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Rapatriement de la constitution: la Cour suprême a laissé passer l'orage avec brio

Ne dit-on pas après tout que le temps arrange les choses? Pourquoi la Cour suprême du Canada aurait-elle jeté de l'huile sur le feu en disant que son ancien juge en chef, Bora Laskin, est un petit magouilleur? Elle n'avait qu'à laisser souffler la tempête, en s'assurant de bien fermer les volets.
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La Cour suprême a statué, il y a quelque temps déjà, qu'aucune anormalité n'avait entaché le travail des juges lors du Renvoi sur le rapatriement de la Constitution de 1981. Fallait-il s'en étonner? Il était impensable que cette institution séculaire mine délibérément sa propre légitimité. Le pouvoir de la Cour dépend en effet d'une idée, soit qu'elle a le pouvoir de statuer en dernière instance sur des questions juridiques, politiques et morales, et que ses décisions lient les parties impliquées dans le jugement, ainsi que toutes les parties affectées par celui-ci (ce qui peut potentiellement inclure tous les habitants et les gouvernements du Canada).

Cette idée se maintient quand les tribunaux jouissent de la confiance du public, et que cette confiance s'appuie sur l'impression de neutralité et d'impartialité que donnent la Cour et ses juges. Bien sûr, toutes sortes de mécanismes subtils, symboliques, existent pour renforcer cette idée que la Cour a le pouvoir de statuer de façon définitive sur nos vies. On peut penser notamment aux rituels de la Cour (qu'on doive se lever quand les juges entrent, les appeler votre «honneur», etc.), l'habillement pompeux des juges, le type de bâtisse à l'architecture impressionnante où siègent les juges à Ottawa, etc. De plus, le fait que les acteurs politiques ne la confrontent pas directement et qu'ils acceptent passivement ses décisions conforte d'autant plus sa légitimité. Enfin, le support de plusieurs groupes de la société civile, comme les facultés de droit, renforce aussi sa légitimité.

La légitimité vient donc de l'extérieur, elle est prêtée, elle n'est pas intrinsèque à la Cour suprême. On peut donc imaginer, théoriquement, que si une forte majorité de citoyens pensaient que la Cour n'avait pas la légitimité nécessaire pour trancher des litiges (par exemple, parce que tous les juges sont nommés par le gouvernement fédéral), ses décisions ne seraient alors que des mots, sans pouvoir, écrits sur des bouts de papier. Ses décisions passées deviendraient aussi suspectes, délégitimées. Cela laisserait en béance une institution fondamentale dans un régime fédéral comme le nôtre: l'arbitrage des différents constitutionnels entre les gouvernements provinciaux et fédéral. Une autre institution, devenue incontournable depuis 1982, ferait sentir son absence: l'interprétation et la hiérarchisation des droits et libertés (car aucun droit n'est absolu) présents dans la Charte canadienne.

Je ne dis pas que si la Cour avait fait preuve d'honnêteté et de transparence en confirmant qu'il y a eu apparence de partialité de sa part en 1981 et en 1982, ces conséquences seraient inévitables. Par contre, il y aurait nécessairement un flottement, un doute qui s'installerait. Et lorsque la Cour serait appelée à trancher une question épineuse, la partie perdante pourra invoquer le manque de partialité de la Cour, donc son absence de légitimité à se prononcer sur cet enjeu. Un parlement provincial, que la Cour obligerait à traduire toutes ses lois en français (comme ce fut le cas du Manitoba durant les années 1980), pourrait par exemple refuser d'obtempérer. Nous serions alors dans une crise politique et juridique.

Bref, il était évident que la Cour suprême ne pouvait que conclure que sa légitimité n'était pas entachée, le contraire eut été suicidaire de sa part: elle aurait miné son propre pouvoir qui dépend justement de sa légitimité. Mais, on peut s'étonner du silence qui règne depuis dans l'espace public québécois. Ce silence semble d'ailleurs confirmer que la stratégie de communication politique de la Cour suprême a été la bonne. D'abord un petit communiqué (du jamais vu!) disant qu'elle prend la chose au sérieux et qu'elle va enquêter, puis (coup de théâtre!) l'enquête interne des juges actuels sur d'anciens juges confirment que la neutralité et l'impartialité de la Cour suprême ne sont pas mises en cause.

Ne dit-on pas après tout que le temps arrange les choses? Pourquoi la Cour aurait-elle jeté de l'huile sur le feu en disant que l'ancien juge en chef, Bora Laskin, est un petit magouilleur? Elle n'avait qu'à laisser souffler la tempête, en s'assurant de bien fermer les volets, et attendre que l'orage soit passé. Ce qu'elle a fait avec brio. Elle comptait ainsi sur le mécanisme même des médias qui les pousse toujours dans une nouvelle direction à la recherche de l'inusité qui saura vendre et attirer une clientèle plus importante que le voisin. Et, il faut dire qu'en dehors des médias de masse, l'espace public est plutôt mince. De plus, la Cour a bien compris que, politiquement, la question nationale québécoise ne semble pas soulever les masses actuellement. L'absence de réaction à l'enquête non transparente et partiale de la Cour sur elle-même constitue un indice de ce manque d'intérêt.

Lucien Bouchard a bien tenté de nous fouetter le sang en montant aux créneaux. Mais, ce dernier, tout comme la classe politique québécoise à laquelle il a appartenu, tant souverainiste que fédéraliste, ne nous parle que d'économie et de déficits budgétaires depuis (trop) longtemps. Nous avons bien appris la leçon de Lucien Bouchard et des lucides et sommes maintenant collectivement démobilisés face à la question nationale. Si les élus représentent l'ensemble des intérêts d'une nation, comme le pensait John Stuart Mill, on peut conclure que le Québec a la passion politique d'un petit comptable. Et, les petits comptables s'inquiètent et s'animent quand les colonnes de chiffres ne balancent pas, tandis que les questions de philosophie politique comme la légitimité et le pouvoir les rendent apathiques et ennuyés. Lucien Bouchard ne peut donc nous reprocher cette fois de ne pas l'avoir écouté.

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