Pour qui Sandy va-t-elle voter, s'interroge Steve Max, 72 ans. Assis derrière la petite table de camping qui lui fait office de bureau, ce "semi-retraité" new-yorkais, bénévole dans l'un des clubs démocrates de l'Upper West Side, est plus que jamais circonspect.
"Au début, la tempête nous a semblée favorable à Obama", explique, sans cynisme, ce militant de la première heure. Sorte de Katrina inversé, Sandy a en effet renvoyé le candidat-président à son rôle de gestionnaire de crise, qu'à l'inverse de son prédécesseur, il a parfaitement assumé. Pas de photo à bord d'Air Force One survolant Manhattan. Un cliché de la salle de crise où les secours étaient coordonnés. Puis très vite une visite, sans cravate, au gouverneur du New Jersey. Et l'image d'une victime effondrée dans les bras du président. Le programme "environment friendly" du démocrate s'est en outre trouvé validé par la catastrophe, aussitôt attribuée au réchauffement climatique.
"Seulement maintenant, tout le monde attend que la situation s'améliore", poursuit Steve. "Et elle ne s'améliore pas". A l'ouverture des bureaux de votes mardi, plusieurs milliers de New-Yorkais étaient encore sans abri ou sans électricité, coupés du reste de la ville par un réseau de transports atrophié et des tunnels inondés. "Dans les jours qui ont suivi la tempête, nous sommes allés apporter des vivres aux habitants réfugiés dans une maison de quartier du Lower Esat Side", raconte Steve, ex-formateur, spécialisé dans l'encadrement associatif. Pour aider, bien sûr. Mais aussi pour convaincre que malgré l'intempérie et la victoire annoncée d'Obama à New-York, il est utile de voter. "N'ajoutez pas une catastrophe à l'autre", clame le dernier tract imprimé par les militants: "votez démocrates". Ou encore : "Mitt, est-ce ton Etat-riquiqui qui va remettre le métro sur les rails, payer pour les dégâts et remettre les commerces sur pieds?"
Si le désastre n'a rien enlevé à l'élan militant c'est "d'abord parce que nous croyons à l'importance du vote populaire", par opposition à celui du collège électoral qui détermine indirectement l'identité du futur président grâce au choix des grands électeurs, explique Steve. "Si vous remportez la présidentielle sans majorité populaire, il vous est très difficile de gouverner", explique-t-il. Les démocrates, qui s'attendent à un fort succès du ticket Romney-Ryan au Texas, jugent indispensable de le compenser par un plébiscite pro-Obama à New-York. Ensuite, "ce qui est critique, c'est le taux de participation", poursuit l'expert: "c'est pourquoi nous nous efforçons à convaincre le plus grand nombre d'électeurs, en particulier ceux issus de notre base démocrate, à remplir leur devoir électoral".
Dans le local de campagne où s'affairent, depuis plusieurs semaines, des dizaines de bénévoles du quartier, les posters "Obama'08" sont encore aux murs. Dans l'entrée trônent de grands panneaux, bientôt sortis sur le trottoir : ils sont piqués de pin's à l'effigie de la famille présidentielle ou du gros oiseau jaune d'"Un rue sésame", devenu l'emblème de la défense du service public. Et sur les tables alignées derrière la vitrine de ce local sans prétention de Broadway, des dizaines de téléphones. "Nous ouvrons chaque jour à quatorze heures", explique Steve, visage radieux et chemise impeccable. "Les volontaires commencent à passer des coups de téléphone aux électeurs de plus de soixante ans, qui sont le plus souvent chez eux à cette heure là". Et dans la soirée, ils appellent les employés, de retour du bureau.
Cible prioritaire pour ces bénévoles, rarement rentrés chez eux avant 21H00: les électeurs de l'Ohio, état indécis du Midwest. Et pour chaque appel, les mêmes lignes de dialogues, inscrites sur un "script" régulièrement actualisé: "Bonjour, pouvons-nous compter sur vous pour soutenir le président Obama?" Si le militant tombe sur un sympathisant démocrate : lui proposer de le conduire en voiture jusqu'au bureau de vote. Si l'électeur n'a pas encore choisi son candidat, cocher la case correspondante et lui dire : "Dans l'Ohio, la décision prise par le président Obama d'aider l'industrie automobile a permis de sauver un emploi sur 8". Enfin si l'électeur soutient "clairement" Romney: le rayer des listes, mise à jour quotidiennement, et clore "aimablement" la conversation.
"A ce stade de la campagne, je ne sais pas si ce sont les questions de fonds qui vont être déterminantes", regrette toutefois Steve Max. Pour lui -- comme en 2008 -- c'est la couleur de peau qui sera cruciale: "si les gens qui pensent que c'est bien d'avoir un président afro-américain vont voter, nous aurons un président afro-américain. Si ceux qui pensent que c'est épouvantable se déplacent, alors nous n'en aurons pas".
La politique, Steve connaît. Dès "sa plus tendre enfance", il a milité en famille pour les démocrates. A l'époque, le candidat s'appelait Roosevelt. Et Steve avait "quatre ans". Représentatif de cette "classe moyenne" qui s'est imposée dans chaque discours, chaque débat télévisé de la campagne, il n'en pointe pas moins l'instrumentalisation rhétorique. "Lorsque j'étais plus jeune, on parlait de classe ouvrière. Et tout le monde comprenait. Mais c'était trop marxiste, alors les gens ont cessé d'employer le mot". Avec la crise, "la classe moyenne et la classe inférieure ont fusionné et il ne reste plus que deux classes: celle des 99% et celle des 1%", à laquelle Romney est si fier d'appartenir, souligne-t-il.
Alors, à quelques heures du verdict, Steve n'espère qu'une chose: que chacun aille voter. Car "je ne sais pas si les Républicains peuvent gagner cette élection. Mais ils peuvent certainement la voler".
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