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Le pardon n'existe plus au Canada: précisions!

L'introduction d'une nouvelle expression telle quemet à risque la mobilité des Canadiennes et des Canadiens qui ont commis un écart dans leur vie.
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Pour donner suite aux nombreux commentaires et questions reçus à la suite de la publication de mon billet sur le pardon, je crois qu'il est nécessaire de revenir sur le sujet d'une manière plus technique, disons juridique pour couvrir notamment le waiver américain et le pardon comme tel, dans son ancienne et nouvelle forme. Seront brièvement examinées les opérations.

Les amendements de 2012

Sommairement, revenons sur le premier billet dont voici un extrait:

«La suspension du dossier remplace désormais le pardon en matière criminelle. Je m'explique. Cela risque de faire problème aux voyageurs du Québec comme du Canada. La Loi sur le casier judiciaire en titre abrégé, ( L.R.C. 1985, ch. C-47) a été profondément modifiée: je fais référence à l'ancienne appellation au long de la Loi relative à la réhabilitation des condamnés qui se sont réadaptés. En droit, il suffit souvent de changer un seul mot pour que tout un processus dévie complètement.

L'article des définitions mentionnait précisément les mots «réhabilitation» et «pardon». Or, en matière de pardon, l'expression consacrée par le droit des nations et qui fait que tout le monde s'y retrouve, c'est le mot «pardon». Cette expression comporte une connotation à la fois humanitaire et théologique dont les origines remontent loin dans l'histoire de l'humanité. Ainsi, lorsqu'une personne a bénéficié d'un pardon, partout dans le monde occidental, on sait de quoi on parle. Mais voilà! En 2012, le bon gouvernement Harper a abrogé la loi, ce qui a eu pour effet de retirer de l'article des définitions les mots «réhabilitation» et «pardon»: c'est l'article 109 du chapitre 1 des lois de 2012. Désormais, il faut utiliser l'expression de «suspension de dossier». La nouvelle loi s'intitule désormais: Loi relative è la suspension du casier judiciaire des condamnés qui se sont réadaptés. Le pardon n'existe plus.»

Fin de l'extrait du premier billet.

Précisons que le pardon d'autrefois devenu suspension de dossier n'affecte pas le pardon royal prévu à l'article 748 au Code criminel et qui relève de Sa Majesté utile notamment pour les erreurs judiciaires. Le législateur aurait-il voulu en élargir l'application à ce qui était le pardon de la Loi sur le casier judiciaire, donc probablement moins accessible? Malgré l'intervention du NPD, ce fut une autre modification législative des conservateurs peu annoncée et expliquée, et certainement pas diffusée et proprement débattue.

Un solide débat proprement diffusé aurait dû avoir lieu au Parlement et non dans le Huffington Post Québec.

Le pardon pour Madame et Monsieur tout le monde

La procédure à laquelle je fais référence est celle qui s'adresse à Monsieur et Madame tout le monde et qui vise à suspendre les effets d'un casier judiciaire après une période de temps, maintenant de cinq ou dix ans selon qu'il s'agit d'une infraction sommaire ou d'un acte criminel.

L'ancienne procédure que l'on désignait aussi par l'expression de pardon avait une compréhension universelle laissant croire à la personne qui l'obtenait qu'elle recommençait à neuf, sans les conséquences, ou l'obligation de divulguer une erreur de jeunesse par exemple. C'était une nouvelle chance. C'est l'acception et la compréhension presque universelle de ce mot qui lui conféraient une valeur morale et juridique transnationale. On l'a remplacé par le terme administratif de suspension de dossier qui aurait les mêmes effets, mais dont la compréhension pour les états étrangers et leurs administrations risque de faire problème.

Compréhension internationale du pardon

L'Article II, Section 2 de la Constitution des États-Unis déclare un pardon présidentiel. La plupart des états américains ont une loi sur le pardon. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques mentionne explicitement la grâce à son Article 6. Et ainsi de suite...y compris l'Algérie, imaginez.

Or, ce pardon a été remplacé par la suspension du dossier qui réfère à une notion purement administrative, dégagée de toute connotation théologique et humanitaire. C'est comme si on vous disait: «N'en parlez plus, mais on vous a à l'oeil». Sous l'ancienne loi, le citoyen ordinaire qui avait admis sa faute bénéficiait d'une sorte de nouvelle virginité.

Banques ou bases de données

La portée presque internationale d'une condamnation criminelle est importante en raison des banques de données ou bases de données que s'échangent les organismes responsables de la sécurité à travers le monde. Au Canada, c'est le FPS (Finger Print System) ou SED en français (Système d'empreintes digitales - Bertillonnage) géré par la GRC. Cette base de données qui est partagée avec les États-Unis et les partenaires d'Interpol fait état de vos condamnations criminelles (y compris les infractions sommaires). Une information erronée à votre sujet peut vous bloquer à un poste-frontière. C'est à cet endroit précis du processus que l'obtention d'un pardon, devenu une suspension de dossier, est importante parce qu'elle peut avoir un impact ou une influence extraterritoriale dans la décision d'un gouvernement étranger de vous admettre ou non sur son territoire, ce qui comprend le fameux waiver. Cette banque de données, si elle n'est pas mise à jour et partagée, peut vous priver d'un accès.

Comme je l'écrivais précédemment, c'est la conciliation des banques ou bases de données qui peut redonner une nouvelle vie à la personne condamnée il y a dix ans ou plus. Si la mention pertinente d'un pardon n'y est pas, ou que les autorités n'en sont pas informées d'une manière ou d'une autre, la condamnation peut conserver ses effets. Évidemment, l'état où vous souhaitez être admis conserve sa discrétion pour évaluer et considérer ce pardon ou suspension de dossier depuis 2012, c'est-à-dire de lui accorder tout le poids ou l'importance qu'il veut bien lui accorder, à sa complète discrétion. Il peut en tenir compte ou non, compte tenu de la gravité de la condamnation et de la règle d'équivalence de part et d'autre de la frontière. Ainsi, une accusation de possession simple de drogue, de marijuana par exemple, aura un poids différent selon que vous demandez un waiver pour visiter un ami au Vermont ou au Texas.

