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L'Arctique, terre de personne?

Alors que de plus en plus d'acteurs veulent mettre la main sur les ressources de l'Arctique, il convient de se demander à qui revient le droit de s'approprier ce territoire.
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À l'heure actuelle, les changements climatiques causent des catastrophes écologiques partout sur la planète. Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, les changements climatiques opèrent deux fois plus vite dans l'Arctique qu'ailleurs dans le monde. Fortement appréhendée, la fonte de la calotte polaire arctique représente cependant pour plusieurs une opportunité en or. En effet, la mer arctique recèle de diamants, de minéraux, de poissons, mais surtout, de pétrole. Alors que de plus en plus d'acteurs veulent mettre la main sur ces ressources, il convient de se demander à qui revient le droit de s'approprier ce territoire.

Régi par le droit international et par le Conseil Arctique, le Pôle Nord est présentement considéré comme un territoire international. Cependant, les frontières de ce territoire ne font pas consensus. Selon Wojciech Janicki de l'Institut arctique de l'Amérique du Nord, le Canada fut en 1907 le premier pays à en réclamer une séparation territoriale.

Cependant, les frontières proposées à cette époque n'avaient pas fait consensus internationalement. Aujourd'hui, les frontières terrestres font généralement consensus ; les principales tensions caractérisant le conflit concernent le droit d'explorer la mer de l'Arctique, régie depuis 1982 par la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer. La Convention des Nations Unies stipule que la souveraineté des États s'étend jusqu'à 200 milles de leur côte et que les États peuvent explorer la mer au-delà des 200 miles s'ils démontrent qu'une extension géologique fait partie de leur plateforme continentale. Malgré tout, les pays frontaliers de l'Arctique n'arrivent pas à s'entendre sur les frontières maritimes.

Plusieurs pays tentent ainsi à l'heure actuelle de mesurer la profondeur de leur plateforme continentale, ce qui s'avère pourtant très ardu et complexe étant donné les conditions géographiques et climatologiques de la région. En 2007, l'expédition russe Artika a été un élément déclencheur important de la course à l'Arctique. En plantant son drapeau au Pôle Nord, la Russie a proclamé son désir de souveraineté sur le territoire. Les pays du Conseil Arctique ont vite réagi ; le premier ministre canadien Harper est allé en visite peu après au Pôle Nord et a mobilisé ses troupes. Bien qu'aucun affrontement n'ait eu lieu, nous assistons à l'heure actuelle à une militarisation « modérée » de l'Arctique : la Russie y a notamment rebâti d'anciennes bases militaires et patrouille régulièrement dans ses eaux à l'aide de sous-marins et de brise-glaces.

Plusieurs intérêts sous la glace

Il y a peu de doutes pour les observateurs qu'une des premières motivations à la conquête de l'Arctique est l'exploitation pétrolière. Et pour cause : selon des informations sur l'énergie, il se trouverait sous les glaces arctiques 22% des ressources mondiales de gaz et de pétrole. Comme le mentionne P. Le Billon, spécialiste en conflit pour les ressources naturelles, l'économie mondiale actuelle ne pourrait exister sans le pétrole. De plus en plus de conflits armés ont lieu en raison des ressources naturelles, et le pétrole est la première ressource en liste.

La fonte des glaces arctiques facilite également la navigation entre l'Ouest et l'océan Pacifique par la Route maritime du Nord, ce qui représente un fort intérêt économique dans la région. Ce transit, qui rivalise en importance avec le Canal de Suez et le canal de Panama est d'ailleurs très convoité. Cependant, la Russie semble bien déterminée à en garder le contrôle. Il ne faut pas oublier que par l'ampleur de son territoire, la Russie a droit à la plus grande part du territoire terrestre et maritime arctique. Les pays membres du Conseil Arctique se sont toujours efforcés de coopérer entre eux malgré leurs différends. Cependant, la donne a changé avec le conflit russo-ukrainien. Les sanctions économiques appliquées à la Russie à la suite de la crise en Crimée ont eu des répercussions directes sur la capacité technique et économique de forage de la Russie. Ainsi, la République populaire de Chine (RPC) - qui fait partie des pays observateurs du Conseil Arctique - fournit maintenant le support technologique et financier nécessaire à la Russie.

