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Enfin une loi sur la laïcité

Il faut se réjouir que ce soit le principe de laïcité qui prévaut dans la loi plutôt que la simple neutralité, qui est l'un des éléments de la laïcité comme en témoigne la définition retenue dans la loi.
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La loi devrait également s'appliquer aux écoles privées et aux centres de la petite enfance.
Canadian Press
La loi devrait également s'appliquer aux écoles privées et aux centres de la petite enfance.

Il y a plusieurs raisons de se réjouir du projet de loi 21 sur la laïcité de l'État qui vient d'être déposé par le gouvernement du Québec. Si le Mouvement laïque québécois réclame depuis 38 ans une telle loi affirmant le caractère laïque de l'État, on peut faire remonter jusqu'à la Déclaration des Patriotes, qui affirmait la séparation des Églises et de l'État, cette revendication républicaine. Ce caractère sera désormais affirmé dans la Charte des droits et libertés; les libertés fondamentales devront s'exercer dans «le respect de la laïcité». Il est à souhaiter que l'ensemble des autres lois soit révisé afin de les rendre conformes à ce principe.

Il faut se réjouir que ce soit le principe de laïcité qui prévaut dans la loi plutôt que la simple neutralité, qui est l'un des éléments de la laïcité comme en témoigne la définition retenue dans la loi. En dehors de la laïcité, la neutralité simple peut donner lieu à de la multiconfessionnalité, comme par exemple la récitation d'une série de prières de toutes les confessions alors que la laïcité commande de n'en réciter aucune.

Il faut accueillir avec un grand soulagement la motion adoptée à l'unanimité visant le retrait du crucifix de l'Assemblée nationale et c'était là le premier geste à poser.

Cet objet de culte a été placé là par Maurice Duplessis pour marquer l'alliance entre l'État québécois et l'Église catholique. Il s'agit donc d'un symbole totalement opposé à la laïcité, laquelle exige la séparation de l'État et des religions. Les élus ne pouvaient demander aux employés de ne pas porter de signes religieux si l'enceinte de l'État conservait le sien. C'eut été envoyer non seulement un message contradictoire, mais un message affirmant que la laïcité c'est pour les «autres».

Jugement de la Cour suprême

Le projet de loi comporte deux mots essentiels: l'article 3 stipule que les principes sous-jacents à la laïcité doivent être respectés par les institutions publiques «en fait et en apparence». Ceci est tout à fait conforme aux exigences du jugement de la Cour suprême obtenu par le Mouvement laïque québécois dans sa cause contre les prières municipales à Saguenay. La cour affirmait de façon claire et nette que la neutralité religieuse devait être «réelle et apparente» et que cela s'appliquait à tous les représentants et agents de l'État. Une institution publique où tous les acteurs afficheraient leur appartenance religieuse ne pourrait évidemment pas être d'apparence neutre.

Ceux qui soutiennent ad nauseam que ce sont les institutions qui doivent être laïques et non les individus auraient intérêt à lire ce jugement qui, à ce jour, est celui qui a le plus clairement établi ce que doit être la neutralité religieuse de l'État. Plusieurs juristes, dont l'ex-bâtonnière de Montréal Julie Latour, ont souligné que la Cour suprême avait «tracé la voie d'une neutralité religieuse de l'État qui doit être clairement incarnée dans ses représentants».

Voici ce qu'en disait l'avocat Michel Leclerc dans Le Devoir du 15 février dernier: «En droit administratif, l'État est une entité politique dotée de la personnalité juridique. Une personne morale. L'État n'agit, ne se manifeste, n'existe qu'à travers les personnes physiques qui l'incarnent. (...) Sans les députés, les juges, les ministres, les fonctionnaires, les enseignants, les infirmières, les maires, les commissaires d'école, les greffiers, les gardes-chasses ou les inspecteurs de l'Environnement, il n'y a pas d'État. L'État ne se manifeste qu'au moyen de ses représentants et de ses représentations. Sa "signalisation", qu'elle soit symbolique ou routière, doit elle aussi montrer sa neutralité».

