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Apportez-moi la tête de Lara Crevier! de Laurent Chabin: médaille du polar

Dans un immeuble délabré de Westmount, à la frontière du quartier Saint-Henri, le cadavre d'une femme est découvert. Il n'y manque qu'un morceau. La tête. Ainsi commence la passionnante enquête élaborée par Laurent Chabin,
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Dans un immeuble délabré de Westmount, à la frontière du quartier Saint-Henri, le cadavre d'une femme est découvert. Il n'y manque qu'un morceau. La tête. Ainsi commence la passionnante enquête élaborée par Laurent Chabin, Apportez-moi la tête de Lara Crevier !

Les journalistes se déchaînent sur ce fait divers et mettent la pression sur le Service de police de la Ville de Montréal. La victime est rapidement identifiée : une certaine Lara Crevier, étudiante en maîtrise à l'Université de Montréal. Le lieutenant-détective Donnola, chargé de l'enquête, va casser sa pipe sur le reste de l'histoire. Il ne trouve pas la tête, les indices tournent court et son incompétence à résoudre l'énigme va lui coûter cher. Dans l'ombre, Christian Dausty, étudiant français et ami de Lara, remonte la piste et parvient à des résultats surprenants.

Le polar commence sur les chapeaux de roue avec ce cadavre sans tête. La narration alterne entre la voix de l'inspecteur de police, celle de l'étudiant et quelques passages écrits de la main de la victime. Ces trois versions nous donnent l'irrépressible envie de tourner les pages.

Mais voilà qu'après quelques chapitres, LA découverte : le policier Donnola et l'étudiant français anarchiste ont la même voix. Si, si. On change de personnage, mais on conserve le même ton. Erreur de débutant, ai-je pensé, que cette incapacité à faire vivre plusieurs personnages crédibles à la fois. Hop, on met un masque de flic et on matraque la canaille. On change de visage et vlan, contre les curés, contre les forces de l'ordre. Même façon de décrire l'ennemi d'en face, même haine dans toute son impureté. Sur le coup, sans blague, j'ai eu l'impression d'avoir inventé le beurre, et même le beurrier, tant qu'à y être. Vous savez cette impression d'eurêka si rare, si jouissive, grâce à laquelle on se sent, sinon brillant, du moins heureux?

Mais plus j'avance dans ce roman noir, plus le doute m'envahit. Et si ma découverte n'était qu'un leurre... L'énigme de ce cadavre sans tête trouvé dans un appartement est attrayante, au cœur du riche Westmount, avec ce propriétaire foncier scabreux. Cet étudiant qui rêve à la « révolution » du printemps érable, au port ostentatoire du carré rouge et au tintamarre perpétuel (difficile de faire plus proche de l'actualité). Et toujours cette voix entêtante. Un certain moment, j'ai compris où m'amenait ce diable d'auteur que je lis pour la première fois. Erreur d'amateur, avais-je pensé? Nenni! Ce ton unique pour deux personnages distincts est voulu, désiré, travaillé. Deux côtés d'une même médaille. L'auteur, sans appuyer, comme une vague de fond, démontre le pile et face du même univers. Canaille ou policier, pareil, une haine qui s'inverse, mais qui prend sa source au même puits. Une démonstration d'une qualité extraordinaire qui demande un contrôle total sur son art. Laurent Chabin m'est arrivé!

La manière bien personnelle de développer la thématique est pour le moins fascinante. D'abord, je le répète, le jeu du miroir entre l'inspecteur Donnola et l'étudiant forme le tout premier paradoxe sur lequel le reste du polar va s'appuyer, mais cela va encore plus loin, puisqu'à la disparition de la tête de Lara Crevier, s'ajoutent quelques fragments de textes tirés d'une sorte de journal intime de la victime. Des écrits transgressifs, teintés de sexualité morbide. L'ombre de cette Lara continue à rôder dans les rues de la ville et à l'université. Un autre miroir qui réfléchit la morte et la revenante. Cette vie qui s'est éteinte, mais est elle bien morte, cette tête ayant disparu, était-ce la sienne...

Apportez-moi la tête de Lara Crevier ! de Laurent Chabin possède une voix unique. Il titille, suscite, suggère dans un langage simple et accessible. Les mots sont justes et renvoient à des images obsédantes. C'est une qualité assez rare (pensez Senécal en version moins gore et plus poésie noire). Laurent Chabin se révèle être un narrateur envoûtant.

L'écriture est lumineuse, tout en contre point. Un alliage résistant d'humour et de macabre. Vous ai-je dit que ce roman était bon?

Laurent Chabin, Apportez-moi la tête de Lara Crevier!, Éditions Libre Expression / Noire. Mai 2014. 330 pages. Aussi disponible en version électronique.

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