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Le Canada et la nouvelle guerre de Cent Ans

L'histoire du dernier demi-siècle démontre que toutes les interventions de l'Occident dans le monde musulman n'ont débouché que sur des fiascos. Bombarder les problèmes ne les fait pas disparaître, nous devrions le savoir.
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Éliminer la violence islamiste, d'accord, mais ni Stephen Harper, ni Barak Obama n'ont fait la démonstration que la nouvelle guerre en Irak et en Syrie va permettre de juguler la menace des barbares du jihad. En fait, l'histoire du dernier demi-siècle démontre que toutes les interventions de l'Occident dans le monde musulman n'ont débouché que sur des fiascos. Bombarder les problèmes ne les fait pas disparaître, nous devrions le savoir.

On oublie souvent que l'essor des islamistes a longtemps bénéficié des encouragements occidentaux. Le premier flirt de l'Occident avec l'islamisme remonte à 1967. Soucieux de se débarrasser du nationalisme palestinien, nassérien et laïc, les Israéliens et les Américains ont fermé les yeux devant le financement des Frères musulmans par les Saoudiens, dans l'espoir de les voir proliférer dans la Cisjordanie fraîchement occupée et de couper l'herbe sous les pieds de Yasser Arafat et de l'OLP. On connaît la suite, la radicalisation du Hamas et des guerres à n'en plus finir.

Les apprentis sorciers ont récidivé au milieu des années 90 lorsqu'il s'est agi de chasser les Soviétiques d'Afghanistan. Washington a joué alors la carte des islamistes, via les militaires pakistanais et leur dictateur intégriste, le général Zia-ul-Haq. Résultat : les talibans, Al Qaeda, Ben Laden, le 11 septembre et le reste.

La première intervention militaire directe des Américains et de leurs alliés remonte à 1990, lors de la guerre du Golfe contre l'Irak de Saddam Hussein. Sous mandat de l'ONU, ce conflit a permis la restauration de la souveraineté du Koweït, mais le dictateur irakien s'est maintenu au pouvoir. Le régime de sanctions internationales qui a suivi devait accélérer la désintégration de la mosaïque irakienne et préparer le chaos contemporain.

N'oublions pas non plus l'implication canadienne en Somalie, en 1992, dans le cadre de l'intervention militaire onusienne sous commandement américain. Un quart de siècle plus tard, l'échec est total. La guerre n'a jamais cessé, la Somalie est un État-voyou avec des troupes internationales enlisées, des bases de terroristes qui perpètrent des attentats dans toute l'Afrique de l'Est et de minis États mafieux, reconnus par personne, le Puntland et le Somaliland, refuges de pirates qui écument la moitié de l'Océan indien.

Le fiasco afghan est lui aussi patent. Les attentats du 11 septembre 2001 ont entraîné, on s'en souvient, l'occupation américano-britannique, puis onusienne et canadienne, de l'Afghanistan. 14 ans plus tard, les talibans n'ont pas été vaincus. On négocie même avec eux, et certains prédisent leur retour au pouvoir. La démocratisation promise n'est qu'une farce, la corruption, les violations des droits humains sont endémiques et le nouveau gouvernement du président Ashraf Ghani regorge de trafiquants de drogue et de criminels de guerre. Bref, on peut légitimement se demander si 158 de nos soldats canadiens ne sont pas morts pour rien.

On en parle peu chez nous, mais c'est en 2002 qu'a commencé un des nouveaux fléaux contemporains, la cyberguerre, avec le début des attaques aériennes contre les islamistes du Yémen. 12 ans plus tard, les États-Unis bombardent toujours tout ce qui bouge, vrais combattants et infortunés civils, précipitant les populations dans les bras d'insurgés plus forts que jamais.

On connaît mieux la guerre d'Irak de 2003, l'occupation américano-britannique à laquelle Jean Chrétien a eu la sagesse de ne pas s'associer. « Mission accomplie », avait proclamé alors un peu rapidement le président Bush. 11 ans plus tard, c'est le chaos total et le retour à la barbarie sur le tiers du territoire.

2011, l'éléphant occidental (et canadien) est à nouveau entré dans un magasin de porcelaine pour renverser à coup de bombes le dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Considérant que les ennemis de nos ennemis sont nos amis, l'OTAN s'est appuyée sur n'importe quelle milice armée, y compris les jihadistes. Trois ans plus tard, la Libye est un État voyou, incontrôlable. La catastrophe s'est propagée au Mali et dans plusieurs états au sud du Sahara où, malgré une intervention militaire française, les islamistes réapparaissent comme les champignons après la pluie.

Est-ce à dire qu'il faut se laver les mains de la montée des jihadistes qui sévissent du Nigéria au Cachemire en passant par le Croissant fertile ? Non, mais si on veut changer le cours de l'histoire, il faut s'attaquer aux causes de cette barbarie. Il nous faut d'abord regarder chez nous. Nos sociétés ont généré des, milliers de volontaires pour le jihad armé. Nous devrions donc nous poser des questions non seulement sur la qualité de nos services de sécurité, mais aussi sur les sentiments d'exclusion qui suscitent ces vocations morbides, sur la faillite de notre enseignement des valeurs démocratiques, sur notre propre ethnocentrisme.

Autre problème que nos pays refusent de regarder en face, la perpétuelle humiliation des peuples musulmans face au soutien inconditionnel de l'Amérique, du Canada et des autres au régime d'apartheid qui sévit en Israël. Il faut couper les vivres à Netanyahu et forcer Israéliens et Palestiniens à résoudre honorablement leur demi-siècle de conflit. La Suède s'apprête à reconnaître l'État palestinien, nous devrions l'imiter. Cela contribuerait considérablement à assainir l'atmosphère.

Refusant les leçons de l'histoire, le gouvernement Harper a choisi de s'aligner sur les objectifs à court terme de l'administration américaine. Obama n'a aucune stratégie crédible, sauf celle de taper n'importe comment pour gagner les élections législatives de novembre en jouant les matamores. Champion de la guerre-jeu vidéo, Mr Yes-we-can veut faire croire à son peuple que les É.-U. peuvent contrôler le monde à partir du ciel, grâce aux drones, aux robots guerriers et aux jets de combat, sans mettre les pieds au sol. Si cela ne marche pas au Yémen, en Somalie ou dans les provinces frontalières du Pakistan et de l'Afghanistan, pourquoi cela fonctionnerait-il en Irak et en Syrie?

Qu'aurons-nous réglé en ajoutant nos quelques avions à cette guerre ? Rien. Alors, pourquoi nous porter volontaires dans un engrenage qui ressemble de plus en plus à une nouvelle guerre de Cent Ans?

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