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Existe-t-il une science des «Blancs» et un «savoir» des Autochtones?

L'approche sans discernement du gouvernement Trudeau qui place sur le même pied science et croyance est une superbe démonstration des dangers du relativisme postmoderniste qui soutient que tout se vaut.
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Qu'est-ce que le «savoir autochtone»?
Getty Images/All Canada Photos
Qu'est-ce que le «savoir autochtone»?

Une nouvelle querelle aux allures surréalistes vient de surgir dans les relations entre le gouvernement du Québec et les Autochtones.

Rappelons les faits. Le gouvernement du Canada a fait connaître son intention de rendre obligatoire, dans les évaluations environnementales, la «prise en compte du savoir autochtone» au «même titre que la science». Actuellement, la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale laisse aux gouvernements concernés le soin de tenir compte ou non de ce «savoir traditionnel». Par la voix du sous-ministre québécois de l'Environnement, Patrick Beauchesne, le gouvernement du Québec a exprimé des réserves sur le fait de rendre une telle mesure obligatoire.

«L'intention du gouvernement fédéral de tenir compte systématiquement du savoir autochtone, au même titre que la science et les données probantes pourraient s'avérer problématiques dans les cas où le savoir autochtone et la science se révéleraient contradictoires. [...] Le savoir autochtone est une notion qui nous apparaît très large et mériterait d'être bien définie », a écrit le sous-ministre Beauchesne dans une correspondance avec l'Agence canadienne d'évaluation environnementale.

Les Premières Nations y ont vu du mépris, du paternalisme et un retour à des pratiques colonialistes.

Qu'est-ce que le «savoir autochtone?»

Qu'en est-il exactement? Qu'est-ce que le «savoir autochtone»? La science et le savoir ont-ils une ethnie? Seraient-ils racisés?

Plusieurs seront étonnés d'apprendre qu'il existe, autour du concept de «savoir autochtone», toute une littérature savante émanant tant des universités que des gouvernements ou des instances internationales tel l'UNESCO. Il est par contre très difficile d'en trouver une définition. La Loi canadienne sur l'évaluation environnementale n'en propose aucune parce que, lit-on, «il n'existe encore aucune définition qui soit universellement reconnue». Tout au plus est-il mentionné que le terme «fait partie d'un vaste répertoire de connaissances qui englobent des relations entre la culture, l'environnement, l'économie, la politique et la spiritualité».

Dans son volume Le savoir autochtone dans tous ses états, Christiane Guay de l'UQAM en donne la définition suivante (empruntée à George Wenzel de McGill) : «knowledge and values which have been acquired through experience, observation, and from the land or from spiritual teachings, and handed from one generation to another».

Une publication du Centre de collaboration nationale de la santé autochtone souligne pour sa part que, en langue inuktitute, le concept de «savoir autochtone» se traduit par «ce que les Inuits ont toujours tenu pour être vrai». On y lit également que les croyances cosmologiques sont indissociables du «savoir traditionnel».

Le «savoir autochtone», c'est donc tout autant les croyances spirituelles ou religieuses que la connaissance du territoire et de ses ressources.

Le «savoir autochtone», c'est donc tout autant les croyances spirituelles ou religieuses que la connaissance du territoire et de ses ressources. Dans sa réaction à la lettre du sous-ministre Beauchesne, le Conseil de la Nation Atikamekw démontre d'ailleurs qu'il considère que la science et le savoir autochtone sont deux choses distinctes : «la science, écrit le Conseil, n'est pas incompatible avec notre savoir, elle est plutôt complémentaire à ce dernier. [...] Sans oublier que [ce savoir] est souvent en avance sur la science en ce qui a trait à la connaissance du territoire.»

Est-il nécessaire de dire que savoir et croyance sont deux choses totalement différentes qui n'ont rien de commun entre elles? Un savoir ou une connaissance entraîne l'adhésion universelle des gens raisonnables capables de discernement par la raison. Une croyance est quant à elle une chose qui ne relève pas de la démarche scientifique ou qui est contredite par cette approche et qui, par définition, se passe de démonstration. Si un savoir est complémentaire à la science, comme l'affirme le communiqué des Atikameks, c'est que ce savoir a fait l'objet d'une observation ou d'une démonstration raisonnée et est de ce fait de nature scientifique. Il n'y a pas la science des Blancs d'un côté et le savoir des Autochtones de l'autre : la connaissance n'est ni blanche, ni noire, ni chinoise, ni autochtone; elle est universelle. Et deux savoirs ou deux sciences ne peuvent être contradictoires : si le savoir autochtone s'oppose à la science, c'est qu'il est du domaine de la croyance.

