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Comment ne pas prendre de responsabilité et monter en grade

Le lundi matin, le deuxième lieutenant détective, un sergent occupant la fonction intérimaire, vient me raconter avoir vu son confrère prendre des petites culottes, des chandails et un édredon. C'est alors que je pense à la bouteille de scotch. Comme je suis bête, cette bouteille était sur la table des Russes lors de la perquisition. Je suis estomaqué, je dois faire quelque chose, mais quoi?
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Ce billet est tiré de mon livre La main gauche du Diable (Intouchables, 2003) que vous pouvez commander sur mon site web claudeaubin.com .

En 1993, la direction du poste 25 me mandatait pour travailler sur la mafia russe au centre-ville. Trois mois plus tard, après avoir arrêté un groupe de voleurs à l'étalage, un autre de faussaires*, identifié un réseau de vols de voitures à grande échelle et relié à la mafia russe, mon groupe se retrouve dissout. Me trouvant quelque peu dérangeant, le capitaine du poste me retournait aux enquêtes de vols de cordes à linge et chicanes de clôtures. Les raisons: Les vols à l'étalage russes, n'étaient pas assez importants et les voitures outre-mer, c'était trop gros. La mafia russe pouvait dormir tranquille.

Quelques mois plus tard, un jour d'avril 1994, je me suis retrouvé, par hasard, à reprendre le dossier que mes patrons avaient si bien enterré. À mon arrivée au bureau, un enquêteur, peu connu pour son amour du travail, vint demander de l'aide pour une affaire d'extorsion d'un ressortissant russe. C'est avec la bénédiction de mes deux lieutenants détectives et un bref aperçu du dossier que je me mis les pieds dans un guêpier qui me suivra jusqu'à la retraite.

Ayant déjà deux Russes en cellules, je me retrouve en pleine perquisition au domicile d'une complice. À notre grande surprise, l'appartement est rempli à craquer d'objets volés. Nous en avons pour deux bonnes heures à ramasser la preuve, c'est-à-dire trouver des dizaines de sacs-poubelle et les remplir de tout ce qui s'y trouve. Au retour, pas le temps de triompher, nouvelle adresse, autre mandat. Mon compagnon rechigne un peu, mais, bon joueur, il m'accompagne. Cette deuxième demeure est une nouvelle caverne d'Ali Baba. Cette fois, le suspect n'a pas envie de coopérer. Petite échauffourée, des menottes trop petites pour les poignets et deux autres heures à désencombrer l'appartement.

Les camions n'ont pas le temps de se vider que nous avons une nouvelle perquisition en vue. Cette fois s'en est trop pour mon partenaire. À la demande des lieutenants, je deviens l'homme de la situation, c'est-à-dire celui qui ne dit jamais non! Autre mandat, autre perquisition... Nouvelles heures de fouilles.

Il est maintenant plus de deux heures du matin et, mauvaise nouvelle, il reste une dernière visite à faire. J'ai maintenant six détenus et près de cent mille dollars de marchandise volée. Soudainement, le lieutenant détective de soir décide de me seconder. Tel un renard devant un poulailler, mon supérieur flaire le temps supplémentaire. L'homme s'efforce de bien nuire à la bonne marche de l'enquête.

Après une prise de bec avec la juge de service pour obtenir le mandat, je me paye deux autres longues heures à vider les pièces d'un appartement cossu.

Je me retrouve, au final, avec plus de trente sacs ultra-gros remplis de vêtements volés, une dizaine de plus petits, des boites de carton, des trucs en vrac et près de $10 000 en argent saisi. Le hic... Dans ces superbes nouveaux locaux, il n'y a pas de salle prévue pour de grosses perquisitions. Je me rabats vers les bureaux des deux lieutenants qui débordent rapidement.

Vers cinq heures du matin, les premières accusations sont prêtes et le lieutenant offre une tournée de café agrémenté au scotch, à la santé des Russes. J'ai près de 19 heures de travail derrière la cravate et je n'aime pas le scotch. Je préfère mon lit au café.

Le lundi matin, le deuxième lieutenant détective, un sergent occupant la fonction intérimaire, vient me raconter avoir vu son confrère prendre des petites culottes, des chandails et un édredon. C'est alors que je pense à la bouteille de scotch. Comme je suis bête, cette bouteille était sur la table des Russes lors de la perquisition. Je suis estomaqué, je dois faire quelque chose, mais quoi?

Entre temps, mes Russes, sortis de prison, se pointent au bureau, réclamant une bague à diamant et la fameuse bouteille. Pour la bague, je vérifie avec une source que je connais. Pour une fois, les Russes ne mentent pas. À partir de ce moment, la machine s'emballe. Le nouveau capitaine me fait venir au bureau, il est accompagné de l'acting lieutenant. L'officier commence son laïus par: «Tu as été faible là-dessus». Il a droit à une de mes petites sorties orageuses.

Au bout de cinq minutes, prudemment, l'acting lieutenant nuance ses dires. Les effets mentionnés sont peut être revenus, il ne peut jurer de rien. Pour la bague, le capitaine veut une enquête, la bouteille on oublie. Finalement, le lieutenant fautif est suspendu.

Cette suspension durera six mois et le lieutenant suspect prendra finalement sa retraite. L'acting lieutenant se fera petit pour un temps. Le capitaine ne voudra plus rien entendre et on me laissa avec une cause qui n'était pas la mienne.

Résultat: L'enquêteur paresseux sera promu lieutenant détective. L'acting lieutenant deviendra lieutenant détective puis, terminera ses jours à Deux-Montagnes où il sera trouvé coupable de vol. Le lieutenant suspect ne sera pas inquiété et retirera sa pension de 25 ans. Le capitaine accèdera à un autre poste avant la retraite. Tout est bien qui ne finit pas bien.

Pour la petite histoire : En 1997, les Russes mettront deux contrats sur ma tête, par la suite, j'en ferai déporter quelques-uns.

*Ces hommes fabriquaient de faux passeports qu'ils vendaient pour quelques centaines de dollars.

Pour les vols de voitures, les Russes avaient leurs entrées dans le port et sur les navires en partance pour la Russie. Nous avions suivi des avocats, des capitaines de bateaux et tout à coup, ça devenait trop gros. Finalement, notre cible principale se fera éliminer à Saint-Pétersbourg.

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