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Journal d'une nouvelle paraplégique

Qu'est-ce qu'une première année dans la vie d'une personne paraplégique? Je pourrais répondre avec 365 points, car chaque jour est une nouveauté, mais je vais essayer de faire ça court!
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Le 8 avril 2016, je me réveillais d'une longue opération. Il me fallut qu'une milliseconde pour assimiler ma nouvelle réalité. Je n'avais plus aucune sensation dans mes membres inférieurs. À ce moment, sous l'effet d'une abondance de calmants, je l'ai plutôt bien pris.

Qu'est-ce qu'une première année dans la vie d'une personne paraplégique? Je pourrais répondre avec 365 points, car chaque jour est une nouveauté.

-1 an à trop souvent croire que je n'y arriverai jamais, à avoir peur d'être l'exception à la règle et parfois y croire à en pleurer la nuit.

-1 an à observer les autres adaptés, à chambouler complètement leurs vies pour faciliter la mienne, de ne jamais trouver les bons mots pour les remercier. À être mitigé entre le bonheur de leurs actions et ma tristesse de les «obliger» à ces changements. Une année à être dépendante.

-1 an à essayer de désapprendre tout ce que mon corps avait appris durant sa première vie et durement réapprendre ma «nouveauté». À comprendre les enfants, car nous avons les mêmes défis. Un adulte pris avec l'autonomie d'un enfant.

-1 an de petits deuils, de très gros deuils et d'astronomiques deuils.

-1 an à en rire et en pleurer, à faire d'excellentes blagues et en brailler ma vie! Un an que mes sourires ne sont plus les mêmes, ils sont plus vrais, plus sincères.

-1 an de nouveautés pas demandées, de réalités assez imposées, à quelques fois rêvasser de mes anciennetés, et parfois même à me mentir sur mon ancienne vie! Du gros mensonge... du genre «Wow que ces escaliers-là ont l'air malades à monter, avoir mes jambes je jouerais dedans». Comme si dans mon ancienne vie, je passais mon temps à fantasmer sur les escaliers.

-1 an de maladresse! À devoir vivre avec un regard différent, des phrases maladroitement lancées, des commentaires complètement inutiles et du gros manque de jugement flagrant. Mais tu dois demeurer gentille, même si cela te blesse, car personne n'a voulu être méchant....

-1 an à traîner une partie de corps que je ne sens pas comme la mienne. À ne pas ressentir le chaud, le froid, l'eau, le doux, la douleur et surtout à ne pas pouvoir apprécier la main de mon chum sur ma cuisse.

-1 an de nouvelles rencontres et d'anciennes dissimulées, dans cette épreuve où des amitiés n'ont pas su survivre, des nouvelles se sont créées à une vitesse que je n'aurais jamais cru possible. De nouveaux mentors sont aussi apparus, en rêvant un jour en être une. Certains liens se sont précieusement solidifiés pour la vie, alors que pour d'autre cette histoire n'aura laissé qu'une emprunte à jamais.

-1 an que je vis dans ce monde parallèle. Dans ce même monde, que moi aussi avant je n'y connaissais rien, par manque d'intérêt. Il y a un an ma vision du monde a changé (pas dans le sens que maintenant je ne vois que des fesses...)

-1 an à me rendre compte, assez cruellement, que ça n'arrive pas juste aux autres... que l'autre c'est moi. Chaque jour, me rappeler que le mot «handicapé» m'est maintenant attribué.

-1 an à essayer de faire comme si rien n'avait changé. Mais qu'au fond, tout est chamboulé. Mes valeurs ne seront plus jamais les mêmes, mes activités et passions ont dû obligatoirement changer, même mes «fantasmes» y ont gouté... Maintenant, je ne rêve plus de nouvelles courses, eh bien non, je fantasme sur le nouveau modèle de fauteuil roulant dernier cri. Je ne croyais pas que «OMG trop beau ce fauteuil roulant, j'espère un jour en avoir un» était une phrase possible.

-1 an de logistique, où boire un simple verre d'eau demande une préparation, où m'habiller demande une planification digne d'un avant match. Je me rends compte que le mot accessibilité est bien souvent mal utilisé. Ce mot qui pour moi est devenu une priorité, un mot qui prend tout son sens, un mot qu'aujourd'hui je vis.

-1 an de petites et grosses frustrations pour des simplicités qui me rendait pourtant autrefois si heureuse et avoir de difficulté à gérer mes émotions. Malheureusement à trop souvent les vider sur les mauvaises personnes.

-1 an de nouvelle douleur continue. Car oui, le corps humain peut être une grosse salope. Plus rien ne fonctionne, mais tout fait affreusement mal. Tu sais le moment que tu t'es assis sur ton pied trop longtemps... LA seconde que tu t'en rends compte... Je le vis en continu.

-1 an à devoir payer pour des choses que je n'aurais jamais pensé. Vous, gens dotés d'une vessie réceptive aux signaux du cerveau, n'avez aucune idée à quel point ça peut coûter cher pisser. Et payer pour pisser, ça fait chier!

-1 an à être prisonnière de mon corps, entre les chicanes de ma tête et de celui-ci. Parlant de chicane, mes pieds et mes souliers ne s'aiment pu comme avant, j'ai espoir qu'un jour ils réussiront.

-1 an où de nouvelles peurs se sont créées, même si je ne tombe pas d'un avion, ça fait mal sur l'orgueil de tomber de son fauteuil. Car à ce moment-là c'est toi la petite handicapée au sol que tout le monde regarde comme si la pire des tragédies était devant eux.

-1 an à vivre dans les milieux hospitaliers, de nourriture d'hôpital... Là où l'on juge de ta réussite selon des statistiques, des études et des livres de médecine. Une année remplie de conseils par des gens avec jambes, sur où quand quoi comment je pourrais améliorer ma vie. Maintenant, ma vie est un melting-pot de plein d'études qui forme un schéma bien tracé pour tous.

-1 an que j'ai dû durement réapprendre à aimer ma vie... cette ancienne vie que j'avais tant travaillé pour aimer. C'est pourquoi chaque petit bonheur est si précieux. De courtes journées à vivre, et d'autres, longues à survivre. Par moment, lorsque la fatigue s'emporte de moi, je deviens simplement fatigué d'être moi, et c'est là que je me dis qu'il m'en reste don ben des années. Car il n'y a pas de remèdes ni de solutions.

Il y a 1 an, ma vie se transformait complètement et je sais qu'au fond, il y a une raison et je saurai la trouver.

Une année à être plus que différentes et ça, pour le reste mon existence. Un anniversaire que je n'aurais jamais voulu célébrer. Une journée que je suis bien fière d'y être arrivée. Une année que je devais souligner, une année où j'en ai bien long à compter. J'espère vous avoir aidé un peu à imaginer le vivre.

Il y a 1 an, ma vie se transformait complètement et je sais qu'au fond, il y a une raison et je saurai la trouver. Que j'aurai face à des défis que je n'aurais jamais oser imaginer sur jambes! Un an que malgré tout, il y a toujours et encore mille et une raison de sourire, de rire et surtout des tonnes d'occasions de remercier la vie d'être encore ici. Malgré ce roman, ne t'en fais pas, car tout va bien, je sais que c'est un passage obligé, qu'un jour tout ça sera derrière moi.

Un jour, tout ça deviendra ma normalité comme marcher l'a déjà été.

Pour plus de nouvelles: Vois ça comme Claudia, sur Facebook.

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Mai 2017

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