Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

L'urbanité et l'altérité remises en cause par l'élection aux États-Unis

L'élection présidentielle se caractérise par la présence de candidats dont l'ancrage local est marqué par l'expérience de la ville et/ou de la banlieue.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

En tant qu'américaniste, la veille scientifique que je mène sur les médias me conduit tous les quatre ans à privilégier les élections présidentielles. Il me faut en effet être en mesure de répondre aux interrogations des étudiants ainsi que des collègues, sans oublier bien entendu les amis.

En tant que géographe sensible aux questions urbaines, raciales et ethniques, je choisis de ne pas me limiter aux thèmes traditionnels de politique intérieure, de relations internationales, du positionnement des candidats au sein des partis ou du programme respectif de chacun d'entre eux. Je pose en fait la question de la représentativité du candidat à partir du prisme de son ancrage dans la ville ou en banlieue. Un candidat urbain ferait preuve d'une plus grande altérité qu'un candidat suburbain. Ce qui d'après cette hypothèse aurait une incidence sur la manière de concevoir la société dans sa diversité, de faire preuve d'une plus grande ouverture à l'altérité et de comprendre le monde.

La campagne de l'année 2016 marquée par la présence de deux candidats aux profils bien originaux avec une femme Hillary Clinton (pour le parti démocrate) et un outsider Donald Trump (pour le parti républicain) présente l'inconvénient de remettre en cause cette hypothèse.

Les deux marqueurs des élections précédentes: la race et l'urbanité

La campagne de 2008 et celle de 2012 (dans une moindre mesure) avaient été intéressantes parce qu'un candidat (Barack Obama) s'identifiant explicitement à la minorité noire s'y présentait. Ce n'était pas la première fois: le pasteur baptiste et militant des droits civiques, Jesse Jackson, avait participé aux campagnes présidentielles de 1984 et 1988, mais il manquait de charisme et avait des relations tendues avec la communauté juive. Deux décennies plus tard, le candidat Obama offrit aux participants et aux téléspectateurs des moments inoubliables alors qu'il faisait référence aux Pères fondateurs de la nation, à l'œuvre d'Abraham Lincoln ainsi qu'aux défis de la révolution numérique et de la pauvreté (universal health care).

Si de nombreux experts ont expliqué sa réussite en insistant sur la maîtrise de l'outil Internet et des nombreux forums qui s'y sont déroulés (sans oublier bien entendu le principe du porte à porte), les acteurs intellectuels ont mis en évidence la clarté et la force de ses discours (comme celui sur la race en Amérique prononcé à Philadelphie le 18 mars 2008*) ainsi que son expérience de la diversité sociale et raciale en tant qu'habitant de Chicago et sénateur de ce même État.

La campagne de 2016: le triomphe de la banlieue comme emblème de la diversité raciale et sociale

Cette année l'élection présidentielle se caractérise également par la présence de candidats dont l'ancrage local est marqué par l'expérience de la ville et/ou de la banlieue. Au parti républicain, Ted Cruz s'était présenté comme un individu ayant grandi à Houston (Texas) où il continue de résider. John Kasich (dans le même parti) a fait référence à ses racines dans le pays du charbon et vit actuellement dans la banlieue de Columbus (Ohio). Et Donald Trump, comme chacun le sait, a grandi dans le Queens (un arrondissement de New York) et réside à Manhattan (midtown).

Au parti démocrate, Bernie Sanders déclare avoir passé sa jeunesse à Brooklyn (un arrondissement de New York) et il vit actuellement à Burlington, une petite ville dans l'État du Vermont. Et Hilary Clinton a grandi dans une banlieue de Chicago, a fait l'expérience de la petite ville de Little Rock --(à l'époque où son époux Bill Clinton était gouverneur de l'État de l'Arkansas)-- et vit actuellement à Chappaqa, une banlieue de New York (dans le comté de Weschester). Le candidat le plus urbain est sans conteste Donald Trump du parti républicain pendant que la candidate démocrate Hilary Clinton symbolise l'ancrage suburbain.

Ce constat contraste avec les représentations de la seconde moitié du 20e siècle où il était coutume de dire que les électeurs vivant dans les grandes villes représentaient la base de l'électorat du parti démocrate et que ceux des banlieues représentaient la base de l'électorat du parti républicain. Il est certain qu'à l'époque les banlieues étaient principalement blanches suite au white flight. L'histoire du peuplement opposait alors les banlieues aux villes caractérisées par une forte diversité raciale, ethnique, culturelle et sociale. Mais les résultats du dernier recensement (2010) font état d'un changement en indiquant que les minorités représentent désormais 35% de la population suburbaine. Ce qui s'explique en raison du black flight (départ des Noirs de la ville pour les banlieues) et le souhait de populations issues de l'immigration de résider en banlieue (alors que jusqu'ici elles privilégiaient la ville). La géographe Weil Li fut d'ailleurs la première à mentionner l'émergence de ces nouveaux quartiers issus de l'immigration dans les banlieues en évoquant dans son ouvrage de 2008, l'ethnoburb.

En faisant un parallèle entre l'ancrage local des candidats et leur degré de représentativité de la diversité (sociale, raciale et ethnique) de la société aux États-Unis, il est possible de dire que l'on assiste à un sérieux changement de sens de la relation entre urbanité et altérité.

L'ancrage urbain n'est plus le garant de l'urbanité aux États-Unis

Les candidats à l'élection présidentielle aux États-Unis se retrouvent dans une situation paradoxale. Le candidat le plus urbain et ayant fortement contribué à consolider la suprématie de New York dans les réseaux globaux et dans un monde mondialisé n'a pas hésité à discréditer les Mexicains-Américains et les Hispaniques, les immigrés et les musulmans alors que la candidate suburbaine a réussi à symboliser la diversité raciale et ethnique. Il en résulte qu'aux États-Unis, l'urbanité peut difficilement continuer d'être associée à l'altérité. En tout cas il n'en est plus le garant comme autrefois. La banlieue devenue multiraciale et multi-ethnique incarne désormais l'altérité. Elle s'est ainsi progressivement substituée à l'image traditionnelle de la ville, comme site privilégié du cosmopolitisme et du multiculturalisme.

Aux États-Unis, la banlieue qui représente depuis la fin du 19e siècle le cadre de vie idéal d'une société s'industrialisant et qui tout au long du 20e siècle s'est caractérisée par une certaine homogénéité raciale se transforme. Dans un contexte mondial fortement marqué par la métamorphose d'un capitalisme globalisé et financiarisé, l'ancrage suburbain plutôt que l'ancrage urbain serait le garant d'une plus grande ouverture à l'altérité et au monde. C'est du moins le message que transmet le candidat Donal Trump à l'élection présidentielle de 2016.

_________

* The Race Speech. Ce discours a été publié la même année aux éditions Grasset: De la race en Amérique (traduction de François Clémenceau).

2016-05-31-1464703935-7093641-GhorraGobinCynthiacouv2201605HuffingtonPost2016Couv_EntreLocalEtGlobalGhorra140x2165.jpg

Entre local et global: les territoires dans la mondialisation - Sous la coordination de Cynthia Ghorra-Gobin et Magali Reghezza-Zitt Ed. Le Manuscrit, juin 2016

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Sur ses électeurs

Les polémiques de Donald Trump en campagne

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.