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Les nouvelles routes de la soie

La légendaire route de la soie qui évoque une imagerie romantique d'opulence, de raffinement, d'épices rares, et de caravanes traversant l'Asie d'Est en Ouest est en train de renaître sous plusieurs formes alors que la Chine tisse un réseau qui va changer la réalité économique et politique dans les prochaines décennies.
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La légendaire route de la soie qui évoque une imagerie romantique d'opulence, de raffinement, d'épices rares, de bazars exotiques et de caravanes traversant l'Asie d'Est en Ouest est en train de renaître sous plusieurs formes alors que la Chine tisse un réseau routier, ferroviaire et maritime qui va changer la réalité économique et politique dans les prochaines décennies. Un sommet réunissant 28 chefs d'état consacré à ce projet titanesque s'est tenu à Beijing le 14 mai 2017.

Connue également sous le nom de route des Oasis ou route des Steppes, cette voie de caravanes millénaire de près de 4000 kilomètres a mis en contact la Chine avec les pays de la Méditerranée. L'économie de troc permettait d'échanger des objets de bronze, des soieries et des pierres précieuses de Chine, des fourrures et de l'or de Sibérie, du jade, des tissus fins et des chevaux du Turkestan, des turquoises et des tapis de Perse, ainsi que les verreries de la Méditerranée orientale. Cette voie fut abandonnée vers le XVe siècle en raison des guerres turco-byzantines et du fait que de nouvelles voies maritimes vers l'Inde furent mises à profit.

La réviviscence de la route de la soie

L'initiative connue sous le nom d'OBOR (One Belt One Road : une ceinture, une route) rebaptisée BRI (Belt and Road Initiative : Initiative « La ceinture et la route ») est un projet économique intégrateur porté par la Chine couvrant 68 pays et près des deux tiers de la population mondiale. La Chine investit chaque année près de 150 milliards de dollars dans l'intégration dans une même infrastructure des routes, des voies ferrées, des voies maritimes, des pipelines et des ports qui vont constituer un nouveau moteur de la globalisation et vont agrandir considérablement l'influence économique et géopolitique de la Chine dans ces pays.

Deux routes de la soie terrestres sont en construction : la première passe par la Sibérie et la seconde par les pays d'Asie centrale. La Chine est devenue membre de la l'Organisation mondiale du transport routier, ce qui va permettre d'expédier des conteneurs partout en Europe sans passer par des inspections douanières.

Un train à garde vitesse reliant Beijing à Berlin est projeté. 21 voies ferrées font le lien ente 27 villes chinoises et 28 villes européennes. D'autres voies ferrées relient la province de Xinjiang à Téhéran, Haïfa à la vallée du Jourdain (en raison de l'instabilité qui prévaut au Moyen-Orient, les marchandises turques à destination des pays du golfe transitent par Israël), Eilat à Ashkelon (ce qui constitue une voie alternative au canal de Suez), Kars à l'Est et Edirne à l'Ouest de la Turquie.

Une voie maritime reliera la Chine à la Méditerranée via l'Océan indien et le canal de Suez. La Chine construit, acquiert ou loue des nouveaux ports en plusieurs endroits stratégiques: Kyaukphyu au Myanmar, Gwadar au Pakistan (46 milliards de dollars ont été investis dans le corridor Chine -Pakistan), Haïfa et Ashdod en Israël, Port-Saïd et Alexandrie en Égypte, Kumport en Turquie, Le Pirée en Grèce, Gênes et Naples en Italie, et Cherchell en Algérie. L'aéroport albanien de Tirana figure également au nombre de ce conglomérat.

En plus d'investir 120 milliards de dollars dans le secteur énergétique iranien, la Chine finance le gazoduc Asie centrale-Chine ainsi que le gazoduc anatolien acheminant le gaz azéri à l'Europe. La Chine a également entamé la construction d'un pipeline transsibérien, car un contrat d'approvisionnement de gaz à long terme pour un montant de 400 milliards de dollars a été signé avec la Russie.

Ces investissements sont une partie de ceux que la Chine entreprend dans le monde entier, tout comme dans les compagnies de haute technologie, mais aussi dans les infrastructures : exploitation de ressources naturelles en Afrique, TGV reliant Athènes à Budapest, autoroutes en Macédoine et au Monténégro, pont sur le Danube à Belgrade et bien d'autres encore.

