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Lettre à Valérie Plante: il arrive quand, «l’homme de la situation»?

Cette paix linguistique est de plus en plus remise en question à Montréal. Ce combat historique d’affirmation nationale de plus en plus folklorisé par des attaques de toutes parts.
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Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, lors d'une rencontre avec la mairesse de Montréal, Valérie Plante.
La Presse canadienne/Paul Chiasson
Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, lors d'une rencontre avec la mairesse de Montréal, Valérie Plante.

Dans la plus récente édition de la revue l'Actualité, on nous informait que, selon Warren Buffet et Jamie Dimon, deux spécialistes de la finance étasuniens, «les marchés financiers se concentrent trop sur le court terme». Pour eux, le fait de diffuser des objectifs trimestriels a pour conséquence de repousser des investissements ou des embauches, afin de plaire aux marchés. Bref, si certaines décisions se révèlent payantes sur le moment, elles risquent d'avoir de fâcheux effets à long terme.

En lisant cette brève, je n'ai pu m'empêcher de penser à vous, Madame la mairesse. Je m'explique. Je suis de la génération X et, enfant, j'ai grandi à Montréal à la frontière de Saint-Léonard où se concentraient alors de tout un pan des familles issues de l'immigration italienne. C'était les années où le mouvement nationaliste s'affirmait de plus en plus et pendant lesquelles de vives tensions linguistiques se manifestaient jusque dans nos cœurs d'enfant.

Tensions qui se traduisaient parfois par des combats somme toute assez violents: traquenards dans les ruelles du quartier Rosemont pour capturer des enfants «ennemis», afin de leur faire passer un mauvais quart d'heure, visages ensanglantés, cailloux lancés à la fronde de part et d'autre et ceintures dénouées pour en faire des fouets, etc. Non, ce n'était pas l'Irlande du Nord, bien sûr, mais tensions et climat de violence, il y avait bel et bien.

Bill 22

Pourquoi donc? Tout simplement parce que les petits descendants d'immigrants italiens allaient à l'école anglaise et nous, les petits francos, retrouvions une fierté de vivre enfin dans notre langue à Montréal.

Peut-être l'ignorez-vous, vous qui étiez encore une petite rouynorandienne, mais c'était l'époque où il était quasi impossible de se faire servir en français chez Eaton à Montréal. Tout cela se passait avec, en toile de fond, les tristement célèbres émeutes de Saint-Léonard déclenchées par le très mou Robert Bourassa, ancien Premier ministre qui, une fois n'est pas coutume, avait eu le courage d'imposer le français comme langue officielle (Bill 22), soulevant ainsi la colère des immigrants italo-anglophones.

Plutôt que de faire comme nos pères qui pliaient l'échine devant la langue du conquérant en espérant un meilleur sort pour nous (mon père m'avait même envoyé à la maternelle anglo, où je n'ai pas prononcé un mot de l'année), nous, petits gamins de la rue, nous retrouvions une certaine fierté dans la stature rayonnante de René Lévesque.

Veuillez notez ici, Mme Plante, que je n'en tiens pas rigueur aux parents des enfants italiens d'avoir choisi de les envoyer à l'école anglaise: j'aurais probablement agi de même dans leur situation. Cependant, le politique, c'est sa fonction principale, doit intervenir pour réguler la paix sociale et maintenir la légitimité des institutions et de l'État.

Paix sociale

Lorsque le Parti québécois a pris le pouvoir, en novembre 1976, j'étais de la fête au Centre Paul-Sauvé. Un peu plus tard, nous étions enfin libres de nous assumer en tant que majorité minoritaire et historiquement dominée, grâce aux bons soins du docteur Laurin, père de la loi 101. Loi qui voulait insuffler un sentiment de dignité à notre nation, tout en changeant le paradigme linguistique de la métropole.

Il en aura fallu du courage et de la droiture pour affronter les tirs groupés d'insultes et les appels au nazisme, au fascisme et autres enflures verbales que subissaient Camille Laurin et son gouvernement. Mais quelques années plus tard, la paix linguistique a enfin régné sur la métropole et même les chroniqueurs de la presse anglo les plus hostiles à cette loi - ceux de bonne foi du moins - le reconnurent.

