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La crise d'Octobre: 45 ans déjà

Malgré tout ce qu'on a écrit ou dit, de vrai ou de moins vrai, depuis ces semaines terribles, je demeure convaincu que les décisions prises furent les bonnes.
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Adjoint du premier ministre Robert Bourassa dans les années 1970, j'ai vécu la crise d'Octobre de l'intérieur (*). Je n'étais évidemment pas de toutes les rencontres. Je n'ai pas participé à toutes les réunions. Je n'ai assisté à aucune des délibérations du conseil des ministres. Mais, comme tous ceux qui ont vécu intensément, à titre d'acteur ou de témoin, l'un des épisodes les plus dramatiques et les plus traumatisants de l'histoire moderne du Québec, je ne l'oublierai jamais.

On ne négocie pas l'autorité de l'État

Dès le 5 octobre, une chose était claire: l'autorité de l'État en jeu, il était impensable de plier de quelque façon que ce soit devant un tel chantage.

Ce principe, évident aux yeux de tous, fut défendu jusqu'au bout par Robert Bourassa. Qui louvoya, gagna du temps (son arme favorite), multiplia les déclarations ambigües quand il le fallait.

Jamais, cependant, n'a-t-il été question dans l'esprit du premier ministre de négocier l'autorité de l'État. Les discussions engagées entre le négociateur du FLQ et le représentant du premier ministre n'avaient aucune chance d'aboutir, les parties négociant les mains vides. Tel n'était pas, en effet, leur objectif. Mais il fallait qu'elles démarrent pour gagner du temps, encore et toujours.

Le premier ministre tint bon. En dépit de l'appui surprenant d'une quinzaine de personnalités québécoises à l'idée d'échanger les ravisseurs contre la vingtaine de prisonniers politiques détenus depuis quelques mois ou quelques années. Autrement dit, en faisant fi de l'autorité de l'État en cédant au chantage éhonté du FLQ. Malgré les rumeurs entourant la formation d'un «gouvernement d'unité nationale» dans l'éventualité de l'écroulement de son jeune gouvernement. À quoi il faut ajouter le comportement inadmissible des médecins spécialistes qui, alors que le Québec vivait la pire crise sociale de son histoire, poursuivaient et intensifiaient leur mouvement de grève.

Des policiers débordés

Robert Bourassa tint bon en souhaitant très fort que les forces policières finissent par retrouver les ravisseurs avant qu'il ne soit trop tard. Les policiers, peu habitués à travailler en commun, nous assuraient qu'ils tenaient la bonne piste et ne manqueraient pas de procéder à des arrestations imminentes. Souventes fois, nos espoirs furent déçus, jusqu'à l'arrestation des ravisseurs de monsieur Cross début décembre, et des meurtriers du ministre Laporte, fin décembre.

Débordées, épuisées, les forces policières demandaient des renforts. Elles trouvèrent chez le maire Jean Drapeau et le premier ministre Pierre Trudeau, depuis longtemps partisans de la manière forte et peu enclins à faire traîner les choses, un appui précieux. Dès le début de la crise, Robert Bourassa discuta avec ses collaborateurs de la nécessité de recourir à la Loi sur les mesures de guerre à un moment ou à un autre. Celle-ci entra en vigueur à trois heures le 16 octobre 1970.

Une nuit des longs couteaux à la québécoise

Durant la nuit du 16 au 17 octobre, les policiers s'en donnèrent à cœur joie et arrêtèrent, sans mandat, entre 400 et 500 personnes.

À ma connaissance, Robert Bourassa n'a jamais vu la liste à l'avance. Quoi qu'il en soit, il y avait là beaucoup trop de personnes arrêtées, qui n'auraient jamais dû l'être. Cela constitue l'un des passages les plus sombres d'une trop sombre histoire. Ces excès demeurent pour moi aussi difficiles à oublier que la mort du ministre Laporte.

Le meurtre, accidentel ou pas, du ministre Pierre Laporte le 17 octobre, mit fin à la crise en privant les terroristes du peu de sympathie qu'il leur restait. La cause était entendue.

Pour en finir avec octobre 1970

Le Québec porta les séquelles de cette crise pendant de longues années. Cet épisode de son histoire fit couler autant d'encre que de salive, divisant familles, collègues, amis. À ce jour, il n'a pas eu à affronter de nouveau une telle situation de violence politique mettant en jeu l'autorité même de l'État.

J'ai vécu une grande partie de ces événements de l'intérieur. Pas tous. Suffisamment pour affirmer que durant toute la crise, Robert Bourassa a gardé son sang-froid. Il est demeuré calme. J'ajouterais même serein. Fatigué, il l'était à l'occasion. La pression était terrible. Discipliné, il nageait tous les jours «ses longueurs de piscine», lesquelles lui permettaient de garder la forme et de trouver un peu de quiétude.

Souple dans l'application de ses principes, il n'en a jamais dévié: on ne plie pas devant le chantage, et l'autorité de l'État n'est pas négociable. À la tête d'une équipe de ministres inexpérimentés pour la plupart, entouré d'une très jeune garde rapprochée, chef de gouvernement depuis moins de six mois, il a su manœuvrer avec les Jean Drapeau et Pierre Trudeau, plus aguerris que lui.

Les membres du conseil des ministres, malgré des divergences occasionnelles et normales, ont fait preuve d'une totale solidarité. Personne, et surtout pas Robert Bourassa, n'a cru ni n'a été impressionné par la rumeur de gouvernement parallèle ou provisoire qui a couru durant quelques jours au Québec. En conséquence, celle-ci n'eut aucune espèce d'influence sur quelque décision que ce soit.

La crise eut aussi comme effet de transformer la façon de vivre du premier ministre, de ses ministres et de son entourage immédiat. Désormais, on allait vivre «à l'américaine», entourés de gardes du corps, et ne se déplacer qu'après s'être assurés que tout avait été minutieusement vérifié et contrôlé. On mit sur pied un curieux Centre d'analyse et de documentation (CAD), à l'image de ce qui existait, paraît-il, dans les «grandes capitales». Et on reçut, quotidiennement au début, plus rarement par la suite, d'étranges «rapports confidentiels d'information» sur les activités d'individus et de groupes politiques. Trop souvent nous avions lu ces informations dans les journaux du matin ou ceux de la veille! Qu'importe, cela en dit long sur les séquelles d'octobre. Au-delà du geste politique posé, je pense que le PQ prit la bonne décision en démantelant le CAD à son arrivée au pouvoir en 1976.

Je note aussi notre impuissance devant les informations transmises par les forces policières et, avant tout, l'incroyable optimisme dont elles faisaient preuve chaque fois qu'elles nous entretenaient des descentes qu'elles projetaient. Quelques-uns de leurs scénarios tenaient de l'hallucination, quand ils ne donnaient pas dans les visions d'apocalypse. Ils auraient été risibles dans des circonstances moins dramatiques que celles que nous vivions. Malgré tout, j'aurais mauvaise grâce à ne pas reconnaître que les forces policières, coordonnées par la Sûreté du Québec, ont accompli du bon travail tout au cours de ces événements dramatiques.

Dernier point: malgré tout ce qu'on a écrit ou dit, de vrai ou de moins vrai, depuis ces semaines terribles, je demeure convaincu que les décisions prises furent les bonnes, bien qu'on puisse contester la façon dont elles ont été exécutées, s'agissant, entre autres, des arrestations sans mandat.

* Claude Trudel, « De la crise d'octobre au printemps érable, parcours d'un citoyen engagé, 1960-2012 », Québec Amérique, 2015, ch 5.

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