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Islam et Occident: soumission ou liberté

Le fait de vénérer la liberté ou la démocratie depuis deux siècles ne nous a empêché de remplacer les nobles par des milliardaires, l'Église par les banques et la parole de Dieu par les dictats de la bourse.
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Pour aborder l'islam, on peut partir d'un seul document, on ne peut plus officiel: la

Déclaration des droits de l'homme en islam. Ce document a été élaboré lors d'une conférence internationale et signé en 1990 par les représentants de 57 États, soit plus de 24% de la population mondiale.

L'article 1-a) se lit comme suit :

Tous les êtres humains forment une famille dont les membres sont unis par leur soumission à Dieu, et par le fait qu'ils descendent d'Adam. Tous les hommes sont égaux dans la dignité humaine, dans l'accomplissement des devoirs et des responsabilités, sans aucune discrimination de race, de couleur, de langue, de sexe, de religion, d'appartenance politique, de statut social ou de toute autre considération.

L'essentiel est là, aussi bien les éléments de convergence que de divergence avec la Déclaration universelle des droits de l'homme. On retrouve l'unité de l'humanité. En tant qu'espèce ayant une origine unique et en tant qu'entité de nature sociale, on affirme l'égalité de tous les humains et on rejette tout motif de discrimination.

Les éléments de divergence sautent aussi aux yeux. C'est la famille qui est le concept de sociabilité primordial. La soumission à Dieu n'est pas une invocation abstraite comme dans nos constitutions mais un principe actif de l'ordre social. Le caractère patriarcal de la société est marqué par la descendance reconnue seulement au père, Adam. Enfin, les droits humains sont associés à des devoirs et des responsabilités, pas à des libertés.

En simplifiant beaucoup, on pourrait dire que l'islam se réclame de la soumission tandis que l'Occident affirme la liberté des individus, ce qui semble confirmer nos perceptions ou nos préjugés. En y regardant de plus près, l'opposition est cependant moins radicale qu'on pourrait le croire. Pour y voir plus clair, il faut aller au-delà des images idéalisées que se donnent l'islam et l'Occident et comparer aussi les réalités vécues dans ces deux univers.

Dans nos représentations, nous sommes des individus libres et possédant des droits. Pour nous, la liberté est affirmée et célébrée, elle correspond à notre réalité vécue consciemment et elle est confirmée par l'étendue des choix qui nous sont laissés, le plus souvent en matière de consommation mais aussi dans nos choix de carrière, de partenaires de vie ou d'aventures, dans nos loisirs, etc.

Tout cela est bien beau, mais dans la vie réelle, il en va tout autrement. Aucune société ne peut fonctionner sans un ordre social. Alors, pour encadrer nos libertés individuelles, nous avons accumulé des montagnes de lois, de normes ou de règlements, et mis en place des armées de fonctionnaires et de policiers pour les faire appliquer. Qu'on pense seulement aux formulaires d'impôts, aux normes sanitaires ou de sécurité, aux contrats d'assurances, aux conventions collectives ou aux innombrables règlements municipaux.

La liberté est un luxe qui implique aussi la capacité de se payer les institutions qui la contrôlent.

Dans le monde islamique, mis à part les régimes extrémistes des talibans ou de l'État islamique, le principe même d'un ordre social fondé sur les lois divines implique un recours bien plus important que chez nous à des normes sociales intériorisées et sanctionnées par l'entourage immédiat. C'est un peu comme dans un village québécois d'autrefois, où nous étions plus soumis à la famille, mais moins contrôlés par des milliers de règlements. Une fois établi, un tel système fonctionne très bien, et à moindre coût.

Pour nous, toute idée de soumission volontaire est aussi intolérable que l'esclavage mais il faut admettre qu'on ne peut pas mesurer le poids réel des contraintes externes ou intériorisées dans la société islamique et le comparer à notre propre vécu parce qu'il y a toujours une importante composante de subjectivité.

Au-delà du rapport entre contraintes et libertés, se pose aussi la question du fondement transcendant du système islamique, soit la parole révélée d'Allah. Mais dans notre système, il y a aussi un principe transcendant: c'est la volonté de l'Argent.

Est-ce que le fait de vénérer «la liberté» ou «la démocratie» depuis deux siècles nous a empêché de remplacer les nobles par des milliardaires, l'Église par les banques et la parole de Dieu par les dictats de la bourse? Ne sommes-nous pas tout aussi soumis, et sans la moindre protestation, aux agences de cotation, aux banques qui contrôlent la dette publique ou aux multinationales qui ont établi leurs paradis fiscaux?

Nous acceptons ce pouvoir anonyme qui est encore plus dictatorial que la parole du Prophète parce qu'on ne peut même pas l'interpréter. Il faut simplement obéir. Des pays entiers, comme la Grèce, sont forcés de se mettre à genoux et leur seul droit est de rechigner.

Nos valeurs, nos mythes, tout ce qui nous tient lieu de religion nous pousse à croire qu'il vaut mieux nous soumettre au pouvoir des banquiers plutôt qu'à celui des ayatollahs, mais on admettra que c'est plus facile et plus normal dans une société comme la nôtre, une société riche de ce genre de pouvoir-là et entretenant depuis longtemps des rapports de domination sur le reste de la planète. Se pourrait-il que le régime des libertés soit aussi la culture de la classe dominante dans la société mondialisée?

L'islam et l'Occident ont élaboré leurs cultures au fil d'une rivalité qui s'étend sur plusieurs siècles. Il est normal que nos perceptions soient antagonistes. Nous réagissons à des images que nos projecteurs mettent en lumière mais les Lumières ont aussi pour effet de créer de l'ombre sur des pans entiers de la réalité. Nous croyons fermement que l'islam est irrationnel parce que fondé sur un principe transcendant, mais, en réalité, quand une part importante des décisions de ventes ou d'achats boursiers sont prises par des algorithmes, peut-être ne sommes pas si loin de la transcendance.

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