Cette paix linguistique est de plus en plus remise en question à Montréal. Ce combat historique d'affirmation nationale de plus en plus folklorisé par des attaques de toutes parts.

Or, Mme Plante, il se trouve que j'ai voté pour vous

Bien sûr, vos discours en bilingue, qui devaient sans doute émoustiller Justin Trudeau, me sonnaient des cloches mais des amis, aussi progressistes que vous l'autoproclamez, je vous rassure, me disaient de ne pas m'en faire. Que c'était un passage obligé pour prendre le pouvoir.

Après quelques mois de règne, force est d'admettre que non seulement vous envoyez le signal qu'à Montréal ça se passe en anglais, mais aussi et surtout que vous refusez toujours de vous afficher avec notre drapeau national, comme si celui-ci était honteux, en plus de transgresser ainsi la loi comme vous l'a rappelé le ministère de la Justice (!) l'hiver dernier.

Chère Madame Sourire, par vos manœuvres qui visent à séduire les diverses minorités qui représentent autant de segments électoraux, vous travaillez certes à votre réélection, mais vous contribuez d'une part à défaire le tissu social hérité de décennies de paix linguistique et, d'autre part, à mettre en place un ressentiment collectif qui pourrait avoir des conséquences très regrettables.

Ajoutons à cela le fait qu'en vous employant à installer une commission sur le racisme systémique (qui ne dit pas son nom), vous participez à la division sociale en appuyant les replis communautaristes. En effet, s'il est évident que les minorités culturelles doivent être mieux représentées, pourquoi préparer un tel show de boucane alors qu'il existe déjà un conseil interculturel de Montréal et que cet organisme a déjà émis des recommandations pour améliorer les choses en matière de relations interculturelles et de représentation?

Sans parler du rapport Bouchard-Taylor, hélas, tabletté! Ne serait-ce pas plutôt le temps d'agir?

Premières Nations

Enfin, si nous saluons l'introduction d'un symbole autochtone sur le drapeau de la Ville, nous souhaiterions, par exemple, que vous aidiez réellement les Inuits de la Cité en proie à des graves problèmes d'itinérance, plutôt que de prendre une posture de bonne conscience en parlant de «territoires mohawks non cédés». Ce qui est, vous le savez, contesté par la majorité des historiens.

Pourquoi demeurez-vous silencieuse quant aux conditions dans lesquelles l'ignoble loi sur les Indiens les a conduits? Comme le rappelait récemment le professeur émérite au département d'études urbaines et touristiques de ESG-UQAM, Luc-Normand Tellier dans Le Devoir du 31 juillet 2018: «Le tout premier pensionnat autochtone, nommé le Mohawk Institute Residential School, fut fondé en 1834 par l'Église anglicane près de Brantford, en Ontario, que 25% des pensionnats autochtones fédéraux relevaient de l'Église anglicane et que le réseau fédéral de pensionnats autochtone fut établi en 1883 par un bon anglican, sir John A. Macdonald, premier ministre et surintendant des Affaires indiennes du Canada?»

Le racisme systémique il est là, et les Premières Nations en sont aujourd'hui encore les premières victimes. Voilà des faits qui demandent à être rétablis.

Moi qui n'attendais rien de Denis Coderre, comme bien d'autres, j'ai été agréablement surpris de son début de mandat comme maire de la ville. Mais avec vous, Mme Plante, tout comme plusieurs de mes camarades attachés à la survie de notre nation et de notre langue qui ont milité pour votre élection, je suis extrêmement déçu.

Il serait temps que vous ayez une vision à long terme. Que vous preniez à bras le corps la hauteur historique que réclame votre tâche particulière de mairesse d'une fille francophone sous le ciel d'Amérique et que vous incitiez à rassembler plutôt qu'à diviser en vous en tenant au seul marketing politique, fut-il agrémenté d'un vernis progressiste à la petite semaine, comme leitmotiv de gouvernance.

Bref, il serait temps que vous deveniez enfin «l'homme de la situation».

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