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L'Iran n'a plus d'ennemis à anéantir mais des rivaux à contenir

En abandonnant l'isolationnisme chauvin et le messianisme révolutionnaire, l'Iran consacre son retour dans la communauté internationale. Mais ce n'est pas pour y tenir le rôle d'un pacificateur.
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Conclusion de l'accord sur le nucléaire le 14 janvier 2015 avec les représentants de la communauté internationale, début de la levée des sanctions occidentales, échanges de prisonniers avec les États-Unis et retour annoncé sur les marchés internationaux du pétrole, tous ces événements confirment la fin de l'isolement pour l'Iran. Est-ce à dire que la République islamique d'Iran rejoint désormais le «concert des nations», comme plusieurs observateurs l'annoncent? Son action extérieure contribuera-t-elle sous peu à la stabilisation de la région et à au maintien de la paix à l'échelle internationale?

Rien n'est moins sûr, comme en témoignent son activisme militaire en Syrie en soutien au régime al-Assad, son influence grandissante en Irak et au Yémen en appui au mouvement des houtis, ou encore le sac de l'ambassade d'Arabie saoudite à Téhéran puis la rupture des relations diplomatiques avec le royaume des al-Saoud.

En matière de positionnement international, l'Iran est aujourd'hui à la croisée des chemins. Peut-il renoncer à l'exportation de la révolution islamique par pragmatisme économique? Certes, pour retrouver des relais de croissance économique et un rayonnement régional, l'Iran a fait passer au second plan le messianisme révolutionnaire qui avait dominé l'après-révolution (1979), la guerre Iran-Irak (1980-1988) ainsi que les mandats du président Ahmadinejad (2005-2013). L'Iran n'a plus pour objectif explicite d'éradiquer de la région l'impérialisme du «grand Satan» américain et de son allié israélien, et encore moins l'influence du «petit Satan» soviétique coupable d'athéisme.

L'Iran n'est plus en lutte à mort avec des États dont l'existence même constituerait une menace pour sa propose existence. Elle n'a plus d'«ennemis» au sens fort donné par Carl Schmitt à ce terme: un ennemi est celui avec lequel la coexistence est une impossibilité et la négociation, une trahison.

Toutefois, l'Iran ne deviendra pas à court terme un pilier de la sécurité collective. Loin de promouvoir la paix, il change de mode de conflictualité et s'engage dans une politique de puissance vis-à-vis d'au moins trois rivaux: les États-Unis, l'Arabie saoudite et... l'allié russe.

Avec les États-Unis, les relations sont en voie de régularisation après trois décennies de silence: le dégel des avoirs iraniens placés dans les banques américaines depuis 1979, la campagne annoncée d'échanges économiques, ou encore la lutte contre un ennemi conjoint en Syrie, le groupe armé État islamique (EI), rapproche les deux anciens ennemis.

Toutefois, l'Iran et les États-Unis ne sont pas à la veille de conclure un retournement d'alliance aussi spectaculaire que la Chine de Mao avec l'Amérique de Nixon en 1971. Car de nombreuses tensions persistent: Washington vient de prendre une série de sanctions contre les essais balistiques iraniens et la mise en œuvre des accords nucléaires est encore à confirmer. Quant à un changement de majorité lors des élections générales outre-Atlantique, il remettrait en cause ce processus d'apaisement.

Avec l'Arabie saoudite, outre la division confessionnelle entre chiisme et sunnisme, la lutte autour des lieux saints de l'islam et la tension en Syrie, les rivalités sont grandes: chacun des deux pays a, à l'égard de l'autre, un véritable complexe de l'encerclement. L'Arabie saoudite voit les mouvements chiites sur son flanc sud au Yémen, sur son flanc nord en Irak et de l'autre côté du détroit d'Ormuz. En butte à des poussées sunnites de la part des talibans en Afghanistan, de l'État islamique en Syrie et en Irak, et, bien entendu, des interventions militaires saoudites, la République islamique d'Iran se considère quant à elle en minorité dans la région face à la majorité sunnite. La reprise des contrats de défense dans la Golfe depuis deux ans témoigne d'une nouvelle course aux armements régionale. L'arme économique est également utilisée par les Saoudiens: depuis plus d'une année, ils observent une politique de surproduction de pétrole conçue pour gêner le retour des Iraniens sur les marchés internationaux.

Toutefois, en dépit des déclarations martiales, ces deux puissances ne sont pas aujourd'hui engagées dans un duel à mort mais dans une «guerre froide» comprenant des actions militaires indirectes. Les deux géants pétroliers et religieux de la région doivent en effet trouver des pistes de coopération. Tous deux ont un besoin vital de garantir la sécurité du transit pétrolier dans le Golfe. Tous deux sont placés face au défi du désengagement américain dans le Golfe. Tous deux sont exposés aux risques de déstabilisation présentés par la faillite de deux États clés, la Syrie et l'Irak. Enfin, tous deux sont concurrencés, dans la sphère religieuse à des groupes non étatiques contestant leurs leaderships respectifs à la tête du sunnisme et du chiisme. L'Arabie n'est pas le nouveau Satan sunnite de l'Iran mais son concurrent le plus sérieux, juste devant la Turquie. Ces deux pays sont contraints, à moyen terme, d'apprendre à composer l'un avec l'autre.

Avec la Russie, l'alliance apparente scellée par les négociations nucléaires, la lutte contre l'État islamique, la défense du régime al-Assad ainsi que par la reprise des contrats d'armements est essentiellement tactique. Les données fondamentales du «Grand jeu» géopolitique n'ont pas changé: la Russie déploie une politique de puissance régionale dans la Caspienne, l'Asie centrale et fait son retour en Syrie, autrement dit dans les zones historiques de la présence iranienne. Sans compter que les deux pays sont évidemment concurrents sur les marchés internationaux de l'énergie. Sous la coopération militaire en Syrie affleurent d'ores et déjà des compétitions géopolitiques.

En abandonnant l'isolationnisme chauvin et le messianisme révolutionnaire, l'Iran consacre incontestablement son retour dans la communauté internationale. Mais ce n'est pas pour y tenir le rôle d'un pacificateur. C'est pour mieux déployer une politique de puissance régionale très active. L'Iran abandonne la lutte à mort avec ses ennemis. Mais c'est pour mieux se consacrer à la compétition acharnée avec ses rivaux.

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