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Le FLQ, un repoussoir pour la souveraineté?

En l'absence d'études empiriques sur la question précise de l'influence favorable ou néfaste du FLQ, il n'apparaît pas farfelu de supposer que l'onde de choc provoquée par Rose et sa bande a contribué à une certaine prise de conscience politique chez de nombreux Québécois. Mais du point de vue de la stricte et froide analyse empruntée à la, on peut supposer que, sans le FLQ, le Québec ne serait pas davantage un pays souverain aujourd'hui, mais que les actes, aussi abjects fussent-ils, commis par Paul Rose et les autres ont plutôt procuré une légitimité inespérée au Parti québécois fondé par René Lévesque.
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Dans la foulée du décès de Paul Rose, le toujours coloré chroniqueur Normand Lester a écrit dans sa chronique sur Yahoo: «En provoquant la Crise d'octobre, Rose et son quarteron de complices ont servi les intérêts des gouvernements libéraux au pouvoir. Pierre Trudeau et Robert Bourassa ont su exploiter habilement les crimes de ces hurluberlus. En enlevant le ministre Laporte et le diplomate britannique Cross, ils donnent le prétexte au gouvernement fédéral de proclamer la loi martiale. Ottawa et Québec ont tout de suite compris comment ils pouvaient utiliser le FLQ pour faire peur au monde et ainsi endiguer et même faire reculer le développement de l'idée indépendantiste dans la population.»

Rectifions d'emblée: ce n'est pas la loi martiale qui fut proclamée, mais bien l'existence d'un état d'insurrection appréhendé. Proclamation qui a avait pour effet d'octroyer des pouvoirs d'exception à la police et non d'autoriser l'intervention de l'armée canadienne. Chose qui aurait pu se faire sans avoir recours à la fameuse Loi sur les mesures de guerre.

Et à l'intention de la frange droitiste qui accuse les médias d'encenser un meurtrier, précisons de nouveau que même s'il porte l'odieux de l'enlèvement de Pierre Laporte, Paul Rose n'était pas présent au 5630 de la rue Armstrong, à Saint-Hubert, au moment où le ministre libéral a été tué, comme l'ont démontré les audiences de la commission Duchaîne en 1980 (1). Il ne faudrait tout de même pas vider les mots de leurs sens.

Cela étant dit, pour quiconque s'intéresse à l'histoire politique du Québec plutôt qu'aux opinions déguisées en analyses, une question demeure pertinente: le FLQ a-t-il, a posteriori, favorisé le rayonnement du mouvement indépendantiste ou, au contraire, lui a-t-il été néfaste?

D'aucuns vont jusqu'à affirmer que «sans la Crise d'octobre, le Québec serait déjà un pays depuis longtemps»!

Hélas, je ne possède pas la boule de cristal rétroactive que semble consulter Mathieu Bock-Côté avant de se rendre dans le studio de Radio X, mais s'il est vrai que la majorité des Québécois - fédéralistes comme indépendantistes - désapprouvèrent l'enlèvement et le meurtre de l'ex-ministre libéral Pierre Laporte, il paraît hasardeux de tenter de faire porter le chapeau d'«idiot utile» à Paul Rose, comme certains tentent de le faire ces jours-ci.

Contexte sociopolitique

À la fin des années 60, les Québécois étaient victimes d'une domination séculaire. Non seulement ils ne pouvaient pas se faire servir en français dans les commerces, mais il leur fallait en plus se soumettre à la langue du dominateur anglophone pour espérer gagner un salaire très souvent dérisoire.

Pour mémoire, rappelons-nous que le 19 novembre 1962, alors qu'il se faisait demander par le comité parlementaire pourquoi on ne retrouvait pas de francophones aux 17 postes de vice-président chez le Canadian National Railway (CN), Donald Gordon, le président de cette société d'État, déclara sèchement que les promotions s'effectuaient «au mérite».

Un énoncé qui, non sans rappeler le célèbre rapport Durham, fit beaucoup de bruit à l'époque en cristallisant, en deux mots, une grande partie du mépris et de la condescendance, sans parler de l'exploitation, que subissaient alors les francophones face aux maîtres des lieux.

Le billet de Claude André se poursuit après la galerie

Des images de la crise d'Octobre

À la suite de cette assertion, une manifestation devant le Queen Elizabeth, où se trouvait le siège social du CN, allait tourner à la violence. Ceci est un exemple parmi d'autres du climat qui régnait au Québec lorsque le FLQ commença à faire parler de lui dans les années 60. Climat qui a permis au groupuscule terroriste de profiter d'un capital de sympathie auprès d'une certaine partie de la population québécoise. Or, le vent tourna rapidement après la mort de Laporte. Mais il demeure très difficile, notamment selon les historiens signataires de l'ouvrage de référence Histoire du Québec contemporain (2), d'évaluer l'impact de l'action terroriste qui s'est manifestée au Québec de 1963 à 1970.

Ce que l'on sait toutefois, c'est que si le Parti québécois a perdu un siège en 1973 (celui de Camille Laurin dans Bourget) son résultat est néanmoins passé de 23,06 % à l'élection de 1970 à 30,2 % à celle de 1973. Et cela en dépit du fait que l'indépendance était promise sans même passer par un référendum! Comme traumatisme, on a vu pire. D'autant que le PQ a accédé au pouvoir en 1976 (41,4 %), en plus de tenir un premier référendum sur la souveraineté en 1980.

Donc, en l'absence d'études empiriques sur la question précise de l'influence favorable ou néfaste du FLQ, il n'apparaît pas farfelu de supposer que l'onde de choc provoquée par Rose et sa bande a contribué à une certaine prise de conscience politique chez de nombreux Québécois. Qu'une des cibles ait été un père de famille arraché à ses enfants rend le crime crapuleux, cela relève de l'évidence. Personne ne mérite la mise à mort. Même s'il a des accointances mafieuses comme c'était le cas de Laporte.

Mais du point de vue de la stricte et froide analyse empruntée à la realpolitik, on peut supposer, non seulement, que sans le FLQ le Québec ne serait pas davantage un pays souverain aujourd'hui, mais que les actes, aussi abjects fussent-ils, commis par Paul Rose et les autres ont plutôt procuré une légitimité inespérée au parti fondé par René Lévesque. Lui qui, de son côté, prônait la voie démocratique pour accéder à l'indépendance.

Pour ma modeste part, même si je suis de ceux qui croient que la démocratie ne remplit pas toujours ses promesses et qu'elle est souvent instrumentalisée (on n'a qu'à penser à la récente loi 178), ce n'est pas parce qu'il refusait de jouer le jeu de la «lenteur démocratique», pour reprendre le chroniqueur Bock-Côté, que je n'aurais jamais cautionné le FLQ. Car dire cela équivaudrait à délégitimer toute forme de contestation autre qu'électorale.

Non, si je refuse toujours de cautionner la violence, c'est parce que comme l'a si bien dit l'immense Camus en expliquant son refus d'endosser les bombes du FLN (3) qui explosaient aléatoirement dans les trains algériens, c'est parce que, comme lui, «je préférerai toujours ma mère à l'injustice».

(1) Revue Criminologie: La Crise d'octobre et les commissions d'enquête - Jean-Paul Brodeur

(volume 44, numéro 1, printemps 2011, p. 45-66)

(2) Histoire du Québec contemporain tome II - Linteau-Durocher-Robert-Picard (Ed. Boréal 1989)

(3) Front de libération nationale, Algérie

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