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Six ans avant le 11 septembre 2001: l'opération Bojinka

Il s'agissait de préparer deux attentats majeurs: faire sauter 11 avions sur les lignes transocéaniques reliant l'Asie aux États-Unis, et assassiner le pape.
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Six ans avant le 11 septembre, l'opération dont le nom de code était Bojinka - diminutif de Dieu en langue russe- - était sur le point d'être lancée. Il s'agissait de préparer deux attentats majeurs : faire sauter 11 avions sur les lignes transocéaniques reliant l'Asie aux USA, et réussir là où le turc Mehmet Ali Akca avait échoué en 1981 : assassiner le pape.

Mis à part le cerveau du réseau de cette organisation terroriste, les trois comploteurs principaux étaient Ramzi Youssef, Mohammed Jamal Khalifa et Khalid Shaikh Mohamed; s'étaient joint à eux Abdul Hakim Murad, expert en explosifs, et Tariq Javed Rana, qui finançait les terroristes internationaux par ses ventes de drogue. Ces comploteurs pouvaient également puiser dans la pléthore de terroristes affiliés au Front de libération islamique des Moros aux Philippines, des volontaires pour des assassinats-suicide dont des pilotes prêts à s'écraser sur le quartier général de la CIA à Langley, des complices parmi les suprématistes blancs, des acolytes de la pègre, des contrebandiers et des banquiers véreux.

Avant la venue du pape Jean-Paul II, l'infrastructure terroriste était en place aux Philippines. L'insurrection des rebelles Moros luttant pour l'établissement d'un État islamique à l'intérieur du pays faisait rage; plusieurs de leurs otages avaient été décapités.

C'est pourtant ce pays que le pape Jean-Paul II choisit de visiter. Le plus grand rassemblement de catholiques dans l'histoire était prévu pour le début du mois de janvier 1995 à Manille. Les comploteurs y virent l'occasion opportune de lancer l'opération Bojinka. L'assassinat du pape devait détourner l'attention des services de sécurité et permettre aux terroristes de réussir une série d'autres attentats à la bombe planifiés contre onze vols de lignes transocéaniques.

Dans son article intitulé The Mastermind, Terry McDermott du New Yorker a relaté comment les conspirateurs convergèrent à Manille pour mettre au point les derniers préparatifs de l'assassinat du pape. Ils se logèrent dans des hôtels et des résidences différents et se rencontrèrent dans des centres d'achats, des bars et des clubs de karaoké dans le district manillais d'Ermita. Leur quartier général se trouvait dans la suite 603 de l'appartement Dona Josefa sis au 711, avenue du Président Quirino, à Malata, Manille. L'endroit leur convenait à merveille, car il se trouvait à seulement 200 mètres de la résidence choisie par les autorités philippines pour héberger le pape.

Les conjurés qui avaient eu accès à l'itinéraire confidentiel du pape fomentaient un assassinat-suicide contre le véhicule papal alors qu'il se rendrait à la conférence de la Fédération des évêques asiatiques au séminaire San Carlos en Guadalupe, dans la cité de Makati. Ils acquirent des cols et des robes de prêtres, des crucifix et des rosaires. Leur intention était de se faire passer pour des prêtres du tiers-monde venus participer à la Journée mondiale de la jeunesse, de se rapprocher le plus possible du pape, et de se faire sauter simultanément de façon à embraser tous ceux qui se trouvaient dans un rayon de 100 mètres.

En parallèle, les conspirateurs commencèrent à tester la sécurité aérienne en prenant plusieurs vols différents et en notant scrupuleusement toutes les mesures de sécurité. Leur objectif : placer des explosifs à bord. C'est ce qu'ils firent lors d'un test sur le vol 434 des lignes aériennes philippines sur la route joignant Manille aux Philippines à Narita au Japon, via Cebu. Ce fut Ramzi Youssef qui plaça la bombe et descendit à l'escale de Cebu. L'explosion tua un passager et l'équipage réussit quand même à manœuvrer l'appareil et le faire atterrir. Les comploteurs se promirent qu'une prochaine fois, ils placeraient les explosifs plus près du réservoir de carburant pour que personne ne puisse survivre à l'explosion.

Or, les terroristes ne savaient pas que leur complot avait été découvert. Car l'agent secret philippin Edwin Angeles, qui se faisait passer pour un des fondateurs du Front de libération islamique des Moros aux Philippines, avait infiltré des échelons supérieurs du réseau Abu Sayaf. Il collaborait étroitement avec Ramzi Youssef pour mettre au point l'opération Bojinka et faisait ses rapports à son supérieur des services secrets philippins, le colonel Rodolfo Mendoza.

