Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Anticosti, ou l'indifférence

C'est trop froid, trop loin, ce qui explique que la plupart des gens n'ont jamais profité des beautés étranges de l'endroit.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

La préoccupation première de la plupart des politiciens est de se faire élire ou réélire. Par conséquent, les gestes qu'ils posent (ou ne posent pas) reflètent cette préoccupation. Or, pour se faire élire ou réélire, il faut des votes. Et c'est bien connu, les arbres, les bélugas et l'île d'Anticosti ne votent pas. Ce sont seulement les citoyens qui votent. Ce qui fait qu'idéalement, les politiques reflètent les préoccupations des citoyens, ce qui est une bonne chose.

Ce qui fait aussi que si le citoyen n'a pas ou a peu d'intérêt envers l'environnement, le politicien ne posera aucun geste pour l'environnement. Il s'ensuit que l'environnement sera exploité sans ou avec très peu d'égards pour la conservation.

L'indifférence du public et des politiciens à l'égard d'Anticosti, ou encore les virements à 180 degrés dans les décisions politiques qui concernent l'île, illustrent très bien l'attitude de notre société envers la chose environnementale.

Une méconnaissance profonde explique cette indifférence ou le virement subit du gouvernement Couillard à l'égard de l'exploitation des hydrocarbures sur Anticosti. Le citoyen moyen n'a pas accès à Anticosti, c'est un endroit mal connu, dont l'accès est à un coût prohibitif.

Dans l'esprit de plusieurs, c'est trop froid, trop loin, ce qui explique que la plupart des gens n'ont jamais profité des beautés étranges de l'endroit.

Pourtant, Anticosti, c'est un très ancien banc de corail qui effleurait la surface d'eaux tropicales il y a plus de 300 millions d'années. C'est un endroit où on n'a qu'à se pencher pour ramasser des fossiles à la pelle ; où les chevreuils se nourrissent de sapin et de lichen, quand ils ne fouillent pas dans les poubelles du petit hôtel de Port Menier ; où une famille de renards argentés trottine sans peur vers le visiteur ; un endroit parsemé de «pools» de saumons ; où la chute Vauréal, plus haute que les chutes Niagara, forme une grotte cloisonnée par un rideau liquide digne des décors de Blue Lagoon.

Est-ce qu'une quelconque agence de voyage, un organisme touristique, gouvernemental ou privé, parle de quoi que ce soit de tout cela? Pourquoi alors le citoyen moyen, pris dans le tourbillon de la vie quotidienne, qui a deux semaines à un mois de vacances par année, s'intéresserait-il au sort d'Anticosti? Il n'a aucune raison.

Qui connaît l'origine de Port Menier, le minuscule village d'Anticosti? À la fin du 19ème siècle, Henri Menier, un industriel français, roi du chocolat, avait acheté l'île au complet, avec ses habitants et leurs maisons. Les habitants devenaient ses locataires, ou plutôt ses vassaux ; en retour, il leur garantissait un emploi. Menier s'est ainsi créé une sorte de petit royaume comprenant un immense terrain de chasse privé. Il s'est fait ériger un petit palais (en bois) dans lequel il siégeait (sur un trône) et avait édicté des lois auxquelles ses sujets devaient se plier.

À l'apothéose de son «règne», il a déclenché une querelle entre Ottawa, le Royaume-Uni et la France : une petite communauté de Terre-Neuviens, établie sur la côte nord de l'île, refusent l'offre d'achat de Menier, et le bras droit de Menier s'acharne sur eux. Menier importe aussi 150 chevreuils de la région de Montmagny pour garnir son terrain de chasse. Le nombre des bêtes augmente rapidement, à tel point que la végétation s'épuise. Ceci explique l'aspect bizarre de la forêt actuelle, une sorte de parc jurassique où les troncs des arbres sont dénudés à partir du sol jusqu'à la hauteur de la tête d'un chevreuil, et le sol du sous-bois ressemble à une pelouse de banlieue bien entretenue.

Ce sont les mêmes raisons qui expliquent le désintérêt du citoyen et du gouvernement à l'égard des espaces naturels au Québec, le manque d'accès étant le plus important.

D'abord, sur une base quotidienne, le citoyen met rarement, sinon jamais, les pieds dans un espace naturel. Entre le travail et la maison, il y a la ville, la rue, l'automobile, l'autobus, le métro. Et puis c'est tout.

Ensuite, la forêt est rare, du moins dans la région métropolitaine de Montréal (et c'est là que vit presque la moitié de la population du Québec). Par exemple, en Montérégie, 80 % de la forêt originale a disparu. Partout au Québec, mais surtout autour de Montréal, l'accès aux rares espaces de forêt publique est onéreux depuis que la SÉPAQ a reçu le mandat de s'autofinancer.

Par exemple, l'accès aux parcs de la SÉPAQ pour le ski de fond (Saint-Bruno, Orford ou Oka) coûte plus de 200 dollars par saison par adulte, un coût exorbitant pour une famille moyenne.

Par contraste, et de façon surprenante, le pays où la forêt est la plus privatisée parmi les pays développés offre l'accès libre à ses forêts à tous ses citoyens pour le loisir, sous la seule restriction de ne pas causer de dommages en vertu d'une loi datant des années 1930. Ce pays, c'est la Suède (oui je sais, encore les pays scandinaves...). C'est en grande partie à cause de cette accessibilité que les Suédois accordent autant d'importance à l'environnement.

Malheureusement, l'inverse est vrai : l'inaccessibilité des espaces naturels explique l'indifférence qu'on voit ici, à la fois de la part des citoyens et des politiciens. Il faut que cette situation change.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Photos de l’île d'Anticosti (tirées du documentaire de Dominic Champagne)

Photos de l’île d'Anticosti (tirées du documentaire de Dominic Champagne)

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.