L'inquiétude du Québec est légitime

Si le «savoir autochtone» inclut tout autant les croyances religieuses que les connaissances, l'inquiétude du ministère québécois de l'Environnement face à l'obligation de tenir compte d'un concept aussi flou est donc tout à fait légitime, nécessaire et salutaire. L'approche sans discernement du gouvernement Trudeau qui place sur le même pied science et croyance est une superbe démonstration des dangers du relativisme postmoderniste qui soutient que tout se vaut. Cette vision des choses, héritée du mouvement philosophique et sociologique des anti-Lumières, relève du tribalisme et s'avère tout aussi obscurantiste que le conservatisme religieux de l'ex-gouvernement Harper.

Si le «savoir autochtone» inclut tout autant les croyances religieuses que les connaissances, l'inquiétude du ministère québécois de l'Environnement face à l'obligation de tenir compte d'un concept aussi flou est donc tout à fait légitime, nécessaire et salutaire.

Voici deux cas parmi d'autres qui montrent l'importance de faire preuve de discernement en pareilles circonstances. Au début des années 90, un projet conjoint entre une entreprise privée et le gouvernement de la Colombie-Britannique visant la construction d'une station de ski dans la vallée Jumbo dans les Rocheuses a été bloqué, et ce jusqu'à tout récemment, par la nation Ktunaxa a qui appartient le territoire convoité. La raison invoquée : la montagne en question est un lieu sacré qui abrite l'Esprit de l'Ours Grizzly. Perturber ce territoire ferait fuir l'Esprit de l'Ours, ce qui porterait atteinte aux croyances et pratiques religieuses des Ktunaxa.

S'agit-il d'une croyance ou d'un savoir? Les Ktunaxa ont prétendu qu'il s'agissait d'un savoir, un savoir gardé secret et détenu par seulement quelques «gardiens du savoir». La cause s'est rendue jusqu'en Cour suprême qui a rendu son jugement en novembre dernier. Dans son infinie sagesse, la Cour suprême a statué que la loi protégeait la liberté de croire à l'Esprit de l'Ours Grizzly et de lui consacrer un culte, mais que la position des Ktunaxa conduisait à exiger la protection de l'Esprit lui-même et non la croyance en son existence. Ouf! Toutefois, deux juges sur neuf ont donné raison à l'argument des Ktunaxa et ont soutenu que la construction d'une station de ski portait atteinte à leur liberté de religion.

Mon second exemple est plus tragique. En novembre 2014, un juge autochtone de la Cour de l'Ontario a reconnu, à des parents de la communauté autochtone New Credit, le droit de refuser les traitements de chimiothérapie pour traiter la leucémie de leur petite fille de 11 ans et de s'en remettre uniquement à leur médecine traditionnelle fondée sur le savoir autochtone. Cela au nom de leurs droits ancestraux. Avec la chimiothérapie, les médecins accordaient 75% de chance de guérison à la jeune fille; mais elle est décédée deux mois après le jugement, faute de soins adéquats pourtant facilement accessibles.

Le «savoir autochtone» peut donc être utilisé à n'importe quelle fin. Dans le contexte des évaluations environnementales, on ne sait à quelle nouvelle dérive ce concept pourrait conduire s'il n'est pas balisé.

Dans le contexte des évaluations environnementales, on ne sait à quelle nouvelle dérive ce concept pourrait conduire s'il n'est pas balisé.

Qui plus est, si on accorde aux Autochtones le droit de refuser les traitements médicaux scientifiquement éprouvés, pourquoi nierait-on aux Témoins de Jéhovah le droit de refuser des transfusions sanguines, eux qui «savent» que le sang est le véhicule de l'âme?

Nous vivons une époque prodigieuse sur le plan de la science, mais combien déprimante et désolante sur le plan des repères philosophiques et politiques!

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