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L’acharnement de Richard Martineau

Comment expliquer que Richard Martineau, un des chroniqueurs ayant le plus de tribunes et de visibilité au Québec, soit à ce point outré par mes participations occasionnelles?
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Selon l’étude publiée en 2015 par Mélanie Beauregard, M. Martineau avait écrit 438 textes sur l’islam ou les musulmans entre 2006 et 2014.
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Selon l’étude publiée en 2015 par Mélanie Beauregard, M. Martineau avait écrit 438 textes sur l’islam ou les musulmans entre 2006 et 2014.

La semaine dernière, j'ai participé sur LCN à une émission spéciale consacrée aux propositions de la CAQ en matière d'immigration. À la suite de l'émission, je n'avais rien à ajouter. Mais après que Richard Martineau eût écrit neuf (!) publications sur Facebook et dans le Journal de Montréal à ce sujet, il ne me donne pas d'autres choix que d'y revenir.

Je ne tiens pas à répondre à tout ce qu'il a écrit, mais il m'apparaît important de revenir sur deux points: la légitimité de mes interventions et « l'heure juste » sur les accommodements raisonnables.

Lors du débat en question, M. Martineau a lancé furieusement que je ne représentais pas « la communauté musulmane ». Il l'a répété le lendemain sur sa page Facebook. Et le surlendemain. Et le sur-surlendemain.

Et vous savez quoi? On est d'accord. C'est bien pourquoi je n'ai jamais affirmé l'inverse. Jamais. Je suis une Québécoise musulmane parmi d'autres, citoyenne engagée, apprentie sociologue, cofondatrice d'un organisme féministe et, comme j'ai acquis certaines habiletés en communication, il m'arrive de prendre la parole publiquement sur diverses questions (qui ne se limitent pas au voile et à l'islam).

À cet égard, je suis comme Richard Martineau, j'ai des opinions qui plaisent à certains, mais pas à d'autres, et je les exprime par écrit ou devant un micro.

Il m'est difficile de comprendre pourquoi il répète de façon obsessive que je ne représente pas « la communauté musulmane ».

C'est pourquoi il m'est difficile de comprendre pourquoi il répète de façon obsessive que je ne représente pas « la communauté musulmane ». Peut-être que ma présence dans l'espace médiatique le déstabilise? Sinon comment expliquer qu'un des chroniqueurs ayant le plus de tribunes et de visibilité au Québec soit à ce point outré par mes participations occasionnelles? Déjà en 2013, il partageait une photo de moi pour commenter mon apparence. Il s'étonnait de mon soi-disant « manque de pudeur ». Visiblement, je bouleverse l'image simpliste qu'il se fait des femmes musulmanes.

Ensuite, toujours lors du débat à LCN, alors qu'il était question d'intégration, M. Martineau a affirmé qu'il y a un groupe d'immigrants en particulier qui pose davantage de problèmes que les autres. Les musulmans formeraient ce groupe qui s'intègre mal. Pour appuyer son propos, il a évoqué les demandes d'accommodements. J'ai rétorqué que les données factuelles n'appuient pas ses accusations. Le Journal de Montréal a par la suite publié un article étayant quelques données sur le sujet. Puis M. Martineau a publié une réponse dans laquelle il contestait la conclusion de ses collègues.

Mais il a simplifié à l'excès des choses qui méritent nuances et doigté. En voici quelques-unes:

M. Martineau s'appuie sur un statut Facebook de la professeure d'informatique Nadia El-Mabrouk pour affirmer qu'on ignore le nombre réel d'accommodements demandés, ce qui est vrai puisqu'ils ne sont pas comptabilisés de façon systématique et exhaustive. Mais voilà un argument bien curieux pour invalider ma position: s'il n'y a aucune façon de répertorier toutes les demandes d'accommodements, ça confirme alors que les affirmations de Richard Martineau sont de l'ordre de la spéculation (ou du fantasme).

Si on s'abstient de spéculer sur l'information que l'on n'a pas et qu'on analyse plutôt celle que l'on a, il appert, comme Mme El-Mabrouk et M. Martineau l'écrivent eux-mêmes, que le Service conseil de la Commission des Droits de la Personnes et des Droits de la Jeunesse (CDPDJ) a été sollicité en 2016-2017 pour 10 cas d'accommodements liés à la religion musulmane. Il n'y a pas à dire, c'est très peu.

Mme El-Mabrouk évoque aussi les plaintes déposées à la CDPDJ. Mais elle ne donne pas les chiffres. Je me suis donc informé auprès de la CDPDJ pour en savoir davantage. Et ce que j'ai obtenu est fort intéressant.

En effet, selon un tableau cumulatif qui détaille le nombre de dossiers ouverts dans les dernières années, il en ressort que sur 635 plaintes en 2017-2018, 102 concernaient des demandes d'accommodements. Et sur ces 102, seulement trois étaient liées à des motifs religieux.

Alors on peut bien dire qu'on ne connaît pas le nombre d'accommodements demandés ou accordés, mais avec trois plaintes sur huit millions d'habitants, on repassera pour la démesure qu'attribue M. Martineau aux musulmans du Québec.

Il réfère aussi à une déclaration de la présidente de la CSDM qui affirmait que la commission scolaire reçoit en moyenne 500 demandes d'accommodements par année. Mais il ne mentionne pas que la CSDM compte 190 établissements fréquentés par 110 345 élèves, et qu'en plus nous n'avons pas de détails sur la nature exacte de ces demandes.

L'analyse ne saurait être complète sans mention de l'aspect qualitatif. L'objet de la demande peut être de nature très différente selon qu'il concernera une demande récurrente, dont le traitement est simple, car routinier et raisonnable, ou qu'il s'agira d'un enjeu moins familier et plus complexe. D'ailleurs, rappelons que l'accommodement a une portée et des limites cadrées par le droit.

Et au final, est-ce que le fait de demander un accommodement équivaut nécessairement à un manque d'intégration? Non. On pourrait même affirmer le contraire puisque l'accommodement existe entre autres pour rendre effective la notion d'égalité des chances et ainsi favoriser une meilleure participation citoyenne.

En gros, Richard Martineau perd de vue le portrait d'ensemble, trébuche sur les virgules et tord le cou de la réalité.

En gros, Richard Martineau perd de vue le portrait d'ensemble, trébuche sur les virgules et tord le cou de la réalité.

Sa façon de se cacher derrière la critique de l'islamisme ne convainc plus. Surtout que son approche ne peut être qualifiée de simple « critique ». Selon l'étude publiée en 2015 par Mélanie Beauregard, M. Martineau avait écrit 438 textes sur l'islam ou les musulmans entre 2006 et 2014. À ce rythme, on se doute qu'il a maintenant dépassé le cap des 500. S'il fallait qualifier son approche, c'est davantage d'acharnement qu'il faudrait parler...

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ses autres raccourcis et ses attaques à mon endroit. Mais je crains d'y avoir déjà consacré trop de temps. Puisqu'à l'instar de Castoriadis, je me dis qu'on ne peut pas vider par la cuillère de la critique un tel océan de bêtises.

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