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Pour la période estivale, je reviens à mes premiers amours : Flic et confidences. De petites histoires de police.
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Je revenais au poste 33, là où j’avais passé les treize dernières années à courir les appels.
Jean-nicolas Nault
Je revenais au poste 33, là où j’avais passé les treize dernières années à courir les appels.

Ainsi donc, je revenais au poste 33, là où j'avais passé les treize dernières années à courir les appels.

Le département ne le fait que rarement, car il semble que de revenir comme officier dans un poste de police où tu y as passé ta vie, peut apporter des conflits avec tes ex-confrères. Ça, je le verrais bien par moi même. Je n'ai pas fait dix pas dans l'immeuble, que je suis attendu.

-Je suis heureux de vous recevoir, monsieur Aubin !

Bien oui, comme pour les deux autres fois, il faut bien agrémenter mon arrivée d'un petit discours d'entrée par un officier supérieur.

-Vous savez, nous comptons sur vous pour établir une discipline et nous attendons de vous un grand professionnalisme, vous êtes maintenant un phare...

Je regarde mon nouveau capitaine droit dans les yeux et je l'interromps un peu brutalement.

-Écoute Claude, tu me connais, je ne bois pas, ne joues pas au billard et je ne joues plus aux cartes. Pour le reste, je vais m'arranger.

Mon pauvre ex-lieutenant, qui, il n'y a pas si longtemps, passait ses quarts de travail à jouer au billard et aux cartes avec les gars. Ce même homme, je l'avais ramené assez ivre au poste, me donnait du vous êtes un phare. Il aurait bien aimé en ce moment que je souffre d'Alzheimer. Alors en bon officier, il écourte prudemment la conversation.

-Comme vous avez remarqué vous êtes sur votre ancien groupe, il manque un sergent.

En fait, il manque aussi un lieutenant qui arrivera le lendemain. Il arrive de la moralité. Le choc qu'il aura ici.

-Oui, j'ai vu. Je n'ai pas de problème avec ça, les gars m'ont serré la main tout à l'heure...

-Alors, bonne chance.

Bon c'est fait. Je suis de retour au bercail.

Me voici au bureau avec plusieurs nouvelles figures. Il y a eu quelques changements, quelques mutations et j'ai avec moi des gars qui à part le grand Jean Guy, n'ont pas une très longue expérience d'officier. Pendant que l'on se présente les uns les autres, au comptoir, Dereck et Maurice sont en pleine bagarre avec un détenu récalcitrant. Ici, c'est le lot quotidien et il y a longtemps que ça ne m'émeut plus. Par contre, un des sergents regarde nerveusement en direction de la bagarre.

Jean Guy, qui est l'officier supérieur pour le moment, me met à la réception des détenus, c'est en fait le job sale. Ça consiste à donner des numéros d'évènements aux policiers qui prennent des rapports après les avoir révisés, en faire cinq copies, les classer. Puis, superviser l'arrivée des détenus, les envoyer aux cellules, faire en sorte qu'ils mangent, qu'ils ne se pendent pas, etc. Quand il te rentre trente détenus et que tu as entre trente et soixante plaintes dans ta journée, tu n'as pas le temps de rêvasser.

-Comme ça tu reviens au 33 Claude ?

-Hé oui..

Déreck tient le bras de son détenu presque à le faire craquer, tout en prenant le temps de me jaser. Ici, c'est ''Fort Apache'', on voit plus de crimes à l'heure que partout dans la ville. Il est devenu normal de travailler de cette façon. Nous en sommes encore à la fouille, que Richard et son partenaire Paul la langue de vipère, se pointent avec une fille menottée. Elle aussi comme l'autre, rue dans les brancards.

-Hé mon nouveau sergent!

Richard a le sourire fendu jusqu'aux oreilles. On s'entendait bien tous les deux, c'est lui qui perfectionnait mon crochet de gauche lors de mes entraînements. Richard est un ancien des Gants Dorés et un vrai gentleman, il ne s'emporte jamais et je ne me souviens pas l'avoir vu frapper quelqu'un, sauf moi à l'entraînement.

-Hey les chiens ôtez moé les menottes ostie.

Bon, il faut revenir à la réalité.

-Vous voulez une chambre pour la dame?

-Toé vas chier !

Déreck la regarde avec un petit sourire méchant et hoche lentement la tête.

-Tu magasines pour des tapes sur la gueule la madame.

-Toé aussi vas chier.

Déreck ne répond pas, on y passerait la journée. Alors, les deux détenus vont rejoindre les cellules. Huit autres qui y moisissent déjà depuis quelques heures, et ce n'est pas fini, André un de mes anciens partenaires, arrive avec un autre turbulent.

-Vous le faites exprès, on veut me gâter?

-Non... Y cassait les vitrines sur Sainte-Catherine.

Je regarde le gars, c'est un de nos réguliers. J'ai l'impression qu'il va le rester encore pendant un bout de temps. Il n'est pas encore au comptoir, qu'il nous arrose d'un jet de vomi.

-Caliss !

-Ouais, il a fait ça dans le char aussi...

André a un petit sourire en coin, ça doit être drôle de voir son sergent avec la chemise pleine.

-Tu aurais pu me le dire!

-Pas eu le temps sarg.

-Mets-le tout de suite en cellule et fouille le là bas, tab...

J'en suis pour une nouvelle chemise. Par chance, j'avais prévu le coup, j'ai déjà des rechanges dans mon nouveau casier. C'est drôle, j'ai repris mon casier, le même que j'ai eu pendant des années.

À mon retour, le tourne clé, un des jeunes du groupe ramasse les dégâts. Il apprend à la dure.

Le reste de la journée se fait dans les mêmes conditions, les chèques sont rentrés et nos biens heureux socialement se saoulent la gueule tout comme au temps ou j'étais sur l'auto. Mais là au lieu d'en voir un ou deux, je les vois tous.

Ici, c'est le poste pour apprendre la débrouillardise, c'est le 33 le poste le plus gros et le plus dur de la ville. Ici, il n'y a pas si longtemps, j'ai eu à m'occuper de trois meurtres en trois soirs. Oui, c'est ''Fort Apache''.

Avril 2018

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