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L'imbroglio du 8 mai 1945

Il est 0h28 quand l'ultime acte de capitulation est enfin signé. On est donc le 9 mai, d'autant qu'à Moscou, il est 2h28. Et c'est ainsi que l'armistice du 8 mai est pour les Russes, aujourd'hui encore, le 9 mai.
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Après le suicide de Hitler, le 30 avril 1945, l'amiral Dönitz a été désigné comme son successeur et se refuse à la capitulation générale sans conditions exigée par la « Grande Alliance ». L'obsession de la Wehrmacht qui continue de se battre à l'Est n'est plus de résister à outrance, mais d'échapper à la captivité soviétique. Le 3 mai, l'amiral von Friedburg envoyé par Dönitz négocie avec Montgomery en déclarant: « Pas un Allemand ne se rendra volontairement aux Russes. Ce sont des sauvages!". Eisenhower, chef des armées à l'Ouest, entend jouer jusqu'au bout le jeu de l'alliance avec les Soviétiques, mais ce n'est pas sans mal. Il doit refréner les ardeurs du chef de sa IIIe Armée, le bouillant Patton, qui vent en découdre avec « les bandits mongols ». Un ton en dessous, Churchill parle « d'aller serrer la main des Soviétiques, mais le plus loin possible à l'Est ».

Le 5 mai, les forces allemandes au Nord-Ouest de l'Allemagne réussissent à opérer une reddition séparée devant le XXIe Groupe d'Armées de Montgomery, l'ombrageux et peu discipliné adjoint du général Eisenhower. Le même jour, von Friedburg part pour une mission identique à Reims où Ike a établi son QG. Il est reçu par le chef d'État-Major Bedell-Smith qui est catégorique: « Plus de reddition séparée. Capitulation totale et immédiate, ou rien ». Dönitz s'incline non sans avoir réussi le 6 mai la reddition dans le sud de l'Allemagne des Ière et IXe Armées. Jodl, chef d'État-Major du « gouvernement Dönitz » signe l'acte de capitulation, le 7 mai à 02h41. Les combats devront prendre fin le 8 mai à 23h01, et tout mouvement de troupes sera dès lors interdit.

Ike a tenu à ce que des représentants soviétiques soient présents, mais cela ne suffit pas à Staline qui estime que Reims n'est qu'un acte préliminaire, d'autant que les Occidentaux n'ont pas eu le temps de se mettre d'accord sur une déclaration commune avec les Soviétiques. On convient d'une nouvelle signature, le soir du 8 mai, à Karlshorst, tout près de Berlin, mais, en attendant, il faut taire la signature à Reims. Les journalistes présents ont juré le secret, mais « Radio Flensburg », modeste émetteur de la ville proche de la frontière danoise où s'est réfugié le « gouvernement Dönitz », annonce la capitulation. Estimant que le silence a été rompu, le journaliste américain Edward Kennedy informe son agence, « l'Associated Press ». Les foudres de la censure militaire s'abattent aussitôt. L'AP est priée de mettre son plus beau scoop sous le boisseau et le journaliste est licencié.

La nouvelle se répand quand même, mais elle ne devient officielle que le 8 mai à 15h (sauf à Moscou), alors que la « grande signature » n'a toujours pas eu lieu à Berlin-Karlshorst. Elle tarde d'autant plus que les Alliés se disputent à n'en plus finir sur le protocole. Qui signera et en qualité de qui? Les plénipotentiaires allemands qui sont là vont attendre douze heures dans une petite pièce attenante à la grande salle qu'on prépare pour la circonstance (on peut toujours la visiter). Ce sont Keitel pour la Wehrmacht, von Friedburg pour la Kriegsmarine et Stumpff pour la Luftwaffe. On s'accorde enfin sur le protocole. Il y aura deux signataires: le maréchal Joukov et le général britannique Tedder, adjoint d'Eisenhower et qui le représente (pas question que celui-ci aille s'aventurer dans ce qui est d'ores et déjà la zone d'occupation soviétique). Deux témoins apposeront en outre leur signature: le général d'aviation américain Spaatz et le général de Lattre de Tassigny, chef de la Ière Armée française. De Gaulle réussit là un grand exploit diplomatique, car Staline ne voulait pas entendre parler des Français qu'il considère comme d'affreux collabos. De Lattre devrait donc faire profil bas. Eh bien, non! En risquant un œil dans la salle qu'on apprête, il a constaté l'absence du drapeau français et a déclaré qu'il ne signerait pas sans lui. Affolés, les Soviétiques s'activent, mais de drapeau français, on ne trouve point. Alors, à la russe, on en confectionne un avec des morceaux de tissus disparates et que d'abord on assemble en bandes horizontales. Tout s'arrange enfin sous l'œil gaullien du général français.

Il est minuit passé de quelques minutes, quand la délégation allemande est invitée à pénétrer dans la salle, Keitel en tête qui brandit son bâton de Generalfeldmarschall. Il est 0h28 quand l'ultime acte de capitulation est enfin signé. On est donc le 9 mai, d'autant qu'à Moscou, il est 2h28. Et c'est ainsi que notre 8 mai est pour les Russes, aujourd'hui encore, le 9 mai.

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Claude Quétel - La Seconde Guerre Mondiale - Ed. Perrin

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