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Le discours de Dieudonné: un emprunt au révisionnisme ?

en France en raison de ses nombreux délires antisémites, Dieudonné devait revenir chez les 14-15-16 pour une série de spectacles. Déception totale chez les antisémites et les amateurs d'humour bernés, ces spectacles ont été annulés suite aux pressions exercées par le Centre consultatif des relations juives et israéliennes de Montréal.
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Flickr: jlodder

Persona non grata en France en raison de ses nombreux délires antisémites, Dieudonné devait revenir chez les 14-15-16 pour une série de spectacles. Déception totale chez les antisémites et les amateurs d'humour bernés, ces spectacles ont été annulés suite aux pressions exercées par le Centre consultatif des relations juives et israéliennes de Montréal.

Quelques agités du bocal comme le maire et commentateur Stéphane Gendron, qui avait l'habitude de lui lécher les pompes, ainsi que les habituels judéophobes d'une certaine gauche altermondialiste seront sans doute contraints de se faire rembourser leurs billets.

Et il s'en trouvera pour affirmer que cette annulation relève d'un complot juif en évitant, évidemment, de noter que depuis de nombreuses années le personnage donne davantage dans l'appel à la haine que dans l'humour. Ce que les Français savent depuis longtemps et maintenant les Belges. Eux dont les autorités interrompaient un de ses récents spectacles.

Ce qui étonnera les observateurs cependant, c'est qu'un grand quotidien comme La Presselégitimait encore (le 2 mai dernier) son soi-disant antiracisme en banalisant son discours haineux au nom d'un anticonformisme qui se manifesterait aussi dans l'humour. Leurre.

En décembre 2008, Dieudonné a invité sur scène le révisionniste Robert Faurisson pour lui remettre « le prix de l'infréquentabilité et de l'insolence ». L'humoriste, plusieurs fois appelé à comparaitre devant la justice, s'en justifia plus tard en déclarant en substance qu'il ne souhaitait que faire un coup d'éclat. Or, un simple survol de la stratégie discursive de Dieudonné démontre que l'élève a bien appris les leçons du maître.

Dans l'article scientifique La place de l'autre dans un discours de falsification de l'histoire à propos d'un texte niant le génocide juif sous le IIIe Reich paru dans la revue Mots* (qui se consacre à l'analyse du discours) en 1984, Jacqueline Authier-Revuz (Université Paris III) et Lydia Romeu (Institut national de la langue française) montraient comment Faurisson s'est employé, dans l'avertissement aux lecteurs de son Mémoire en défense contre ceux qui m'accusent de falsifier l'histoire*, à «faire jouer de façon retorse le rapport entre le discours et la réalité, dans un affrontement à l'autre situé à deux niveaux distincts et complémentaires dans l'économie de ce discours : celui d'une mise en scène et celui d'une mise en œuvre*».

Manichéisme et mise en scène d'un affrontement entre deux discours

Chez Faurisson, une des stratégies consiste en une mise en scène de l'affrontement par l'emploie systématique d'un moi, un je vertueux, pour s'autoproclamer, tel un Don Quichotte de la vérité, être le seul penseur qui possède le courage d'affronter les forces oppressives qui tiennent un discours mensonger au sujet du génocide de millions de Juifs.

La méthode de Faurisson vise à renverser secrètement l'épreuve de force dans l'affrontement des discours par un procédé clair : circonscrire la présence de l'Autre. Par exemple, certains mots sont continuellement placés entre des guillemets et accompagnés de présuppositions de façon à jouer la polysémie et l'équivoque. Faurisson parle de « témoignages » au sujet des « chambres à gaz » ou de « génocide » pour en nier l'existence. Comme si ces mots incarnaient des choses non scientifiquement prouvées.

Dieudonné, lui, répand des rumeurs. Il « s'interroge » sur ces Juifs qu'il présume responsables de la propagation du sida, d'une conspiration mondiale ou de l'esclavagisme. Un commerce dont ils auraient détenu le monopole à 80 % selon lui.

Dieudonné, comme Faurisson, utilise donc la stratégie du je persécuté qui doit constamment affronter les forces du mal. C'est-à-dire ces individus à l'esprit retors, millionnaires et racistes. L'agitateur déguisé en comique prend toutefois la précaution de toujours utiliser le mot sioniste avant de nommer des individus faisant partie de son complot mental (BHL, Alain Finkielkraut, Arthur, Patrick Bruel, etc.). Des personnalités de confession juive évidemment qui, excusez du peu, tireraient les ficelles de l'« axe américano sioniste », une variante du vieux fantasme cristallisé par le célèbre faux Les Protocoles des Sages de Sion.

