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Comment des sites comme celui d'Adil Charkaoui peuvent servir le recrutement de djihadistes

Des sites en apparence anodins constituent en fait des maillons essentiels à tout un réseau de recrutement international très bien organisé et très performant dans le dépistage de djihadistes potentiels.
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Les médias nous apprenaient la semaine dernière que deux des quatre élèves du cégep Maisonneuve partis faire le djihad en Syrie avaient fréquenté l'école Les compagnons - Assahaba du Centre communautaire islamique de l'Est de Montréal dirigé par Adil Charkaoui. En outre, le site internet de ce centre pointait vers un autre site (Kitâb) présentant de la littérature islamique faisant la promotion du djihad. Ces deux faits ont amené deux cégeps à annuler les contrats de location de locaux à l'école de Charkaoui.

Selon l'analyste en affaires policières Stéphane Berthomet (en entrevue à l'émission 24/60 de Radio-Canada), le site Kitâb présente, dans ses onglets principaux, un lien qui «ne contient que des textes qui poussent à la radicalisation» : obligation du djihad, les vertus du djihad, défense des terres musulmanes, discours d'Oussama ben Laden, etc. Cet onglet titré Al Jihad ne trompe pas et figurait parmi les quatre liens le plus fréquentés lorsqu'il a parcouru ce site. «Ce n'est donc pas totalement anodin, la présence de cette littérature», faisait-il remarquer.

J'ignore si la publicité entourant cette affaire y est pour quelque chose, mais, lorsque j'ai consulté le site en question, l'onglet sur le djihad figurait alors en tête de liste des pages les plus consultées (le seul autre lien plus fréquenté étant celui de la page d'accueil).

On retrouve donc, dans la littérature «pédagogique» proposée sur ce site, des manuels opérationnels de guerre, des méthodes d'entraînement, des informations pour se procurer des armes, des lieux où l'on peut s'entraîner, comment pratiquer le djihad et des conseils pour joindre ceux qui s'y adonnent. Selon Stéphane Berthomet, la possession de certains de ces ouvrages est même interdite dans plusieurs pays.

Le lien vers le site Kitâb semble avoir été retiré du site internet du centre islamique, ce qui constitue, c'est le moins qu'on puisse dire, un aveu d'un manque de jugement de la part du directeur du centre.

Une faible défense

Pour Adil Charkaoui, ce reproche serait «l'équivalent de faire porter le blâme à un professeur qui donne un cours sur le capitalisme et qui aurait envoyé un élève dans une bibliothèque municipale où traînait par hasard un livre de Karl Marx ou de Che Guevara».

La comparaison n'a aucune commune mesure. La littérature djihadiste du site Kitâb n'est pas là par hasard: elle constitue l'une des raisons d'être du site. Aux yeux de Stéphane Berthomet, cette réalité ne pouvait être ignorée des responsables du centre.

La page d'accueil nous dit d'ailleurs que le site contient «seulement les ouvrages des savants suivant le Coran et la Sunna selon la voie et la compréhension des Salaf Salih». Salaf Salih signifie «pieux prédécesseurs», un terme d'où est tiré le nom de «salafisme» qui désigne le courant politico-religieux fondamentaliste pro-djihad d'Arabie saoudite.

Facebook et le web sombre

Pendant qu'on se demande comment de jeunes cégépiens ont pu se joindre à un groupe sanguinaire comme l'État islamique, voici qu'un très intéressant article du magazine Science & Vie du mois de mars 2015 est consacré à ce sujet (Comment internet favorise le terrorisme, de Pierre-Yves Bocquet). Des sites en apparence anodins constituent en fait des maillons essentiels à tout un réseau de recrutement international très bien organisé et très performant dans le dépistage de djihadistes potentiels.

Pour ce faire, les recruteurs manient trois outils de base: les algorithmes des réseaux sociaux, le web sombre et le bitcoin.

Selon un spécialiste en gestion de l'information de l'Université d'Arizona cité dans cet article et dont les travaux sont basés sur un modèle épidémiologiste, un utilisateur passif de sites internet djihadistes aurait 5 chances sur 10 000 de devenir lui-même djihadiste par le seul effet de contagion des esprits. Ça semble bien peu, mais ceci s'ajoute aux autres facteurs de prédisposition.

De plus, compte tenu du nombre astronomique d'échanges (on parle de 4,75 milliards de partages par jour sur Facebook), «une radicalisation qui aurait pris un an ou deux dans le monde réel peut se faire en une ou deux semaines sur Facebook» si la personne y est prédisposée, affirme Yousri Marzouki, chercheur au CNRS et à l'Université d'Aix-Marseille.

Les djihadistes contournent aussi les embûches que peuvent leur opposer des réseaux comme Facebook en créant des groupes de discussion limités. Ils peuvent aussi poster des messages neutres, par exemple «un lien vers la page de Wikipédia sur l'État islamique, en sachant que l'algorithme de Facebook proposera de lui-même aux personnes qui ''aiment'' cette page d'entrer en contact avec des groupes ou des profils djihadistes».

En ayant cliqué plusieurs fois sur le lien du site Kitâb et l'avoir exploré pour les besoins de cet article, je peux donc avoir été repéré par des recruteurs djihadistes. J'attendrai leur invitation. Un site comme celui d'Adil Charkaoui peut alors devenir, même involontairement, un capteur de première ligne pour d'éventuels candidats.

L'État islamique a par ailleurs créé son propre réseau social appelé Diaspora, assurant le cryptage des données et l'anonymat des usagers. Lors de la prise de la ville irakienne de Mossoul en juin 2014, l'E.I. est parvenu à envoyer pas moins de 40 000 tweets en une seule journée.

Les recruteurs savent également utiliser le web sombre (dark net), cette partie de la toile qui reste invisible aux moteurs de recherche classiques, mais qui peut être facilement pénétrée par quiconque utilise des logiciels conçus à cette fin et facilement disponibles. Ces navigateurs spécialisés dédiés aux échanges de dossiers d'ordinateur à ordinateur permettent de masquer les traces de l'utilisateur et de diffuser ainsi de faux papiers, des documents de propagande ou de stratégie ou encore des vidéos de formation qui échapperont aux surveillances policières.

Toujours selon l'article de Science & Vie, les terroristes recourraient au bitcoin pour faciliter leurs achats, une monnaie virtuelle sans banque ni serveur, qui est l'unité d'échange privilégiée des usagers du web sombre et qui ne laisse pas de trace.

Ces outils combinés font que 90% des cas de radicalisation terroriste se font par le biais d'internet. Un dossier à lire dans le Science & Vie de ce mois-ci.

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Mai 2017

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