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Une vieille de la vieille!

Depuis plus de 38 ans , Thérèse s'appuie contre le mur du restaurant au coin nord-est des rues Saint-Laurent et Sainte-Catherine. Elle n'attend pas l'autobus, elle fait le trottoir. Les restaurants ont eu le temps de changer trois fois de noms, d'autres ont simplement disparu. Thérèse, malgré les années, y est encore.
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Depuis plus de 38 ans maintenant, Thérèse s'appuie contre le mur du restaurant au coin nord-est des rues Saint-Laurent et Sainte-Catherine. Elle n'attend pas l'autobus, elle fait le trottoir. Les restaurants ont eu le temps de changer trois fois de noms, d'autres ont simplement disparu. Thérèse, malgré le passage des années, y est encore.

J'ai connu cette femme dans les années 70, alors qu'elle faisait la pute depuis un certain temps. Notre travailleuse de rue, un peu grassette, lunettes en fond de bouteille et une énorme paire de seins, ne remportait pas des prix de beauté. Pourtant, s'il y a une chose que je sais, c'est que Thérèse n'a jamais manqué de clients. Quand je l'ai revue la dernière fois, elle fêtait ses 40 ans de métier. Mais dans ce domaine, pas de médaille comme dans la police, pas de plan de retraite, pas encore de pension de vieillesse. Thérèse a 56 ans, son corps en a au moins 10 de plus. Cette femme, tout comme le club Cléopâtre et Le Montréal pool room, demeure un vestige d'un passé pas si simple.

En 1974 ou 75, la belle n'avait pas encore 18 ans et vivait dans le bout de Sorel. Sa mère venait de se trouver un nouveau chum, un cinquième ou sixième. Ce nouveau beau-père aimait les gros tétons. Quand sa mère vit ça, la décision devint simple. C'était lui ou sa fille. Thérèse devait partir. Puis, le beau-père fit la même chose avec sa petite sœur, alors sa mère s'est trouvée un autre chum, pis un autre...

Montréal, Thérèse avait vu ça à la télévision. Des amis se vantant d'avoir mangé des hot-dogs sur la Main. Alors un soir, la jeune femme ramassa son sac, vola 10 piastres à sa mère et atterrit au terminus Berri. Elle ne connaissait pas le coin, mais il fallait s'adapter. Thérèse n'avait pas de travail, nulle à l'école, pas très belle avec ses loupes, mais elle possédait de gros... jouets. Ils sont encore là!

À l'époque, plusieurs filles pouvaient travailler sans pimps, mais elles devaient acheter la drogue des Dubois. Le monde de la nuit se ramassait à La Grande, la discothèque la plus hot en ville. Pour la gang de fuckés de l'époque, cette discothèque et l'Ostie de Place sur Saint- Denis étaient les endroits où il fallait être entre 2h et 5h du matin. Les pushers étaient là, à les attendre. Il y avait même le gros Gaston dans sa chaise roulante, assis sur le stock.

En général, les relations entre Thérèse et la police n'étaient pas trop pire. Un char lettré passait et les gars disaient: « Restez-pas là ». Les filles marchaient cinq-six pieds et revenaient sur le coin. C'était comme un jeu. Mais il y avait des épais comme le boutonneux qui sortait souvent de son char pour crier des noms comme « les chiennes », « les salopes », « les putes sales ». Les filles lui faisaient des doigts d'honneur et lui courrait pour les ramasser, c'était un vrai tata. Son père était un maire à quelque part.

Il y avait aussi les descentes. Les gars de la moralité jasaient avec les filles pendant des semaines, demandant de l'information. Puis à tous les deux mois, un vendredi ou samedi soir, ils arrivaient et ramassaient une cinquantaine de filles qui dormaient une nuit en cellule. Elles passaient devant le juge, avaient une amende et retournaient sur leur coin.

Thérèse a aussi connu des policiers qui protégeaient les filles. Des gars qui ne demandaient rien d'autre que de ne pas voler les clients. Ces policiers prenaient souvent la plaque d'un gars, juste au cas où et sans jamais demander quelque chose en retour. Mais si les filles volaient un client, elles les avaient dans les pattes tant qu'ils n'avaient pas trouvé la coupable.

Quand Thérèse et ses amies arrêtaient de travailler, elles se ramassaient au Green Garden, un restaurant chinois au coin d'Hôtel-de-Ville. Les policiers mangeaient là aussi et tout le monde se parlait. C'était comme une place neutre, un oasis dans le désert. Les filles racontaient les exploits de la nuit et les policiers en riaient. Il y avait parfois des chicanes entre filles, et les flics tentaient de calmer le jeu.

Plus tard, ils ont fermé le restaurant et La Grande et Les Foufounes électriques ont ouvert. Avec ça, les punks sont arrivés. Les filles se sont fait pousser par des gars violents au crâne rasé, chaussés avec des Doc Martins. La ville a changé la signalisation des rues, fait un tas de one way, les clients ont commencé à se faire harceler et les filles ont dû déménager. La Main était moins la place pour la « baise ». Thérèse est restée quand même, gardant ses réguliers. Maintenant, elle et quelques autres font partie des vestiges. Chez les vieilles, il reste Terry B. et la petite Louise. Des filles comme Lucie ou Diane, se sont recyclées. D'autres comme Nancy, Nicole et le grand Roger sont morts d'overdose. Barbara est devenue antiquaire, Janis on ne sait pas... Alors Thérèse ne connait plus personne.

Ça fait plus de 40 ans que Thérèse vit sur La main. Ça fait 40 ans qu'elle fait la pute et qu'elle le fera jusqu'à son premier chèque de pension. Si vous passez sur la rue Saint-Laurent et que vous voyez une fille avec de grosses lunettes et une paire de seins énormes, dites-vous que cette fille-là risque sa vie depuis plus de 40 ans pour faire plaisir aux gars qui ont besoin de sexe. Thérèse, c'est quelqu'un de bien.

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