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Quand l'appareil de censure chinois donne des leçons à la liberté

Au sein des organes de gouvernance du Net et lors des prochaines conférences internationales sur le sujet, les défenseurs de la démocratie doivent absolument s'opposer l'influence croissante de la Chine lorsqu'elle cherche à légitimer une censure géolocalisée.
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Les principes des droits de l'homme seraient-ils à ranger au musée des vieilleries, à force d'empêcher les forces conjointes de la dictature et du business chinois d'asseoir leur pouvoir? C'est en tout cas ce que laissent à penser les leçons de morale qu'assènent de plus en plus vertement les dirigeants de l'appareil de censure du Parti communiste à celles et ceux qui croient à un Internet libre. Par un curieux renversement, les sectateurs zélés d'un monde électronique sous contrôle invoquent de louables idéaux (un comble !) pour réduire au silence les défenseurs de l'article 19 de la déclaration universelle, sur la liberté d'expression et d'information.

Lors de la Conférence Mondiale d'Internet, qui vient de se tenir dans la petite ville de Wuzhen dans l'est de la Chine du 19 au 21 novembre 2014, les leaders politiques de la censure chinoise et leurs complices n'ont cessé de proférer de belles paroles pour imposer leur sinistre vision du monde. Le slogan de la conférence, "un monde interconnecté, partagé et gouverné par tous", émouvant comme une leçon de démocratie, faisait écho au message du président Xi Jinping, prononcé par un porte-parole à l'ouverture du forum, lequel évoquait un "principe de respect et de confiance mutuels" et le rêve chinois d'une collaboration "avec les autres pays afin d'approfondir le respect de la souveraineté sur Internet et de garantir la cybersécurité".

Est-il nécessaire de rappeler la réalité ?

Les propos relèvent d'un exercice de propagande pour un pays étiqueté « Ennemi d'Internet » par Reporters sans frontières et placé à la 175ème place sur 180 pays dans son Classement mondial de la liberté de la presse. Les patrons des grandes entreprises chinoises du Net, il est vrai à l'indépendance limitée, parlent la novlangue comme une langue maternelle. Contributeurs actifs de la censure du Net chinois, Li Yanhong (Baidu), Ma Huateng (Tencent, propriétaire du réseau social n°1 en Chine), ou encore Cao Guowei (Sina) réfléchissent à voix haute à la meilleure façon d'exporter le "modèle chinois" de contrôle de l'information.

Les trois journées de conférence ont vu défiler un millier d'entrepreneurs d'une centaine de pays différents dont certains leaders mondiaux du secteur des technologies de l'information et de la communication. Les voix du Parti communiste (et celles des géants du web) sont parfois impénétrables. Facebook était représenté à la conférence alors que le réseau social est interdit d'accès à l'ensemble de la population chinoise - ou tout du moins à ceux qui ne savent ou n'osent pas utiliser d'outils de contournement. Parce que les autorités ne reculent devant aucune contradiction, elles ont décidé de la levée, pour quelques jours seulement, de la censure à Wuzhen même, permettant aux visiteurs étrangers d'utiliser les réseaux sociaux et de publier des vidéos sur Youtube. Ce passager micro-climat de liberté autour de la conférence met surtout en relief l'impénétrable plafond bas sur le reste du pays.

Dans la soirée du 20 novembre, vers 23 heures, les organisateurs de la conférence ont glissé sous la porte de la chambre d'hôtel de chaque participant une proposition de déclaration conjointe, révélant clairement les intentions chinoises, à commenter avant... 8 heures le lendemain matin. Le document, mis en ligne sur site d'information Techcrunch, mentionne neuf recommandations, notamment celle de respecter "la souveraineté sur Internet de chaque Etat" et de s'abstenir "d'abuser de ressources et d'avantages technologiques afin de violer la souveraineté sur Internet d'autres pays". Dit autrement, la Chine signifie au reste du monde qu'elle ne tolérera pas les tentatives de remise en cause de son système de censure généralisée. Haro sur les outils de contournement et le soutien aux défenseurs des droits de l'homme, ainsi qu'aux journalistes amateurs et professionnels qui tentent de briser le blocus de l'information en ligne.

Pas une ligne à l'agenda officiel, ni un mot lors des conversations informelles, sur le sort des trente journalistes et soixante-dix blogueurs qui continuent de croupir dans les geôles du Parti communiste chinois. Il n'aurait pas été aberrant pourtant de rappeler les vagues d'arrestations de net-citoyens, tels Guo Feixiong ou Xu Zhiyong, en fin d'année dernière, puis à l'occasion de la commémoration du 25ème anniversaire du massacre de Tian'anmen sous couvert d'une campagne de lutte "contre les rumeurs". Mais c'était l'informaticien Fang Binxing, ancien président de l'Université des postes et télécommunications de Pékin, considéré comme le père de la Grande Muraille électronique, qui avait voix au chapitre. Comment attendre d'un tel homme une contestation du bien fondé de ce gigantesque dispositif qui isole les internautes chinois du reste du monde ?

La communauté des démocraties ne saurait rester passive face à une telle offensive. Elle a pour devoir, aux regard de ses propres principes, de défendre la liberté de l'information sur Internet et la lutte contre la censure, ce qui ne revient pas naturellement à laisser les clés du Web au gouvernement des Etats-Unis. Au sein des organes de gouvernance du Net et lors des prochaines conférences internationales sur le sujet, les défenseurs de la démocratie doivent absolument s'opposer l'influence croissante de la Chine lorsqu'elle cherche à légitimer une censure géolocalisée au nom de la "souveraineté nationale", et qu'au surplus elle exporte ses pratiques liberticides dans d'autres pays du globe. La mobilisation devra être intense lors de la prochaine "Global Mobile Internet Conference" en avril 2015 à Pékin.

Tribune co-signée avec Benjamin Ismaïl

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