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CONTE DE NOËL: N'ayant pas beaucoup d'ancienneté au département de la flicaille, je me retrouve toujours au quart de nuit à Noël. Nous la bleusaille arpentons les rues enneigées par un froid de canard, alors que la plus part des commerces sont fermés. J'ai quand même de la chance, ma faction est de St Laurent à Berri sur la rue Ste Catherine. Trois resto ouverts, quelques courageuses tapineuses espérant un éventuel client, mais peu de marcheurs et encore moins de voitures. La belle Carole porte son habituelle jupe de cuirette rouge et se camouffle du mieux qu'elle le peut, entre deux portes closes.
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Des contes de Noël pleins de joie, d'amour, d'espoir, de peur, de colère, de fantasmes... C'est le calendrier de l'Avent du Huffington Post Québec. Retrouvez chaque jour un conte de Noël en attendant le passage du père Noël.

N'ayant pas beaucoup d'ancienneté au département de la flicaille, je me retrouve toujours au quart de nuit à Noël. Nous la bleusaille arpentons les rues enneigées par un froid de canard, alors que la plupart des commerces sont fermés. J'ai quand même de la chance, ma faction est de St Laurent à Berri sur la rue Ste Catherine. Trois restos ouverts, quelques courageuses tapineuses espérant un éventuel client, mais peu de marcheurs et encore moins de voitures. La belle Carole porte son habituelle jupe de cuirette rouge et se camoufle du mieux qu'elle le peut, entre deux portes closes.

-Salut la police...

-Salut, tu travailles ce soir?

-Ouais...

La conversation s'écourte, une voiture s'est arrêtée un peu plus loin et la belle enjambe un petit tas de neige, pour s'enfourner rapidement dans l'auto. Au moins, elle aura chaud.

De mon côté, l'église Saint Jacques étant sur mon chemin, je m'y arrête. Ce sera quand même un peu de chaleur. La messe de Minuit est déjà bien entamée quand je pénètre à l'intérieur du grand portique. Je vois que je ne suis pas le seul à penser ainsi, juste au fond du parvis se bouscule un petit groupe de sans-abris, nous autres on nomme ça des robineux. Ils sont peut-être robineux, mais ils ne sont pas bêtes. Quand les fidèles remplis de Dieu sortiront tout à l'heure, ils auront la main plus bienveillante et sonnante.

-Tu vas pas nous mettre dehors constable?

Je regarde Maringouin* qui comme d'habitude a commencé sa soirée assez tôt.

En fait il n'a pas fini sa journée, ni sa semaine. Depuis que je connais Maringouin, je ne me souviens pas de l'avoir vu sobre. Avec ce qu'il ingurgite, le bonhomme doit être une force de la nature.

-Ben non Maringouin, surtout pas une nuit comme ça.

Mon gros homme me fait un énorme sourire et sort de sa poche une bouteille de St Georges, pour ceux qui ont déjà goûté ce vin, vous comprendrez. Mes robineux l'agrémentent habituellement d'une bouteille d'alcool à friction, ça lui donne du corps.

-T'en veux-tu un peu ?

-Non merci vieux... j'essaye d'arrêter.

Maringouin ne comprend pas la subtilité de ma réponse et il s'en tape. Le gros homme enfile une rasade toute spéciale qui va lui donner à la fois une haleine de chiotte et du courage pour quêter.

Un marguillier tout sec et vêtu de noir bloque la porte de la nef. Esquissant un geste d'impatience il s'approche de moi me glissant à l'oreille.

-Vous devriez les mettre dehors, ils empestent.

Je le regarde avec un grand sourire tout en ne bougeant pas d'un poil. Croyant que je n'ai pas compris, il s'approche encore une fois.

-J'aimerais bien qu'ils partent avant la fin de la messe.

-Moi aussi...

L'homme me regarde avec un air de: il n'a pas toute sa tête ce policier. De mon côté, je garde ce joli sourire à demi baveux.

-Ils vont se mettre à quêter, vous savez...

Cette fois je cesse de sourire et à mon tour, je me penche vers lui. L'homme semble tout étonné.

-C'est une église ici?

-Heu.. Oui.

-Donc, Dieu y est présent?

Petite hésitation de sa part et regard interrogatif.

-...Oui

-C'est pas lui qui aime les plus pauvres, les plus démunis?

-Ben...

-Alors, soyez heureux, vous les avez avec vous ce soir.

Le pauvre marguillier me regarde sans trop pouvoir comprendre. Il a l'habitude d'être avec des rats de bénitiers qui sentent la lavande, pas avec des pochards qui empestent l'alcool.