Falsification de l'histoire

Pour en arriver à falsifier l'histoire, Faurisson utilise une approche du déni et de l'inconscient. On assiste chez lui à une mise à mort de l'autre discours. Dans ce dessein, il se réfère à deux négationnistes français : Paul Rassinier, un homme de gauche, et Maurice Bardèche, un homme de droite. Ensuite, il réinterprète le rôle des chambres à gaz en disant qu'elles servaient en fait à « exterminer les poux ».

Dieudonné, parmi ses multiples stratégies, s'est appuyé un moment sur un « passage » de l'ouvrage La Nation et la Mort de l'historienne juive Idith Zertal* pour qualifier la Shoah de « pornographie mémorielle ». Le hic, c'est que l'historienne en question a déclaré n'avoir jamais utilisé cette expression. Quant à la thèse de la traite négrière exercée par les Juifs - une thématique qui revient de façon récurrente dans le discours de Dieudonné -, il s'agit d'un emprunt grossier à l'antisémitisme classique élaboré par la propagande de l'organisation américaine Nation of Islam*.

Stratégie de l'imposture

« Plus le mensonge est gros, plus il prend », disait Goebbels. Faurisson agit de même en employant une stratégie de réduction des faits pour sa falsification de l'histoire. Sa démarche « est donc placée ostentatoirement sous le signe d'une morale scientifique classique : celle qui associe le respect de la vérité historique à une pratique de critique de textes. Sa particularité se situe dans l'intensité avec laquelle il vit et met en pratique des exigences communément admises », nous disent les deux chercheures dans la revue Mots. C'est par cette « intensité que passe la perversion de ces exigences, qui les retourne en leur contraire: conception si réductrice de l'histoire qu'elle en devient une négation de toute possibilité d'histoire.»

Chez Dieudonné, l'entreprise consiste aussi à pousser l'autre discours dans le vide. De faire de sa radicale faiblesse une de ses plus sûres forces rhétoriques. Le mécanisme énonciatif de Dieudonné vise donc à instaurer un combat manichéen en stigmatisant le discours de l'Autre, les sionistes (par extension les Juifs), en les sommant de se défendre d'un complot qu'il imagine.

En renversant le fardeau de la preuve de ce qu'il avance, comme le font par exemple les adeptes de la théorie du complot entourant les événements du 11 septembre 2001, il place l'Autre dans une posture indéfendable. L'une de ses stratégies les plus habiles consiste non pas à nier l'horreur du génocide juif, mais à le relativiser en se situant lui-même, aujourd'hui et sur le plan historique au regard de son origine paternelle africaine, comme une victime des Occidentaux en général et des Juifs soi-disant esclavagistes en particulier.

L'affrontement n'est plus comme chez Faurisson situé entre deux « interprétations » historiques, mais bien dans le combat immédiat et futur contre les sionistes (lire les Juifs), responsables de tous les maux de la planète.

Ainsi, à travers son discours « antisioniste » et son militantisme au sein du parti politique qui s'y consacre, Dieudonné se réfère régulièrement à l'archive du vieil antisémitisme français des années 30 ainsi qu'à l'imaginaire qui s'y rattache.

Que Dieudonné tente de se refaire une virginité aujourd'hui en déclarant au représentant de La Presse que « tous les racismes sont condamnables » ne saurait camoufler les mèches qu'il tente d'allumer sur toutes les tribunes depuis 2005.

Si tous les racismes sont effectivement condamnables, pour Dieudonné et un nombre hélas important de ses admirateurs, il en demeure un qui l'est beaucoup moins que les autres... Bien au contraire.

1) La place de l'autre dans un discours de falsification de l'histoire, Authier-Revuz et Romeu, Revue Mots, 1984

2) Mémoire en défense contre ceux qui m'accusent de falsifier l'histoire, Éditions La Vieille Taupe, 1980 (Une librairie d'extrême gauche dont le nom fait référence à une célèbre citation de Marx.)

3) La place de l'autre dans un discours de falsification de l'histoire, Authier-Revuz et Romeu, Revue Mots, 8, p. 54. 1984

4) Entrevue audio avec l'auteur

5) On pourra lire à ce sujet le lumineux article : « Les Juifs, la traite des esclaves et l'histoire des États-Unis », par François-Xavier Fauvelle-Aymar de l'Institut d'Études Africaines (CNRS), Aix-en-Provence

nb : Une pléthore de déclarations de Dieudonné sont disponibles sur le site : http://jeankoong.unblog.fr/2010/09/14/anthologie-dieudonne-dans-le-texte/

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