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Repas dans les CHSLD: mensonges au menu!

Un potage de légume fait maison coûte environ 35 sous la portion. Un foie de veau de 113 grammes, environ 1 $ pièce. Ajoutons un 35 sous de légumes et un dessert en plaque économique à 50 sous et voilà ! Ce menu, on vous dit que c'est une utopie depuis des mois, mais parole de restaurateur, c'est tout ce qu'il y a de plus réaliste.
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Le débat sur les repas dans les 447 CHSLD du Québec me fait bouillir le sang depuis ses débuts. J'avoue avoir essayé de ne pas me prononcer au nom de ma profession, puisque le secteur privé n'a pas bonne presse lorsqu'il adresse les problèmes sociaux. Or, avec le passage des intervenants en CHSLD à Tout le monde en parle ce dimanche ainsi que le stunt médiatique du ministre Barrette la semaine dernière , le devoir de rectifier les faits m'interpelle.

En effet, ce débat est très émotif et je le comprends. On juge une société par la manière dont elle traite ses aînés. Sachant qu'on manque de ressources pour simplement assurer l'hygiène des bénéficiaires, j'ai honte d'ouvrir le journal chaque matin et d'y lire sur le sujet. Il serait facile de blâmer les préposés et infirmières qui tiennent le système à bout de bras, mais force est d'admettre qu'une certaine paresse administrative existe dans le système.

Je ne me prononcerai pas sur les autres services puisque je n'ai pas l'expertise pour le faire. Par contre, l'aspect alimentaire est mon gagne-pain depuis huit ans et je sais qu'on peut nourrir nos personnes âgées adéquatement avec le 2,17 $ alloué pour les coûts des denrées dans les repas en CHSLD. Voici l'exemple d'un menu type qui respecte ces barèmes :

CHSLD du coin, menu du jour

Potage de légumes

Foie de veau, bacon et oignon, servi avec légumes frais et patate sans poudre.

Dessert

Un potage de légumes fait maison coûte environ 35 sous la portion. Un foie de veau de 113 grammes, environ 1 $ pièce. Ajoutons un 35 sous de légumes et un dessert en plaque économique à 50 sous et voilà !

Ce menu, on vous dit que c'est une utopie depuis des mois, mais parole de restaurateur, c'est tout ce qu'il y a de plus réaliste. Ce genre de menu, on vous le sert partout en super spécial à 9,99 $ dans une présentation soignée et professionnelle. Les mêmes produits aux mêmes coûts, mais une énorme différence dans la volonté de bien servir le client.

Est-ce que je vous propose une option 5 étoiles digne des plus grandes tables ? Bien sûr que non. Cependant, on parle d'un repas nourrissant et qui respecte le client. J'ai choisi le foie de veau même si c'est une option coûteuse à la portion, mais le prix baisserait avec des assiettes de pâtes ou végétariennes, par exemple.

Les gestionnaires en santé ne sont pas formés pour ce genre de combat quotidien.

En restauration, on apprend à faire plus avec moins. Les retailles de légumes esthétiquement imparfaites iront dans le potage. En découpant la viande nous-mêmes, on crée des retailles idéales pour un panini le lendemain. Est-ce qu'on fait vraiment un effort pour réutiliser les excédents alimentaires en CHSLD? J'en doute. Chaque dollar récupéré ainsi permet d'améliorer la valeur moyenne de chaque repas.

Demandez à n'importe qui dans le domaine, on vous dira que le nerf de la guerre, c'est la négociation serrée avec les fournisseurs sur les volumes et la variation des prix. Par exemple, une caisse de fraises de 8 kilos peut coûter 12 $ en été, mais 55 $ en plein hiver ! Avec une paresse administrative, aucune chance de s'adapter à la variation saisonnière.

Voilà le point où je veux en venir : les gestionnaires en santé ne sont pas formés pour ce genre de combat quotidien. C'est un art de se battre chaque jour afin de payer le moins cher en échange de la meilleure qualité. Ça l'est encore plus de gérer du personnel pas toujours fiable ou compétent dans des conditions stressantes. En CHSLD, le gestionnaire de la cuisine n'a probablement jamais géré autre chose que son garde-manger et n'est pas habitué à la négociation serrée et pratiquement violente au quotidien.

Je n'écris pas ce texte pour lancer des fleurs à mes collègues et moi-même, mais plutôt pour souligner qu'on n'a simplement pas le courage d'exiger plus des gestionnaires en santé. Bien qu'on coupe de plus en plus dans les services, les structures administratives restent toujours aussi lourdes et peu performantes. Quand on parle de brasser du papier, c'est une chose, mais gérer un service alimentaire duquel des bénéficiaires dépendent littéralement pour survivre, aucune excuse n'est valable. Sachant qu'un gestionnaire en santé peut gagner en moyenne environ 80 000 $, on est en position de s'attendre à un rendement exceptionnel sur l'investissement.

Enfin, je soulignerai que mettre en place une structure qui assure la qualité et l'efficience demande de l'effort. Il est plus difficile de cuire une viande adéquatement que de faire une bouillie indescriptible, c'est évident. Je sers en moyenne 400 clients par jour en leur offrant une qualité supérieure grâce à une culture entrepreneuriale dynamique et soucieuse du détail. C'est donc clairement possible.

La solution ? C'est simple : engager des gestionnaires avec une expérience solide, qui feront passer le client avant tout dans leurs décisions quotidiennes. J'en ai assez du standard syndicaliste qui empêche de blâmer les coupables quand vient le temps de changer les choses. J'en ai surtout assez de la complaisance des politiciens qui ont perdu le sens de la mesure et de la dignité pour nos aînés vulnérables et qui mériteraient ce qu'il y a de mieux.

Le ministère de la Santé devrait allouer plus d'argent aux repas, c'est clair. Celui-ci gère environ 38 milliards de dollars; ne me dites pas qu'on n'a pas l'argent nécessaire. Entre temps, cessez surtout de dire que la tâche de nourrir des humains dignement est impossible. C'est un mensonge.

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