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Le port de signes religieux: l’Europe à la rescousse

Cette approche établit un équilibre entre les droits des personnes et la neutralité que certains organismes pourraient chercher à affirmer.
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Le 9 mai 2018, la ministre de la justice du Québec dévoilait les lignes directrices pour les organismes publics visés par les demandes d'accommodements religieux. Comme l'on pouvait s'y attendre, les réactions ont fusé de toutes parts. Plusieurs les ont décriées, notamment les députées Agnès Maltais (PQ) et Nathalie Roy (CAQ) qui prédisent un chaos, rien de moins. D'autres, en revanche, y ont reconnu une approche qui pouvait difficilement être évitée. Il y a fort à parier qu'on en entendra parler, et souvent, pendant la campagne électorale de l'automne qui vient, et qu'il en ira de même pour le port de signes religieux, l'un des objets les plus controversés de ces demandes d'accommodements au Québec.

Or le 14 juin courant, un organisme torontois spécialisé dans le droit du travail et les droits humains, le Lancaster House, publiait une note intitulée Religious symbols in the workplace – is a blanket ban discriminatory? (Accessible ici pour les membres de Lancaster House) Dans celle-ci, on fait état d'une décision récente rendue par une cour européenne en rapport avec deux demandes d'accommodements religieux. En raison de ses objets mais aussi de sa teneur, cette décision pourrait bien contribuer à la réflexion en cours au Québec sur le port de signes religieux. En tous cas elle le devrait. Elle concerne les lieux de travail, mais elle comporte aussi des éléments pertinents pour la discussion au sujet du port de signes religieux en général.

La décision en question a été prise par la Cour européenne de justice le 14 mars 2017. Celle-ci a alors statué qu'une règle déjà établie, dans un milieu de travail, à l'effet d'y interdire le port de signes religieux dans le but de projeter une image de neutralité, ne viole pas la loi de l'Union européenne en matière d'équité en milieu de travail. La cour considère ce but objectivement légitime, pourvu que le moyen pour l'atteindre soit jugé approprié et nécessaire par la cour de l'état concerné. Du même souffle, la même cour a déterminé qu'un employeur ne peut exiger d'une employée – il s'agissait de femmes dans les deux cas sur lesquels porte sa décision - qu'elle retire son foulard en raison de la seule préférence de clients. En effet, une telle exigence ne constituerait pas un but légitime puisqu'elle ne serait fondée que sur les préjugés ou les attitudes de clients.

La même cour précise, par ailleurs, que l'interdiction du port de signes religieux, dans le contexte ci-dessus, n'est légitime que si elle ne concerne que le personnel qui interagit avec la clientèle.

De manière paradoxale puisqu'elle le fait en énonçant une restriction, la Cour européenne de justice affirme donc que :

  1. Le port de signes religieux, comme celui de signes manifestant une allégeance philosophique ou politique, fait partie des droits des personnes;
  2. Il ne peut être interdit, au sein d'organismes publics ou privés, qu'à des fins objectivement légitimes tel le désir de projeter une image de neutralité;
  3. L'interdiction ne s'applique qu'au personnel qui transige avec la clientèle;
  4. Dans le cas d'organismes qui ne se sont pas dotés de règles en la matière, on ne peut proscrire le port de signes au sens ci-dessus parce qu'un client en fait la demande;
  5. La cour précise, enfin, qu'une personne qui sert la clientèle au sein d'un organisme qui s'est doté de règles en matière de port de signes religieux, et qui souhaite continuer à porter une croix, par exemple, devrait être relocalisée dans un poste qui ne comporte pas une dimension de service à la clientèle, dans la mesure du possible.

On a souvent le réflexe, fort juste à mon avis, de référer à l'approche en vigueur dans d'autres juridictions lorsqu'une société fait face à des dossiers épineux. Dans le cas du port de signes religieux, la manière dont on gère la question en Europe est de temps à autre évoquée au Québec. Le faire de nouveau aujourd'hui, à la lumière du modèle qui sous-tend la décision prise par la cour susmentionnée, apporte un éclairage qui en fera sourciller plus d'un.

Celles et ceux qui ne veulent voir, nulle part dans leur environnement, l'ombre d'un signe religieux seront fort déçus par l'approche décrite ci-dessus.

Ainsi, celles et ceux qui ne veulent voir, nulle part dans leur environnement, l'ombre d'un signe religieux seront fort déçus par l'approche décrite ci-dessus. Il en va de même pour quiconque croit légitime d'exiger du propriétaire d'un resto qu'il oblige une hôtesse à enlever son hidjab parce qu'un client juge son port inapproprié dans une société laïque, ou voit en ceci un message qui ne lui plaît pas.

En revanche, celles et ceux qui estiment qu'il ne devrait y avoir aucune restriction en matière de port de signes religieux n'apprécieront peut-être pas que dans certains cas, des organismes publics ou privés peuvent interdire le port de signes religieux par leur personnel affecté au service à la clientèle. En sens inverse, celles et ceux qui espèrent que les fonctionnaires québécois se verront un jour interdire le port de signes religieux noteront que selon le modèle mis de l'avant par le Cour européenne de justice, l'interdiction ne vaudrait que pour les fonctionnaires en position d'offre de services.

La beauté, pour ainsi dire, de l'approche préconisée par cette cour réside dans l'équilibre qu'elle établit entre les droits des personnes et la neutralité que certains organismes pourraient chercher à affirmer. Elle propose un compromis dont la forme importe moins que ce qu'elle illustre, en l'occurrence la possibilité d'un compromis entre deux positions qui sont moins irréconciliables que leurs tenants ne semblent croire.

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