Répercussions financières

Forte d'un capital de 100 G$, la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures prévoit qu'un investissement de près de 900 milliards de dollars ne constitue qu'une première étape et estime que 26 billions de dollars seront nécessaires pour couvrir les coûts des projets d'infrastructure d'ici 2030. En encourageant les échanges en yuan, il est possible qu'à la longue cette devise remplace le dollar américain dans les échanges internationaux ce qui affectera sérieusement l'économie américaine. Depuis 1944, l'économie mondiale est basée sur le dollar américain et est agencée par les institutions de Bretton Woods : la Banque mondiale (BM), formée de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et le Fonds monétaire international (FMI).

Répercussions politiques

Les routes de la soie pourraient avoir des conséquences bénéfiques qui dépassent le domaine de l'économie. L'influence économique grandissante de la Chine crée un état de dépendance qui pourra faire reculer des conflits. Ainsi, la Chine n'est pas intéressée à ce qu'un conflit s'engage dans le Golfe Persique, car elle importe de cette région un tiers de ses importations de gaz et la moitié de ses importations de pétrole; en outre, il est prévu que ses besoins doublent d'ici 2030. Il en sera de même au Cachemire au travers duquel passe une autoroute menant au Pakistan ou au Proche-Orient en raison des voies ferrées aboutissant en Israël.

On pourrait alors assister à la naissance d'un bloc eurasien et l'Europe n'aurait plus besoin de protection américaine.

Il fut un temps où l'on pensait à une alliance sino-américaine ou même à l'incorporation de la Russie à l'OTAN. Ce temps semble être révolu. L'Europe et les nations de l'Est de l'Asie ont besoin de l'Amérique pour faire face à la politique agressive de la Russie en Europe et de la Chine en mer de Chine. Imaginons qu'un arrangement mène à la finlandisation de l'Ukraine et que les relations entre l'Union européenne et la Russie reviennent à la normale. On pourrait alors assister à la naissance d'un bloc eurasien et l'Europe n'aurait plus besoin de protection américaine. De fait, l'Allemagne perd 300 000 emplois en raison des sanctions économiques contre la Russie à la suite de l'invasion de la Crimée. Bien des industriels allemands verraient d'un bon œil une entente commerciale eurasienne même si elle se faisait aux dépens de l'Amérique.

Dans le Pacifique, Obama avait tenté de ratifier l'accord de partenariat commercial transpacifique (TPP : Trans-Pacific Partnership) qui excluait la Chine. De la même façon, le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP : Transatlantic Trade and Investment Partnership) excluait la Russie. Le nouveau président américain a retiré la participation américaine de ces deux traités pour les remplacer par des traités bilatéraux qui n'ont pas la vision ou l'envergure des nouvelles routes de la soie. En parallèle, l'Organisation de coopération de Shanghai se consolide : c'est un organisme de concertation qui réunit de nombreux pays asiatiques (Chine Russie, républiques d'Asie centrale) et qui vient d'admettre l'Inde et le Pakistan en son sein.

Répercussions militaires

L'industrialisation massive de la Chine - sans égard pour les incidences écologiques - s'accompagne d'une modernisation de l'armée. La Chine loue une île de l'archipel des Maldives et construit une base militaire à Djibouti. L'affirmation militaire actuelle en mer de Chine est prématurée, car d'ici une à deux décennies, elle pourra s'imposer d'elle-même tant l'influence chinoise sera envahissante.

Une entreprise risquée

Ce défi du siècle est parfois surnommé OBOT (One Belt One Trap : une ceinture un piège) plutôt qu'OBOR en raison des risques qu'il comporte. Plusieurs états et institutions financières hésitent à investir dans des projets dont la viabilité économique n'est pas assurée, compte non tenu du fait que la majorité de ces projets tendent à faire appel à une main d'œuvre exclusivement chinoise. Les risques potentiels incluent le recours à la violence d'indépendantistes ouïgours et l'évolution des manifestations de mécontentement sporadiques à Hong Kong. Certains gouvernements des pays directement concernés par les routes de la soie peuvent renier les accords ratifiés par leurs prédécesseurs. L'instabilité n'est pas à écarter dans les républiques d'Asie centrale, en Afghanistan et en Turquie; en outre, la mouvance djihadiste n'a pas été éradiquée au Proche-Orient.

Tour de force ou gageure ? La Chine parie que dans l'ensemble, le projet deviendra porteur.

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