Informé du complot, le président philippin Ramos décida de prendre des mesures extraordinaires pour empêcher que l'on assassine le pape et que l'on fasse sauter des avions de ligne. Il ordonna à l'agence de coordination nationale des services secrets de lancer une opération majeure pour endiguer le complot. Il conféra à cette agence l'autorité d'entreprendre des opérations publiques ou secrètes et d'engager la chasse à l'homme des comploteurs. Le chef de cette agence demanda au colonel Rodolfo Mendoza de prendre en main les opérations. C'était un maître-espion qui avait surveillé les réseaux terroristes aux Philippines durant plusieurs décennies et venait de produire un rapport ultra-secret sur le danger imminent.

Le colonel Mendoza étudia la liste des suspects directement impliqués. Il retint 128 personnes qu'il mit sous surveillance 24 heures sur 24. Il autorisa les enregistrements, les écoutes téléphoniques - y compris celles de leurs amies, dont l'une était une strip-teaseuse bien connue -, les vidéos des rencontres anodines dans les lieux publics, et ordonna également le suivi des comptes bancaires et des cartes de crédit des sympathisants locaux du réseau Abu Sayef.

C'est ainsi que le colonel Mendoza découvrit que les comploteurs étaient en contact avec la compagnie Konsonjaya Trading, qui avait été elle-même en relation avec Sheikh Mohamed, qui plaça des explosifs au bas des tours de la Bourse en 1991. En outre, la surveillance d'un homme d'affaires pakistanais connu sous le nom de Tariq Javed Rana permit d'obtenir des renseignements précieux sur le complot. Selon Avelino Razon, de l'organisme de sécurité philippin, cette personne finançait les terroristes grâce à des ventes de drogue. Elle avait été mise sous surveillance à la suite d'un rapport selon lequel certains factieux du Moyen-Orient planifiaient d'assassiner le pape lors de sa visite prévue pour janvier 1995.

Le filet semblait être fin prêt pour capturer l'ensemble de l'organisation, d'autant plus que le nombre d'indices allait croissant. Le pape atterrirait dans 6 jours.

Mais ce coup de filet du réseau fut interrompu lorsque Ramzi Youssef déclencha par inadvertance un feu alors qu'il maniait des explosifs dans la suite 603 de la résidence Dona Josefa. Immédiatement, les forces de sécurité et la police prirent d'assaut l'appartement. On y trouva l'ordinateur de Ramzi Youssef, les plans de la ville détaillant le trajet du convoi papal ainsi que les tenues de religieux avec lesquelles les comploteurs comptaient se déguiser.

Nombreux furent les conspirateurs arrêtés ce jour-là. Certains furent relâchés mystérieusement après quelques mois, d'autres s'évadèrent. Il y avait de quoi mettre en alerte les services secrets américains pour prendre des mesures préventives et prévenir l'attentat du 11 septembre 2001. En effet, et selon la chaîne de diffusion australienne ABC, l'interrogation d'Abdul-Hakim Murad permit d'apprendre qu'une seconde vague d'attaques viserait le chef-lieu de la CIA, le Pentagone, une centrale d'énergie nucléaire non spécifiée, la tour Sears de Chicago, les tours de la Bourse à New York, la Maison-Blanche et le Congrès américain.

Abdul-Hakim Murad fut jugé et emprisonné à vie. Ramzi Youssef était le neveu de Sheikh Mohamed qui plaça des explosifs au bas des tours de la Bourse en 1991; il s'évada en 1995, mais fut arrêté au Pakistan puis extradé aux USA. Il y fut condamné à l'emprisonnement à vie. Mohammed Jamal Khalifa était le beau-frère d'Oussama ben Laden; il coordonnait les opérations financières du réseau Abu Sayef. Il s'échappa avant que l'on ne puisse l'attraper et, selon le journaliste Fielding Nick du Guardian, il fut abattu par un commando américain en 2007. L'ingénieur en mécanique Khalid Shaikh Mohamed s'enfuit. Il fut capturé en 2003 au Pakistan puis extradé aux USA et emprisonné à Guantanamo. Il a reconnu sa responsabilité pour la décapitation du journaliste Daniel Pearl, le massacre au club de nuit de Bali et l'attentat déjoué de la chaussure piégée de Richard Reid ainsi que la participation à la planification des attentats du 11 septembre 2001 contre les tours de la Bourse de New York. Ce jour-là, deux avions Boeing bourrés de carburant s'écrasèrent contre les tours de la Bourse, tuant 2977 personnes.

Le script du 11 septembre avait été dévoilé aux enquêteurs... L'organisation chargée de l'opération Bojinka s'appelait Al-Qaïda et le chef d'orchestre de ses comploteurs s'appelait Oussama ben Laden. Étrange coïncidence: Ben Laden fut éliminé par un commando des Navy Seals américains le 1er mai 2011, jour d'anniversaire de la béatification de Karol Józef Wojtyła, alias Jean-Paul II.

Ce texte est cosigné par Erol Araf, consultant pour la compagnie de planification stratégique E&A et David Bensoussan, professeur de sciences à l'Université du Québec.

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