La RPC se présente ainsi comme un nouvel acteur dans la course à l'Arctique. Selon Andreas Kuersten, journaliste pour The Diplomat, la RPC est d'ailleurs en train de courtiser fortement des petits pays en grand besoin de capital afin de se positionner comme acteur majeur dans la région. Le Danemark et l'Islande semblent d'ailleurs prêts à appuyer la Chine dans ses démarches pour obtenir plus d'influence sur l'Arctique. Avec sa vaste population et sa forte industrialisation, la Chine a beaucoup d'intérêt à assurer son approvisionnement en pétrole pour les années à venir. Bien que la majorité des observateurs croient que l'intérêt premier des États dans l'Arctique soit le pétrole, d'autres remettent cette motivation en question. Selon W. Janicki, l'intérêt premier en Arctique pourrait bien être d'ordre politique et non économique. Cet argument se base sur l'idée que les ressources mondiales de pétrole seraient excédentaires, et que d'ici une trentaine d'années, l'extraction ne serait plus nécessaire. Cet argument repose également sur l'idée que les sources d'énergie vont se diversifier dans les prochaines années au point de marginaliser l'usage du pétrole comme combustible. Que l'intérêt premier des États pour l'Arctique soit économique ou politique, il n'y a pas de doute que les multinationales pétrolières y ont un fort intérêt économique. Selon le géologue marin Kostantin Ranks, la Russie risque plus d'affronter les multinationales que les pays du Conseil Arctique dans la bataille pour un plus vaste territoire arctique. En effet, certaines multinationales agissent indépendamment de leur pays d'attache, comme le démontre le cas de la pétrolière norvégienne Statoil, qui n'a pas renoncé à explorer la partie russe arctique alors que la Norvège y avait renoncé.

Une seconde Guerre froide ?

Selon plusieurs observateurs, de nombreux éléments portent à croire que l'on assiste à une seconde Guerre froide. La mise en place du drapeau par la Russie en 2007 a été interprétée par plusieurs comme un rappel de la course à l'espace. La reconstruction d'anciennes bases militaires russes de l'époque soviétique et des pratiques d'espionnage qui ont cours dans l'Arctique sont d'autant d'éléments qui rappellent la Guerre froide. De plus, l'alliance de la Russie avec la Chine et la détérioration des relations diplomatiques à la suite de l'invasion de la Crimée laissent présager un nouvel affrontement Est-Ouest. Quelle suite peut-on espérer pour la conquête de l'Arctique ? Alors que les observateurs les plus optimistes espèrent un déroulement diplomatique respectant les normes du droit international, d'autres plus sceptiques remarquent que le droit de la convention de l'ONU n'arrive pas à lui seul à résoudre tous les problèmes de l'Arctique. Mikkel Runge Olesen et Jon Rahbek-Clemmensen de l'Institut de l'Arctique croient que même si l'on prend un point de vue de Realpolitik et que l'on considère les intérêts en jeu, la dynamique entre les pays du Conseil Arctique démontre que les États ont plus intérêt à coopérer qu'à s'affronter.

Cependant, des observateurs plus pessimistes s'attendent à un affrontement armé pour les ressources naturelles dans un avenir relativement rapproché. Si bien qu'au départ certains pensaient que ce conflit se jouerait entre les membres du Conseil Arctique, la multiplication des acteurs ayant des intérêts dans l'Arctique augmente les scénarios possibles.

D'ailleurs, de plus en plus d'entre eux veulent que l'Arctique soit un véritable « territoire international » et qu'il bénéficie à tous les membres de la communauté internationale. Une chose est certaine: au fur et à mesure que va s'accélérer la fonte des glaces, la course pour l'Arctique va se précipiter, et chacun va se presser de réclamer sa portion du gâteau.

Ce billet a été publié dans Regard critique journal étudiant des Hautes Études Internationale de l’Université Laval

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