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Décote du Québec : la prophétie autoréalisatrice de Leitao?

Les risques d'une possible décote du Québec (donc d'une hausse de son taux d'emprunt) qu'évoquaient les libéraux alors qu'ils formaient l'opposition officielle, par leurs (in)actions, peuvent devenir une prophétie autoréalisatrice.
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En mai dernier, le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitao, prophétisait qu'en l'absence de mesures draconiennes, le Québec pourrait connaître la situation économique du Portugal qui, faute de pouvoir rembourser ses emprunts publics en 2010, a connu une forte décote de sa cote de crédit par les agences de notation et a perdu sa capacité d'emprunter sur les marchés financiers internationaux. Le Portugal a dû se résoudre, d'abord, à se mettre sous la tutelle de l'Union européenne (UE) et du Fonds monétaire international (FMI) qui ont accordé un prêt de 78 milliards de dollars, puis, à mettre en place un imposant plan d'austérité budgétaire qui a fait croître de manière importante les inégalités sociales.

À titre comparatif, en 2013, le taux de chômage au Portugal était de 16 % alors qu'au Québec il se situait à 8 %. Puis, toujours en 2013, la dette du Portugal s'élevait à 127,8 % de son produit intérieur brut (PIB) tandis qu'au Québec, elle représentait 49 % de son PIB. Fait intéressant, si l'on consulte The World Factbook, on découvre que de grandes puissances économiques font face à un endettement plus massif que le Québec, comme l'Allemagne (79,9 % de son PIB), les États-Unis (71,8 %), le Royaume-Uni (91,1 %) et le Japon (226,1 %). Quant à la croissance économique du Portugal, elle était de -1,8 % en 2013 et celle du Québec était de 1,1 %. Enfin, avec une cote de crédit de Aa2 que lui a attribué l'agence Moody's, le Québec n'a pas à s'inquiéter de sa capacité d'emprunt sur les marchés financiers internationaux, contrairement au Portugal qui a dû se tourner vers l'UE et le FMI pour ses emprunts.

La situation budgétaire du Québec était jugée stable par Moody's en 2013 qui considérait même cet État comme un des meilleurs gestionnaires de sa dette publique. L'ancien premier ministre et ministre des Finances Jacques Parizeau soulignait d'ailleurs en 2013 que la situation du Québec, loin d'être anormale, était au contraire tout à fait normale au plan comparatif avec les autres États, donc il n'était pas nécessaire de recourir à des politiques économiques d'austérité qui affecteraient les programmes sociaux québécois. De plus, les organismes très libéraux que sont le FMI et l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) mettaient en garde les États de se lancer dans des politiques économiques d'austérité alors que leurs économies étaient récessives et qu'on assistait à une montée des inégalités. Plutôt que de proposer un recul de l'État social, il suggérait d'en accroître le rayon d'action et l'efficacité tout en les finançant par des hausses de revenus.

C'est tout le contraire du gouvernement québécois qui sabre plutôt les dépenses et néglige d'augmenter significativement ses revenus. L'inertie de l'économie (donc la diminution ou la stagnation des revenus de l'État) et la montée des inégalités sont deux des effets attendus de cette politique d'austérité. De plus, en proposant de réduire de façon draconienne et irréaliste les dépenses de fonctionnement de l'État, le gouvernement du Québec soulève des doutes auprès des agences de notation quant à sa capacité d'atteindre ses objectifs. Les risques d'une possible décote du Québec (donc d'une hausse de son taux d'emprunt) qu'évoquaient les libéraux alors qu'ils formaient l'opposition officielle, par leurs (in)actions, peuvent devenir une prophétie autoréalisatrice. Par le budget Leitao, le Québec prend en effet le chemin du Portugal quant à la montée des inégalités, la dégradation du marché de l'emploi, la stagnation de l'économie, une hausse de ses taux d'emprunt et, corollairement, la détérioration des finances publiques.

Depuis 2003, tous les gouvernements du Québec ont proposé les mêmes solutions comptables et peu imaginatives pour juguler ses déficits et faire diminuer le poids de sa dette publique par rapport au PIB, et ce, sans succès, puisque notre situation économique et budgétaire n'aurait pas progressé de manière significative.

On le sait, le poste de dépense de la santé est le plus important avec 42,3 % du budget du Québec et est celui qui croît le plus rapidement puisque c'est là que la demande de services publics est la plus forte. La réduction du financement de ce secteur clé pour le bien-être de la population est une fausse solution qui risque de comporter des coûts sociaux et économiques plus grands dans un avenir rapproché. Le coût des médicaments est probablement un des facteurs qui pèse le plus sur la croissance des dépenses en santé et, à ce sujet, l'inaction des gouvernements est aberrante. Des mesures simples comme la renégociation des prix des médicaments avec les entreprises pharmaceutiques, ou plus ambitieuses, comme la création d'une société d'État qui fabriquerait à moindre coût des médicaments génériques sont deux solutions qui permettraient de contrôler le budget de la santé sans devoir diminuer l'offre de service et sans amputer la santé de la population. On peut penser aussi à une revalorisation des soins de premières lignes qui permettent de détecter tôt des problèmes de santé sans arriver au stade des interventions médicales plus importantes donc plus coûteuses.

Toutefois, le gouvernement fait fi de ses solutions pour rester dans ses ornières comptables sans ambitions et dénuées d'innovations qui ne marchent tout simplement pas. S'agit-il d'entêtement doctrinaire ou d'un manque d'intelligence économique? Il m'apparaît qu'il s'agit un peu des deux. Après tout, l'économie n'est pas une science exacte et, contrairement à ce qu'affirme l'« expert » du gouvernement libéral, Claude Montmarquette, l'austérité n'est pas la seule solution.

En fait, j'inviterais MM. Montmarquette et Leitao à relire leurs classiques de la pensée économique (et peut-être aussi les derniers rapports du FMI et de l'OCDE), notamment Friedrich Hayek pour qui l'économie, loin d'être une science exacte, était une « science morale ». Hayek avançait, dans La route de la servitude, que les approches uniques et doctrinaires relevaient d'une mécompréhension de cette chose fort complexe qu'est l'économie. Pour Hayek, bien loin d'être le doctrinaire apôtre du laisser-faire et de l'État minimal que la droite tente de lui faire incarner, le pragmatisme s'impose en économie, ce qui implique le rejet de toute solution unique comme l'est l'austérité que nous brandissent nos gouvernements ici et ailleurs dans le monde depuis des dizaines d'années.

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