Nous soumettons que l'impact du pardon, devenu la suspension du dossier, résulte de la compréhension et de l'interprétation des banques ou bases de données partagées par les autorités étrangères et ce, à leur discrétion. L'introduction d'une nouvelle expression telle que suspension de dossier met à risque la mobilité des Canadiennes et des Canadiens qui ont commis un écart dans leur vie.

La difficulté des amendements de 2012 est qu'universellement les mots pardon, mercy et grâce ont une acception connue, humanitaire voire théologique.

L'expression de suspension de dossier dans le contexte particulier de la gestion des banques de données pose un problème, prima facie. C'est une nouvelle expression purement administrative qui ne dit rien aux non-initiés.

Des exemples de demandeurs

Voici trois exemples ou cas pratiques de demandeurs de waiver.

Un demandeur de waiver américain souhaite rendre visite à un ami au Vermont mais il a une condamnation pour possession simple de marijuana. Il n'a pas de pardon en vertu de l'ancienne loi ni de demande pendante en vertu de l'ancienne ou de la nouvelle loi. Par ailleurs, il dispose d'un répondant américain sans dossier ni lien avec le crime organisé ou organisation terroriste. Au surplus, lui-même et son répondant sont de bons citoyens, pères de famille avec un emploi. La visite sera de quelques jours, annoncez-vous.

Vos chances de l'obtenir sont bonnes, mais vous avez intérêt à préciser pourquoi vous n'avez pas demandé un pardon... ou suspension de dossier... parce que la base de données est toujours active en ce qui vous concerne. La présence d'un répondant crédible vous donne des chances, son absence les diminue.

Le même exemple avec une demande pendante sous l'ancienne loi. Les autorités américaines vont comprendre qu'il s'agit d'un pardon. Vous augmentez vos chances. Sous la nouvelle loi, c'est loin d'être clair. Vont-ils comprendre la suspension de dossier? Mais la base de données est toujours active à votre sujet.

Le même exemple, mais cette fois vous avez obtenu un pardon sous l'ancienne loi. Normalement, l'information devrait être partagée et compte tenu de leurs critères et du genre d'infraction surtout, les autorités vont probablement en tenir compte. La base de données devrait le mentionner, ou il faudra en informer les autorités. Le crime pour lequel vous avez été condamné a été commis au Canada et le fait que le Canada vous pardonne, vont maximiser vos chances au point où vous n'aurez peut-être plus à demander de waiver à l'avenir! Compte tenu des règles d'équivalence, on peut légitimement penser que les autorités américaines vont suivre, mais pas toujours, car elles ne sont pas liées et sont jalouses de leur discrétion. Sous la nouvelle loi, je ne sais pas! Ce sera plus compliqué, je pense... pas mal plus même avec une suspension de dossier!

Des facteurs pris en compte

Les facteurs pris en compte par les États-Unis, le fédéral et les États de destination: type de crime (crime organisé et terrorisme - exclusion totale selon mon humble opinion), répondant, destination, but du déplacement, durée, travail ou tourisme... avoir fait une demande de pardon...ou suspension de dossier... pendant ou obtenu... le renseignement (intelligence).

Pris en compte ne veut pas dire lier ou obliger: être admis dans un autre État est un privilège non un droit soumis à des conditions discrétionnaires. Les gouvernements traitent d'égal à égal, d'où l'importance des règles d'équivalence.

Règle d'équivalence

Exemple: existe-t-il un crime de possession simple de telle ou telle drogue dans tel ou tel état étranger comme au Canada? Par ailleurs, il se peut que ce qui n'est pas un crime au Canada le soit à l'étranger. L'équivalence doit être réciproque.

Il faut aussi une équivalence dans la conciliation des banques de données: partage d'informations FPS SED entre les États-Unis et le Canada (et Interpol pour les autres) lors des condamnations, et le partage passé du pardon puisqu'une condamnation est territoriale et que nos lois sont d'application territoriale. Aux USA les condamnations suivent les USPerson, autrement dit le citoyen américain où qu'il soit, donc leur critère d'application des lois est différent. Il n'y a pas d'équivalence à cet égard, mais auparavant on utilisait le même terme pour désigner un pardon. Avec la suspension, il n'y a plus d'équivalence puisqu'ils ont encore le pardon.

Retenez ceci: il n'y a pas apparemment de lien entre le pardon, devenu suspension de dossier, et l'obtention ou non d'un waiver. Mais sachez que si vous n'en obtenez pas un, votre condamnation continuera d'être connue «à la grandeur de la planète» parce que les autorités l'auront partagé avec pas mal de monde grâce aux bases de données. Vous avez donc intérêt à demander un pardon devenu suspension de dossier même si on ne sait pas trop ce que cette dernière expression veut dire. Il est là le problème que j'ai identifié dans mon premier billet. Dans les partages d'info à partir des bases de données, nos partenaires vont-ils comprendre de quoi il s'agit suspension de dossier? J'en doute.

Cela étant dit, consultez un avocat d'autant plus que ça risque d'être encore plus compliqué.

Par ailleurs, chèr(e)s lectrices et lecteurs, retenez ceci qu'en matière de relations transnationales tout n'est que probabilité et qu'il n'y a pas de certitude. Pour chaque espèce, il s'agit donc essentiellement d'augmenter et d'optimiser vos chances.

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