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Statut du français au Québec : l'exemple inquiétant des universités

Accorder à l'anglais le statut de langue d'enseignement dans une université francophone, c'est augmenter la fragilité du français et c'est diminuer sa valeur en tant que langue de communication du savoir.
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Depuis quelques années, des signes alarmants se multiplient selon lesquels l'anglais est de plus en plus utilisé dans les universités francophones du Québec, particulièrement à l'Université de Montréal. En 2012, on apprenait la décision de HEC Montréal d'offrir une maîtrise entièrement en anglais. Récemment, des étudiants de l'Université de Montréal ont déploré que des professeurs permettent à leurs étudiants de premier cycle de remettre des travaux ou des examens en anglais et que cette langue prenne une place grandissante dans le matériel pédagogique. Comment expliquer cette érosion du français comme langue d'enseignement à l'université ? Comment interpréter ce laxisme dans l'application des politiques officielles des universités francophones qui consacrent pourtant la prédominance du français?

Indifférence et imprévoyance de la communauté universitaire

On ne connaît pas encore l'ampleur de la montée de l'anglais dans les études de premier cycle. Mais au deuxième cycle, on sait que HEC Montréal n'est pas la seule école d'administration francophone à avoir créé une maîtrise complètement en anglais. Depuis l'automne 2011, l'Université Laval, « la première université francophone en Amérique » comme le déclare le texte de présentation de son site officiel, offre elle aussi une maîtrise appelée « Global Business », que les étudiants peuvent suivre tout en anglais. Il s'agit donc d'une tendance qui se dessine dans l'ensemble du réseau universitaire francophone.

Malgré les lourdes conséquences de ce phénomène d'anglicisation, aucune critique ni aucune inquiétude n'a été sérieusement exprimée par des associations d'étudiants ou de professeurs, hormis quelques interventions individuelles (cf. Le Devoir, 2 janvier 2014 et 27 février 2012). Tout se passe comme si les universitaires ne se sentaient pas interpellés par le statut du français dans leur propre institution. Pis encore, les réactions entendues le plus souvent viennent de hauts dirigeants universitaires qui tentent de rassurer l'opinion publique en tenant un discours publicitaire sur l'excellence de leurs programmes ou en invoquant la mondialisation, l'ouverture sur le monde et la diffusion internationale de l'anglais. Une telle désaffection a de quoi inquiéter en raison de l'importance de la question linguistique au Québec et du rôle de critiques et d'éveilleurs d'esprits que doivent exercer les universitaires.

Comment expliquer que les universitaires ne se préoccupent pas davantage de la place du français dans leur institution ? On pourrait avancer que, pris dans leurs nombreuses activités professionnelles et enfermés dans leurs spécialités respectives, les professeurs et les étudiants n'ont plus le temps ni l'intérêt de participer activement aux divers débats qui animent la cité, ce qui laisserait supposer un regrettable désengagement de nos intellectuels. Se pourrait-il encore que les professeurs et les étudiants aient si bien intériorisé le discours de la suprématie de l'anglais qu'ils en soient arrivés à considérer comme normal que cette langue devienne, dans leur propre institution, une langue d'enseignement au même titre que le français ? Une telle hypothèse, particulièrement troublante, soulève toute la question du degré de conscience linguistique de l'élite francophone.

Bilinguisme individuel et bilinguisme institutionnel

On confond souvent le bilinguisme individuel, celui qui concerne un individu capable de s'exprimer dans deux langues, et le bilinguisme institutionnel, celui qui renvoie à l'emploi de deux langues dans les institutions publiques. Ces deux types de bilinguisme ne sont pas du tout de même nature et ils ont une portée sociale bien différente.

Quand on parle de la maîtrise de l'anglais ou de toute autre langue étrangère par les étudiants francophones, on renvoie forcément au bilinguisme individuel puisqu'il est alors question de la capacité d'un individu à communiquer dans une autre langue que sa langue maternelle.

Mais lorsque, dans une université francophone, on autorise les étudiants à rédiger des travaux et des examens en anglais, voire à suivre tout un programme dans cette langue, on est en présence d'une situation de bilinguisme institutionnel, où le français et l'anglais se voient tous les deux conférer un statut officiel de langue d'enseignement. Même si le français demeure prédominant dans l'ensemble des programmes, la langue anglaise voit son statut officialisé de facto à partir du moment où elle est utilisée comme langue d'enseignement dans un programme où elle n'est pas étudiée pour elle-même, comme dans un baccalauréat en études anglaises, mais où elle sert plutôt à la communication courante pour la transmission des connaissances. De telles pratiques bilingues prennent une signification sociale influant forcément sur l'image des langues en présence.

Le statut qui est effectivement attribué à une langue dans les différents secteurs de la société détermine son pouvoir d'attraction. Au Québec, la francisation des immigrants reste difficile parce qu'en Amérique du Nord l'anglais a plus de poids sur les plans démographique, politique et économique, sans compter son influence culturelle. Comment réussirons-nous à convaincre les immigrants d'adopter le français si nos propres universités se mettent à utiliser l'anglais comme langue d'enseignement, et si, au sommet de la pyramide du savoir et avec le consentement des francophones eux-mêmes, le français doit rivaliser avec l'anglais ?