Les écoles privées et les CPE

Ceci dit, le projet de loi comporte de nombreuses limitations qu'il faudra voir à corriger. D'une part, il nous parait impensable que la laïcité ne s'applique pas aux municipalités, alors que le jugement de la Cour suprême sur la neutralité religieuse visait essentiellement les municipalités. Quoi qu'en dise la mairesse de Montréal, Valérie Plante, c'est à Montréal que ce principe devrait prioritairement s'appliquer étant donné le milieu très pluraliste de la métropole.

La loi devrait également s'appliquer aux écoles privées et aux centres de la petite enfance. L'argument du premier ministre François Legault, voulant que la loi ne s'applique pas à ces établissements parce que le personnel n'est pas employé par l'État, nous apparait inopportun.

En effet, la loi sur la neutralité religieuse, qui n'est pas abrogée par le projet de loi sur la laïcité, oblige déjà les enseignants des écoles privées et les éducateurs des CPE à œuvrer à visage découvert. L'État s'autorise donc à réglementer la tenue vestimentaire dans ces établissements même si les enseignants ne sont pas employés par l'État et même si l'ex-ministre libérale qui a fait adopter cette loi, Stéphanie Vallée, disait ne pas vouloir de «loi sur le linge». L'État est par ailleurs légitimé d'étendre le respect de la laïcité à ces établissements au nom leur mission éducative, de leur financement public et de la protection de la liberté de conscience des enfants.

De plus, les écoles privées sont tenues par la loi d'offrir le programme d'enseignement approuvé par le ministère de l'Éducation. Le caractère laïque de ce programme doit être respecté même dans les écoles privées, d'où la nécessité d'y interdire aussi le port de signes religieux par les enseignants. La laïcité commande, par ailleurs, que le volet religieux du cours Éthique et culture religieuse soit aboli. Ce cours, qui incite les élèves à s'identifier en fonction d'une religion et de s'en trouver une s'ils n'en ont pas, n'a pas sa place dans une école laïque.

La même loi pour tous

La clause de droits acquis visant à permettre le port de signes religieux de la part des employés de l'État déjà en poste n'a pas sa place dans une telle loi. La laïcité est un principe fondamental assurant la cohésion sociale et qui devrait être l'un des fondements de l'État. Être soustrait au respect de ce principe en raison d'une date d'entrée en fonction nous parait inadmissible.

Ceux qui affirment, avec Justin Trudeau en tête, que l'interdit de porter des signes religieux va à l'encontre de la liberté de religion font preuve d'une vision absolutiste de cette liberté, vision qui n'est pas sans danger. La liberté de religion, selon la déclaration universelle, c'est la liberté d'adhérer à une confession, d'en pratiquer le culte et de transmettre la croyance.

Aucune religion n'exige le port de signes ou de vêtements particuliers. Ceux qui en portent disent d'ailleurs le faire par choix. Si c'est un choix, ce n'est pas une obligation.

Ces personnes ont donc le choix d'afficher leur conviction religieuse partout et en tout temps ou d'œuvrer dans un contexte de travail religieusement neutre et laïque. On ne peut les déresponsabiliser de leur choix. L'ex-juge de la Cour suprême, Me Claire l'Heureux Dubé, a d'ailleurs déjà soutenu que le port de signes religieux relève de la liberté d'expression et non de la liberté de religion. Cet argument n'a pas, à notre connaissance, été suffisamment examiné par les tribunaux. La liberté d'expression est déjà limitée par la Loi sur la fonction publique qui interdit le port de signes politiques par les employés de l'État sans que personne ne soit monté aux barricades.

Quant aux accusations de racisme adressées à l'endroit de la laïcité, elles ne font que révéler la profonde ignorance, la démagogie, l'inculture, l'absence de repère et la vision à courte de vue de ces opposants à la laïcité.

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