, provient d'abord et avant tout dans le for intérieur des individus concernés. Des facteurs externes interviennent bien sûr, mais en aval.

Les trois études de cas rapportées par les deux chercheurs décrivent, témoignages éloquents à l'appui, des jeunes aux vues religieuses et politiques radicales, voire marginales, qui troublent et inquiètent leurs familles, amis et milieux d'appartenance. Elles illustrent bien que c'est dans un deuxième temps que ces jeunes se marginalisent encore davantage, cette fois en réaction à des facteurs externes. C'est ici, d'après Amarasingam et Dawson, qu'intervient la charte des valeurs. À leurs yeux celle-ci constitue un facteur second qui solidifie les vues religieuses et politiques portées d'avance par ces jeunes. Ce faisant, la charte et les discussions qui l'ont entourée auront cristallisé, dans un premier temps, leur perception à l'effet d'être en marge de la société québécoise et, dans un second, leur désir de la quitter pour défendre et retrouver, en combattant en Syrie, ce qu'à leurs yeux ils ont perdu au Québec.

Il est donc inexact de conclure, comme le font Martineau et Bock-Côté, que le rapport de l'ISD attribue la responsabilité de la radicalisation de jeunes musulmans québécois au seul épisode de la charte des valeurs.

Il est donc inexact de conclure, comme le font Martineau et Bock-Côté, que le rapport de l'ISD attribue la responsabilité de la radicalisation de jeunes musulmans québécois au seul épisode de la charte des valeurs. Constitué des études de cas évoquées ci-dessus, le cœur du rapport propose une interprétation beaucoup plus nuancée. Hélas, cette dernière risque d'être obscurcie par certaines remarques formulées dans l'introduction de la section du rapport qui porte sur le Québec. En effet, Amarasingam et Dawson y disent ne pas vouloir s'aventurer à expliquer le pourcentage relativement élevé, lorsqu'on le compare aux pourcentages de cette population dans les autres provinces canadiennes, de jeunes musulmans qui quittent le Québec pour combattre en Syrie. Or, ils se rendent coupables du contraire. Ils énumèrent, sans nuancer leur statut, des explications invoquées par certains, notamment le postulat à l'effet que le Québec se démarque par son attitude anti-immigrants et xénophobe. On lit aussi que la province est souvent hostile, et de manière ouverte, à l'identité des jeunes musulmans, sans qu'il ne soit clair si cette affirmation reflète la pensée des chercheurs ou si l'on doit plutôt y voir un élément de la narration que ceux-ci font des perceptions des premiers. Qui plus est, les deux chercheurs affirment que la charte des valeurs a joué un grand rôle dans la politisation des jeunes musulmans québécois. La nuance entre politisation et radicalisation étant subtile, une telle affirmation était pour le moins risquée dans un rapport donc l'objet est, justement, la radicalisation d'une population déterminée.

Manifestement, ce sont ces remarques qui ont retenu l'attention des chroniqueurs susmentionnés, et non le cœur du rapport « I left to be closer to Allah ». Dans cette perspective, il est difficile de reprocher le prêt d'intentions que Denise Bombardier fait aux deux chercheurs de l'ISD, à l'effet qu'ils chercheraient à faire de la société québécoise la cause le malheur des musulmans. Il est dommage que les chroniqueurs du Journal de Montréal se soient en quelque sorte arrêtés aux remarques dont il est question ici, tout comme il est dommage que les auteurs du rapport aient eu la maladresse de les formuler.

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