Il est incontestable que les étudiants francophones ont tout intérêt à maîtriser une ou plusieurs langues étrangères, particulièrement l'anglais en raison de sa diffusion internationale. S'opposer à l'usage de l'anglais comme langue d'enseignement dans les universités francophones n'implique absolument pas, comme certains le croient ou cherchent à le faire croire, que l'on rejette le bilinguisme individuel et que l'on nie l'avantage pour les francophones du Québec de pouvoir s'exprimer dans une autre langue que le français. Il s'agit de deux questions différentes qui exigent chacune un examen et des réponses spécifiques.

Accorder à l'anglais le statut de langue d'enseignement dans une université francophone, c'est augmenter la fragilité du français et c'est diminuer sa valeur en tant que langue de communication du savoir. Le français, depuis des siècles, a servi à exprimer l'ensemble des phénomènes humains et à transmettre des connaissances dans tous les champs du savoir. Il reste apte à l'enseignement des affaires, du droit, de la science, de la technologie ou de toute autre discipline. Confier à l'anglais le rôle de langue d'enseignement peut aussi suggérer, mais à tort, que le français n'a plus la syntaxe ni le lexique requis pour transmettre les connaissances relatives aux divers domaines professionnels ou scientifiques et que, par conséquent, il faut lui substituer l'anglais, considéré comme supérieur non plus seulement sur le plan social, mais aussi sur le plan de l'expression de la pensée. On voit quelles graves conséquences peuvent découler de cette anglicisation insidieuse.

Concurrence entre les universités et clientélisme

Les défenseurs de cette forme d'anglicisation insistent beaucoup sur le recrutement d'étudiants étrangers. Ils citent notamment ceux de la Chine ou de l'Inde, où l'anglais domine comme langue seconde ou étrangère.

Il faut rappeler ici que le réseau universitaire québécois comprend à la fois un secteur francophone et un secteur anglophone, tous les deux bien développés et réputés. Dans ce contexte, on saisit mal pourquoi les universités francophones devraient recourir à l'anglais comme langue d'enseignement pour attirer des étudiants provenant de pays où cette langue est déjà en usage. Si ces étudiants ne désirent pas participer pleinement à la culture d'expression française en fréquentant une université francophone, ils ont tout le loisir de s'inscrire dans une université anglophone. Quand des dirigeants déclarent que nos universités « perdraient » des étudiants étrangers si on n'acceptait pas l'anglais comme langue d'enseignement, ils omettent de préciser que ce sont les universités du secteur francophone qui pourraient les « perdre » au profit des universités du secteur anglophone, éventualité bien sûr incompatible avec leur course effrénée aux « clientèles étudiantes ».

Cette concurrence, loin de découler de la mission éducative de l'université, émane d'une vision marchande des études et du savoir, et ne peut que desservir tout notre réseau universitaire. Pourquoi l'Université de Montréal ou l'Université Laval devraient-elles disputer aux universités anglophones du Québec les étudiants étrangers qui sont plus proches du monde anglo-saxon ? Le gouvernement du Québec consent d'énormes efforts pour financer les deux secteurs de notre réseau universitaire. Ainsi, selon les données du ministère de l'Éducation et selon les états financiers des universités, il attribue aux universités du secteur anglophone environ 25 % du budget global alloué à l'enseignement supérieur, alors que la communauté de langue anglaise représente seulement 12 % de la population totale du Québec. Ne peut-on pas espérer qu'avec de telles ressources financières les universités anglophones puissent pleinement jouer leur rôle d'enseignement et de recherche auprès des communautés auxquelles elles se rattachent linguistiquement, sans devoir subir la concurrence, culturellement et financièrement injustifiée, des universités francophones ?

En conclusion, il convient d'insister sur les trois faits suivants, abondamment attestés par la sociolinguistique : 1) une langue ne se maintient que si son utilité et son prestige sont assurés dans la société ; 2) les institutions, telles les universités, exercent, aussi bien dans leurs pratiques que dans leurs politiques, une influence décisive sur la valeur d'une langue ; 3) il est tout à fait possible de favoriser le bilinguisme des individus sans pour autant réduire l'importance de la langue première dans l'espace public. Par conséquent, chaque fois que le français perd sa primauté sur le plan social et institutionnel au profit de l'anglais, par exemple en tant que langue d'enseignement à l'université, il s'en trouve affaibli.

Il ne suffit plus de discuter de l'anglicisation dans laquelle nos institutions universitaires francophones sont déjà engagées, il faut l'arrêter pendant qu'il en est encore temps. Il importe de tout mettre en œuvre pour renforcer la place du français dans ces institutions en tant que seule langue d'enseignement. C'est l'unique voie à suivre pour empêcher nos universités francophones de devenir des universités bilingues.

Les francophones du Québec ne doivent jamais oublier qu'ils vivent dans une situation précaire où les deux langues en présence ne bénéficient pas de la même valorisation. Aussi, pour sauvegarder leur langue, doivent-ils en affirmer la prédominance comme langue officielle et comme langue de pratique professionnelle dans tous les secteurs de la vie publique, à l'université comme ailleurs. Sinon, la situation sociolinguistique dans laquelle ils vivent jouera inévitablement en faveur de l'anglais en raison de la plus-value de cette langue sur le marché actuel des échanges linguistiques. Les francophones du Québec doivent toujours penser et agir avec la conviction que leur langue, le français, est une grande langue de civilisation à diffusion internationale, encore et toujours apte à la communication dans tous les domaines du savoir et de l'activité humaine, y compris et surtout dans les plus hautes sphères du savoir.

Claude Simard, linguiste, professeur retraité de l'Université Laval

Claude Verreault, linguiste, professeur titulaire à l'Université Laval

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