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Tabac: industrie fumiste

À mes amis rebelles qui se considèrent traités comme des pestiférés par les tenants de l'anti tabagisme, j'aimerais rappeler bien humblement qu'il ne s'agit pas d'un combat contre leur liberté à eux, mais bien d'une lutte contre la puissante machine de propagande des cigarettiers.
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Récemment, je regardais un film dont l'action se déroule, si ma mémoire est fidèle, en 2060. À un moment, ô surprise, le héros rebelle s'allume une clope. «On fumera donc encore en 2060?!», me dis-je amusé.

Au début, quand j'ai vraiment cessé de fumer voilà 7ou 8 ans (clap, clap, clap), après plusieurs tentatives, j'en voulais aux fumeurs. Non pas parce que leur fumée secondaire me gênait, mais parce que l'odeur du tabac titillait mes sens et rendait ma lutte encore plus difficile.

Bref, j'étais jaloux.

Les années ont passé, j'ai pris goût à la vie sans boucane. Désormais, la fumée secondaire m'intimide à un point tel que lorsque je vois quelqu'un se griller une cibiche, je me sens aussi intransigeant qu'à l'époque où les non-fumeurs me tapaient sur les nerfs avec leurs regards que je jugeais aussi condescendants que moralisateurs.

Pourtant, tous les fumeurs (ou presque) espèrent cesser un jour. Mais c'est moi qui, aujourd'hui, ne fréquente plus la terrasse de mon café de prédilection - même si on y retrouve la plus belle faune en ville -, parce cet endroit est devenu un véritable show de boucane où les fumeurs semblent ne douter d'aucune façon de «leur droit» à polluer l'environnement des autres.

Or, la semaine dernière, un sondage mené par la firme Léger Marketing nous apprenait que 63 % des Québécois appuieraient une interdiction de fumer sur les terrasses des restaurants et des bars.

Puis, dans son édition de lundi dernier, le quotidien Le Devoir nous informait cette fois que l'ex-ministre australienne de la Santé, Nicola Roxon, était de passage à Montréal afin de tenter de convaincre le Québec d'imposer des images encore plus répulsives que celles que l'on retrouve déjà sur les paquets de cigarettes, comme cela se fait dans son pays.

Il me revient en tête un papier d'un chroniqueur jadis branchouille et maintenant au Journal de Montréal qui disait, en substance, qu'il était contre les publicités antitabac parce que, selon lui et les adeptes de la sacro-sainte liberté, l'État n'avait pas à fourrer son nez partout, qu'il fallait protéger le libre commerce et, finalement, tout le monde savait de toute façon que le tabac nuit à la santé. «Pas nécessaire d'y ajouter la morale bien pensante», disait-il en résumé. Cette lecture de la situation est évidemment tentante, surtout si l'on adopte une posture plus ou moins rebelle.

Pourtant, loin d'être un adepte de la rectitude, je suis de ceux qui appuient les deux mesures: interdiction sur les terrasses et images plus agressives.

La première, parce qu'il est prouvé que la fumée secondaire nuit à la santé (elle cause la mort de plus de 1000 non-fumeurs annuellement au Canada) et que je ne vois pas au nom de quoi quelqu'un aurait ce droit.

D'autant que l'étude en question montre que les enfants sont encore plus sensibles à la fumée secondaire.

Quant à la seconde raison, elle est plus politique.

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Acné

10 raisons pour ne pas fumer

Diabolisation?

L'industrie du tabac est parvenue, au fil des ans, à nous faire croire qu'il s'agissait de défendre la liberté. Écran de... fumée pour cacher l'insidieux.

Certains fumeurs se sentent démonisés ou traqués. Il ne s'agit pourtant pas de jouer une liberté contre celle de l'autre ni d'une volonté de ficher les fumeurs dans des filières noires, mais bien d'un combat: celui entre les individus, dans toute leur solitude, l'innocence de leur 17 ans et la pression de l'entourage, et une puissante machine propagandiste milliardaire qui, depuis longtemps, a compris comment elle pouvait bénéficier de la recherche en psychologie sociale, mais aussi de la chimie.

Les études ne sont plus à faire, il est désormais prouvé que des chercheurs se sont réunis dans le passé afin de trouver les meilleures façons de nous rendre accros. La plus récente magouille des «cigouilleurs»: le tabac parfumé et sucré de cigarillos vendus à l'unité qui visait expressément les jeunes autour des écoles. Bref, la même stratégie qu'utilisent les pédophiles pour attirer les plus vulnérables...

Les moyens peuvent bien sûr être plus sophistiqués. Dans les années 1920, alors qu'il travaillait pour l'American Imperial Tobacco Company, le publicitaire Edward Bernays, dans le but de rompre le tabou selon lequel les femmes ne pouvaient pas fumer en public, a envoyé un groupe de jeunes modèles défiler dans la ville de New York pendant une parade. Il a ensuite déclaré à la presse qu'un groupe en faveur des droits des femmes allait y allumer des «Torches de la liberté». À son signal, une modèle a allumé une Lucky Strike devant les photographes. Le 1er avril 1929, le New York Times écrivait: «Group of Girls Puff at Cigarettes as a Gesture of Freedom!»

C'était le début d'une longue utilisation des techniques de propagande des barons du capitalisme contre les intérêts des individus.

L'initié

Lors de son passage à Montréal, en décembre 2012, le docteur en biochimie Jeffrey Wigand, qui faisait partie du conseil d'administration de Brown and Williamson, une filiale de British American Tobacco, a dit avoir remarqué dès son arrivée en 1989 que l'industrie tenait deux discours: celui de l'entreprise qui niait que la nicotine crée une dépendance et l'autre, à l'interne, qui stipulait que tout le monde était au courant du fait que la nicotine créait une dépendance et que le tabagisme provoquait des cancers et des maladies respiratoires. Wigand, qui a inspiré le thriller politique L'initié (1999) avec Russel Crowe, a aussi précisé que les avocats de son ancien employeur déployaient tout un arsenal de moyens pour contrer le discours des scientifiques sur les effets néfastes du tabac.

On s'en doutait, bien sûr, mais pour des milliers, voire des millions, de personnes il était déjà trop tard. Surtout au sein des classes populaires. Elles qui ont le moins accès à l'éducation. Pas étonnant qu'on y retrouve un plus grand pourcentage de fumeurs.

Au cours des trois dernières décennies, nous avons assisté à un retrait progressif du bras gauche de l'État (les services sociaux) au profit de son bras droit (la force et l'ordre). Cela participait au déploiement de l'idéologie néolibérale qui ne jure que par le sacro-saint marché. On a vu récemment, à Lac-Mégantic notamment, ce qu'il arrive quand l'État ne joue plus son rôle d'arbitre entre les intérêts de ses citoyens et ceux des entreprises privées dont le premier objectif, au-delà de toute forme de morale, demeure le profit.

À mes amis rebelles qui se considèrent traités comme des pestiférés par les tenants de l'anti tabagisme, j'aimerais rappeler bien humblement qu'il ne s'agit pas d'un combat contre leur liberté à eux, mais bien d'une lutte contre la puissante machine de propagande des cigarettiers.

Elle qui n'a pas dit son dernier mot et qui fera en sorte qu'on fumera sans doute encore en 2060. Mais surtout en Afrique et en Asie cette fois, nouvelles cibles des prédateurs de la mort.

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