-Je ne vais pas les mettre à la porte et vous non plus. Ils ne dérangent personne et probablement que la moitié d'entre eux ne seront plus de ce monde l'an prochain, alors un peu de tolérance ne ferait pas de tort.

L'homme tout décontenancé retourne à sa porte. Pour tout le reste de la messe, il évitera de me regarder. Quelques longues minutes plus tard, la meute des fidèles passera presque sans regarder nos pauvres sans abris. Quelques-uns laissent des pièces de monnaie, mais pour la plupart, l'odeur de la pauvreté les fait fuir sans même jeter un coup d'œil.

La messe terminée, il me reste à reprendre la patrouille à pied. Dans deux heures, un repas des fêtes m'attend au poste. Nous faisons ça à tous les Noëls par petits groupes. Bien sûr, on ne va pas priver la population de ses services.

Tout à coup derrière moi j'entends la voix de mon nouvel ami.

-Hey constable !

Maringouin, je l'avais oublié celui-là. Mon gros robineux s'amène en clopinant, il porte des bottes trop grandes pour lui, mais comme il dit toujours: «avec trois paires de bas, on gèle pas.»

-Oui Maringouin, tu veux quoi encore ?

-Rien, regarde...

Tout heureux, il me montre un tas de change. Il doit bien y en avoir pour cinq à six dollars.

-Tu sais le gars ben sec avec qui tu parlais et qui voulait toujours nous mettre dehors, c'est lui qui m'a donné ça.

-Je suis content pour toi Maringouin.

-Je vais manger au China-Town pis dormir un peu.

-Alors joyeux Noël

Je commençais à penser que Dieu pouvait accomplir des miracles.

Mon robineux partit en vitesse, du moins assez rapidement vu son état. Noël allait être un peu meilleur. Un peu de Chinois et un lit à trente sous**. Sa nuit n'avait pas été si mal après tout. Au matin il irait chez la sœur Bonneau pour un repas des fêtes, mis à part le froid, Maringouin aurait une période faste.

De mon côté je me les gelais. Il me restait à attendre mon tour, pour la tourtière et le café.

*Maringouin est mort à 68 ans, en 1985. Ce bonhomme fort comme un ours et souvent de mauvais poil, était devenu un ami. Même embrouillé par la bibine, le bonhomme n'oubliait pas qui j'étais. Lui et Ti-Mand (Armand) Auger, aimaient bien se mesurer aux policiers du secteur.

**Dans ces années, il y avait plusieurs maisons sur la rue St Laurent, entre la rue St Antoine et René Lévesque qui accueillaient les SDF pour 25 cents. Les gens y dormaient entassés à même le sol. Ils appelaient ça des Lodgins.

LES CONTES DE NOËL DU HUFFINGTON POST QUÉBEC

- 1er décembre - Un joli compte de Noël - Réjean Bergeron

- 2 décembre - Le père Noël n'existe pas - Bianca Longpré

- 3 décembre: Le dernier cadeau - Yannick Marcoux

- 4 décembre: Pour Noël, j'aimerais manger trois fois par jour... - Virginie Chaloux Gendron

- 6 décembre: Pour toi chère Clotilde - Patrick Laperrière

- 8 décembre: Un Noël de plus en célibataire - Isabelle Tessier

- 9 décembre: Un Noël dans le Bronx - Steve E. Fortin

- 10 décembre: L'étrange histoire de Monsieur Perdu - Karim Akouche

- 11 décembre: Le conte «trash» de la cloche - Josée Durocher

- 12 décembre: Les doux Noëls silencieux d'une petite autiste - Marie Josée Cordeau

- 13 décembre: 24 décembre, 1001 Notre-Dame - Steve Marchand

- 15 décembre: L'histoire d'un conte... - Pascal Henrard

- 16 décembre: Un Noël dans la solitude - Suzie Pelletier

- 17 décembre: Ceci n'est pas un conte pour enfants - Anne-Marie Dupras

- 18 décembre: L'invention diabolique de la fête de Noël - David Sanschagrin

- 19 décembre: Un Noël de peluche - Florence Meney

- 20 décembre: Le petit garçon qui disait non - Nicolas Whiting

- 21 décembre: Cher père Noël - Caroline Dubois

- 22 décembre: La dernière légende de Noël - Robert Laplante

- 23 décembre: Un pas vrai conte de Noël - Claude Aubin

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Le Grand Marché de Noël de Montréal à la Place des Arts

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