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Pour la période estivale, je reviens à mes premiers amours : Flic et confidences. De petites histoires de police.
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Denis un autre nouveau lieutenant s’était porté malade, et en tant qu'officier plus expérimenté, je devenais le responsable du groupe.
Jean-nicolas Nault
Denis un autre nouveau lieutenant s’était porté malade, et en tant qu'officier plus expérimenté, je devenais le responsable du groupe.

La nuit s'annonçait mouvementée. Déjà à mon arrivée, les cellules sont remplies et Richard, le sergent de soir a l'air tout heureux de me voir un peu en avance.

-On est dans la marde ! Encore une fois, la photocopieuse marche pas, il faut aller au deuxième pour faire les copies. T'as vu les que les cellules sont pleines, mon tourne-clé n'a pas eu le temps de tout faire. Ha oui... j'ai deux gars à St Luc pour une garde de détenu.

-Ok, Richard, je vais m'arranger.

-C'est toi le lieutenant cette nuit?

-Ouais!

Denis un autre nouveau lieutenant s'était porté malade, et en tant qu'officier plus expérimenté, je devenais le responsable du groupe.

-Bonne chance !

J'en aurai besoin. J'ai mes deux tourne-clés qui courent déjà comme des idiots dans les escaliers tout ça pour terminer la copie des rapports laissés en vrac. Puis la sortie des cellules de ceux qui peuvent être mis à la porte et le transport de ceux qui auront à comparaître. Bien sûr, il y aurait le lot de la nuit pour s'ajouter à tout ça. Tiens, ça commençait déjà, mes gars n'avaient pas une demi-heure de faite, que trois détenus se pointaient.

-Va chier le chien !

Paf, petit claque derrière la tête, histoire de lui rappeler qu'il est chez nous et pas dans son salon. Les deux autres ont bien compris et demeurent prudemment muets.

-Il reste de la place dans la cinq et la six, vous me les parquez là !

Pas joli de le dire comme ça, mais ici, pas le temps de faire dans la dentelle. La nuit passe à un rythme accéléré, on gère le stress. Mais vers les trois heures, mes deux aides de camp n'en peuvent plus. Il faut comprendre qu'entre les plaignants qui viennent au comptoir, les détenus à surveiller, ceux à sortir, puis ceux à entrer, il faut aussi faire les photocopies en cinq exemplaires. C'est parfois douze à quinze feuilles et ça, à répéter trente et même quarante fois durant la nuit. Le trajet de bas en haut devient un parcours du combattant.

-Sarg... ils vont la réparer quand la machine ?

-Demain !

Le grand Pierre me regarde tout découragé et comment ne pas comprendre, surtout que derrière moi, un autre détenu se pointe avec un visage ensanglanté. Je ne sais pas si c'est ça qui m'inspire, mais dès ce moment, j'ai une idée géniale. Pourquoi ne pas échanger les photocopieuses. Bon, ce sont des mastodontes, mais le nôtre est en fin de vie tandis que celle du directeur régional est toute neuve. Sa secrétaire ne s'en sert que pour quelques copies.

C'est alors qu'entrent mes hommes forts, Michel, Ti-Marc, le gros Yves et Derek. Je leur explique l'affaire et comme je suis l'officier, ils n'auront aucune responsabilité là-dedans. Nous voilà donc avec l'aide de quelques autres, en pleine ascension des marches menant au deuxième, avec une photocopieuse qui pèse plus de 250 kilos et qui... Laisse s'écouler tout son réservoir d'encre noir. Ouais, j'avais oublié ce détail.

-On ramassera après !

Finalement, au bout de quarante minutes d'efforts, l'échange est fait. Il ne me reste qu'à nettoyer cette longue trace noire et poisseuse. Je me mets donc à la tâche, car la nuit est avancée et je ne veux pas entendre le cri de mort de la secrétaire au matin, quand elle se rendra compte de l'échange. Je suis en plein nettoyage serpillière à la main, quand un couple très mal assorti arrive au comptoir. Lui, en veste et cravate, et elle, courte vêtue et œil au beurre noir.

-Ça ne sera pas long !

Je reconnais la jeune femme, c'est la petite Nicole, une jeune prostituée du secteur. Elle semble mal en point, les cheveux en bataille, l'œil poché et un mince filet de sang coule de ses lèvres. Je m'approche.

-Il se passe quoi?

L'homme tout excité de colère pousse la jeune femme de côté et commence à m'expliquer.

-Elle a pété mon pare-brise la salope, un criss de coup de pied.

Nicole me regarde d'un air peiné.

-Il ne voulait pas venir. Ça faisait vingt minutes que je suçais, pis y'me retenait la tête l'ostie. J'arrivais pas à bouger.

Je regarde le bonhomme qui me devient tout à coup antipathique.

-Elle a frappé mon pare-brise avec ses pieds, il est tout craqué.

-Et tu as tapé comme ça !

-Ben oui... faut comprendre, j'étais en colère. J'ai le droit de venir quand je veux, j'ai payé. Et là, cette salope... Elle me pète mon pare- brise.

Je cause deux minutes avec Nicole tout en l'amenant aux toilettes pour se débarbouiller un peu. La jeune femme n'est pas sûre de vouloir porter plainte, on peut comprendre les filles de la rue d'avoir peur des tribunaux. Mais le client insiste maintenant pour se faire rembourser.

-Je veux ravoir mon argent et je porte plainte contre cette poufiasse.

Je tente de lui faire comprendre qu'il a commis un geste illégal, pire, il a agressé physiquement la jeune femme. Peut-être qu'il ferait mieux d'oublier toute l'affaire.

-Écoutes bien toé... Je porte plainte et si tu ne fais rien, je vais te faire perdre ton job !

Chose à ne pas dire dans un poste de police. Je saute par dessus le comptoir et ramasse le bonhomme que je pousse jusqu'au comptoir des détenus. Pas un de mes hommes n'a eu le temps de réagir.

-Tu fais quoi là ?

-Je te fais visiter la maison.

-T'as pas de motifs pour m'arrêter!

Je regarde le petit boss des bécosses avec un petit sourire ironique.

-Ho oui j'en ai un, t'es pas venu assez vite!

Nicole qui lavait ses plaies sort de la toilette juste au moment ou son agresseur entre aux cellules. La jeune femme me regarde avec beaucoup de tendresse. La petite sait qu'avec quelques autres comme moi, elle peut être tranquille. Sa vie est assez dure comme ça, sans nous avoir sur le dos pour des raisons politiques.

L'homme plaidera coupable par la suite. Disons qu'il espérait que Madame n'en sache rien.

La photocopieuse dans tout ça? L'affaire fera tout un scandale. Le directeur régional qui me détestait bien avant, me haïra d'autant plus. Il fera venir les gens de chez Xerox pour rechanger les photocopieuses. Ils en profiteront pour réparer la nôtre qui tiendra deux jours. Je ne sais pas pourquoi, je recevrai l'ordre exprès de mon directeur : ne plus jamais toucher le jouet de la secrétaire régional.

Avril 2018

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