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Croire que nous sommes nés pour un petit pain… d’hier à aujourd’hui

Se concevoir comme un grand peuple, fort, fier et ouvert. Voilà peut-être un des héritages importants de la Révolution tranquille que nous avons tous perdus.
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Le nouveau récit conformiste, morose et résigné qui l'a remplacé s'est tissé depuis les années 1980 autour de l'idée qu'il fallait être désormais «raisonnable».
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Le nouveau récit conformiste, morose et résigné qui l'a remplacé s'est tissé depuis les années 1980 autour de l'idée qu'il fallait être désormais «raisonnable».

Croire en la possibilité que l'on puisse collectivement faire de grandes choses. Penser que nous sommes destinés à de grandes choses. Se concevoir comme un grand peuple, fort, fier et ouvert. Voilà peut-être un des héritages importants de la Révolution tranquille que nous avons tous perdus.

Nous avons cessé collectivement de croire en ce grand récit. Nous sommes devenus vraiment modernes, nous sommes devenus conformistes!

Le nouveau conformisme néolibéral

Le nouveau récit conformiste, morose et résigné qui l'a remplacé s'est tissé depuis les années 1980 autour de l'idée qu'il fallait être désormais «raisonnable», «responsable» et s'adapter à la «réalité» économique, à l'heure de la mondialisation et de la précarité des finances publiques.

Voilà près de 40 ans que nos élites (économiques, médiatiques et politiques) nous martèlent le même message qui dit, en gros, que nous sommes effectivement nés pour un petit pain. Conséquemment, il faut se serrer la ceinture et se contenter des miettes que l'on peut se payer.

Dans la section «Affaires» de La Presse, en passant par l'Institut économique de Montréal (IEDM) et autres CIRANO, jusqu'aux principaux partis politiques (Lucien Bouchard et Philippe Couillard, même combat!), sans oublier le Manifeste des lucides, tous ont martelé le même message néolibéral. On nous a fait un lavage de cerveau collectif. Et ce n'est pas l'homme d'affaires François Legault qui y changera quoi que ce soit. Le nouveau premier ministre est un haut-parleur de ces lieux communs conformistes, égoïstes et médiocres.

Révolution et contre-révolution de palais

Après la Révolution française, il y a eu la Restauration, soit le retour des rois de la dynastie Bourbon. Le coup d'État et l'échec militaire de Napoléon ont soldés le sort de la Révolution.

Le Québec n'a pas connu les excès sanglants de la Révolution française, mais il a tout de même connu une transformation politique et sociale majeure. Les politiques de l'État québécois ont pris de l'ampleur. Elles étaient ambitieuses et généreuses.

Alors qu'aujourd'hui, nous sommes à l'ère des micromesures, des baisses d'impôt, de l'équilibre des colonnes de chiffres, de l'austérité et des subventions aux entreprises pour qu'elles exploitent nos ressources à bas prix, et ce, au nom du «développement durable». Une blague!

Le rattrapage collectif des années 1960 et 1970 aurait-il mené au repli individuel des années subséquentes, avec retraite garantie, golf et plages de la Floride?

Les années 1980 sont synonymes de croissance économique anémique: le nouveau pain créé était moins gros, et les nouveaux riches québécois voulaient toujours la plus grosse part.

Les nouveaux riches québécois – nourris aux ressources d'un État providence en pleine expansion – se sont retournés contre cet État, qu'ils trouvaient désormais trop coûteux, trop obèse, lorsque la croissance n'était plus au rendez-vous.

Il fallait le mettre au régime cet État, de manière à préserver et accroître leurs marges de profit, comme à l'époque des Trente glorieuses (1945-1975).

La restauration québécoise, elle, est synchronique d'une défaite politique majeure, le référendum perdu de 1980, mais n'a pas connu de coup d'État, au sens classique du terme.

On a plutôt assisté à une contre-révolution de palais, qui a vu la vieille garde politique être remplacée ou convertie aux vertus du nouveau management public, du langage de l'efficacité, de la flexibilité, de la performance, de la responsabilité individuelle, du conservatisme budgétaire et de la gestion entrepreneuriale de l'État.

Il fallait s'adapter de manière flexible aux désirs du marché... C'est dire à quel point il fallait se débarrasser des vieux privilèges d'hier, qui entravaient la route du progrès, comme la sécurité d'emploi ou la syndicalisation!

Monsieur Marché et ses caprices

S'adapter au marché... Voilà quelque chose de bien ésotérique, de mystique et de magique. Ce marché, cet «Être» à qui l'on prête une volonté, des intentions, des sentiments. Ne faut-il pas rassurer le marché? S'assurer de sa confiance? Ne se demande-t-on pas comment il va réagir ce petit capricieux, qui n'aime décidément pas tout ce qui se situe à la gauche du centre en politique?

Ce marché intègre surtout des hommes (et quelques femmes) qui prennent des décisions politiques et d'affaires de manière à maximiser les profits privés et diminuer les coûts sociaux (comme les taxes et impôts, les avantages sociaux, les règles environnementales, etc.) de l'enrichissement des déjà riches.

Ce programme de captation privée de la richesse collective est défendu sous la logique de la nécessité (le marché n'est-il pas une force de la nature?), mais aussi, à plus long terme, du bien commun (on le fait pour nos enfants, non?). Et l'on nous ressasse la même question: «Ne faut-il pas créer de la richesse avant de la partager?» Comme si nous n'étions pas déjà riches!

L'aspect création de richesse, ça on a compris le truc. C'est avec l'autre dimension, la distribution, que ça bloque.

Parce qu'on ne va quand même pas nourrir, loger et habiller les gens gratis!? Le culte du travail et du mérite prohibe ce type de générosité déplacé. Sans la menace de la misère, la population sombrerait sans doute dans l'oisiveté la plus crasse. Du moins, c'est ce que nos grands économistes libéraux bêlent depuis (trop) longtemps.

Et pour que la pilule de la réduction des services publics soit moins amère, on propose aussi à la majorité de la population de profiter, elle aussi, un peu du «dégraissage» de l'État, par de petites réductions d'impôt, qui ne font individuellement pas de différence, mais qui pourrait en faire une collectivement (en santé, en éducation, en environnement).

Bien pétrir les psychés

Bien sûr, il faut bien battre le pavé médiatique, ramollir les consciences et faire fondre les volontés, en rappelant constamment à la population qu'elle est née pour un petit pain, mais que si elle travaille très fort, comme les Ontariens ou les Japonais, alors, peut-être, sa part de pain sera plus grande.

La propagande continue, sans relâche. Elle se fait, par exemple, à coups de communiqués de l'IEDM, repris et commenté dans tous les médias. Des communiqués qui demandent – ô combien subtilement! – s'il ne faudrait pas revoir les gros monopoles publics de la vente des alcools ou de l'hydro-électricité.

Parce que monopole public, entre vous et moi, ça fait un peu totalitarisme d'un autre âge, non? Ça brime la «liberté de choix du consommateur» et ça prive nos nouveaux riches d'occasion d'affaires.

Bref, la boucle est bouclée, les élites d'aujourd'hui – notamment notre nouvel éteignoir en chef, François Legault – ont rejoint celles d'hier pour nous dire de ne pas avoir d'ambition, de ne pas croire en nos forces, que nous sommes petits, et que l'on peut si peu en ce bas monde.

Avant on nous disait de prier, aujourd'hui on nous dit d'espérer la croissance.

Je ne sais pas pour vous, mais moi ça fait longtemps que j'ai mis de côté la religion, catholique ou économique. Je n'aime pas ça, non plus, me faire constamment rouler dans la farine.

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