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Le Printemps de l'extrême droite

L'extrême droite s'affermit, se «démocratise», se popularise, s'épanouie, se reproduit et s'exporte.
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Manifestation de la droite à Denver au Colorado, juin 2017.
AFP/Getty Images
Manifestation de la droite à Denver au Colorado, juin 2017.

Partout en Occident, l'extrême-droite gagne du terrain. Il s'affermit, se «démocratise», se popularise, s'épanouie, se reproduit et s'exporte. Jadis cantonnés à la périphérie du débat public, ses thèmes de prédilection rythment aujourd'hui les courses électorales. C'est le Printemps de l'extrême-droite.

Bien que dangereux, ce Printemps n'a que peu à voir avec les régimes totalitaires que l'Occident a pu connaître. Il est alimenté par un faisceau convergent de plusieurs facteurs relativement inédits. Essayons d'analyser quelques facteurs en question.

1.En Occident, le triomphe du néolibéralisme n'a pas donné lieu à une répartition équitable des richesses.

Bien au contraire, la croissance économique a été inversement proportionnelle à l'accroissement des inégalités sociales. Ce contexte de vulnérabilité sociale a généré une horde de classes populaires de plus en plus poreuses aux discours nationaliste, identitaire et xénophobe. Depuis au moins deux décennies, l'étranger, le réfugié, l'expatrié, l'autre, celui qui est différent de la majorité ethnoculturelle est perçu comme la cause de tous les déboires des nationaux (chômage, insécurité, pauvreté, etc.). Il n'est donc pas rare d'entendre dire à propos des migrants ou immigrants, «ils volent nos jobs»; «Ils ne travaillent pas. Ils passent leur temps à faire des enfants pour toucher les allocations sociales». Lorsqu'un étranger est reconnu coupable de fraude, c'est l'ensemble des personnes originaire des pays en voie de développement qui se retrouve indexé. Il faut dire que ces raccourcis grossiers, ces assignations faciles, ces poncifs éculés sont parfois instigués et savamment entretenues par certains chroniqueurs ou politiciens en quête de gains électoraux.

2.L'affaiblissement des partis de gauche en Europe constitue le second facteur du Printemps de l'extrême-droite.

En effet, la gauche paye aujourd'hui sa trahison idéologique d'hier. En voulant se «moderniser» (social-démocratie), a épousé progressivement les thèses néolibérales. Ce faisant, elle a travesti son identité d'action au point devenir une pâle copie de la droite économique. La situation est telle que les partis d'extrême-droite la tiennent totalement responsable de la crise migratoire qui secoue actuellement l'Occident. Et pourtant, lorsqu'on analyse de près les faits, il est loisible de se rendre à l'évidence que ce sont les politiques économiques néolibérales menées depuis 30 ans par les partis de droite en l'occurrence, qui ont généré des injustices sociales à l'échelle mondiale et conduit à la crise migratoire actuelle.

3.L'éclosion du Printemps de l'extrême droite est aussi consécutive à la perte du monde connu, c'est-à-dire l'évanescence du vieux monde et le délitement des valeurs conservatrices.

Héritière de la domination multiséculaire du monde, la gente masculine occidentale qui a dominé le monde pendant 500 ans se sent de plus en plus menacée dans ses privilèges et s'agace d'entendre les subalternes d'autrefois (femmes, minorités, personnes racisées, etc.) revendiquer le principe d'égale considération de tous les humains.

Dans l'imaginaire de l'extrême droite, cette perte du monde connu est également rattachée à l'immigration, à la présence musulmane, au progressisme de gauche et au métissage culturelle qui s'est durablement installé en Occident. Plusieurs intellectuels français engagés à l'extrême droite vont même jusqu'à affirmer que la population européenne est en proie à un processus de substitution par une population non européenne originaire en premier lieu d'Afrique noire et du Maghreb. C'est que l'écrivain-complotiste Renaud Camus a théorisé sous le vocable de «Grand remplacement».

4.Le Printemps de l'extrême droite se nourrit enfin du terrorisme dit islamique.

Il se présente comme étant une réponse au terrorisme en l'Occident dont les attentats du World Trade Center seraient le symbole fort. En réalité, on assiste à la cristallisation progressive d'une dialectique mortifère entre l'extrême droite et l'islamisme violent. Même si on ne peut raisonnablement mettre dans le même panier l'ampleur meurtrière des deux camps, il n'en demeure pas moins que chacun voit constamment «sa vision du monde consolidée et justifiée lorsque des paroles offensantes sont prononcées ou que des gestes violents sont posés par des membres de l'autre camp».

Notons également que pour les partisans de l'extrême droite, tout musulman est un terroriste en puissance. La logique derrière cette conviction se résume comme suit: 1. Tous les récents attentats perpétrés récemment en Occident ont été commis par les adeptes de l'Islam 2. Donc, tous les musulmans sont de terroristes en acte ou en puissance. C'est ce que j'ai appelé syllogisme islamopsychotique.

Il va sans dire que ce discours qui suppose qu'être musulman implique une solidarité native et préexistante avec le terrorisme est d'une violence extrême. Disons-le clairement, la présence musulmane en Occident dérange les suprémacistes, entretient de sombres paniques identitaires et alimente les pires scénarios d'épouvantes.

Fort de ce contexte, on peut affirmer que l'élection de Trump n'est pas un accident de l'histoire. Les décibels populistes résonnent depuis longtemps en Autriche et en Pologne. En France, la présence du Front National au second tour de l'élection ne constitue même plus un séisme politique. L'Italie n'est que la dernière pousse en date de ce Printemps et certainement pas la dernière.

En réalité, tout semble être réuni pour qu'on assiste à un affrontement civilisationnel à l'avenir. Les positions se campent, les extrêmes se fichent. Les nuances volent en éclats. Les consensus historiques sont de plus en plus remis en cause, revisités, voire rejetés. On parle alors des bienfaits de la colonisation, du racisme anti-blanc comme pour mieux justifier le nationalisme xénophobe et les blessures racistes infligées à l'histoire des peuples non-occidentaux. La parole populiste et vulgaire se libère pendant que l'Occident se ferme et se rend de moins en moins sensible à la parole humaniste. Cette dernière est désormais coupable d'être insoumise, indisciplinée et fidèle aux Lumières occidentales.

Qui plus est, chaque attentat est une occasion de charrier les tenants d'une position nuancée qui se refusent aux raccourcis grossiers et aux conclusions hâtives. À chaque crise migratoire, la droite populiste se sent revigorée, galvanisée. Elle oppose subrepticement le cœur à la raison et fait passer l'humanisme des uns pour un délire humanitaire.

Somme toute, l'extrême droite a le vent dans les voiles. «Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres», disait Antonio Gramsci. L'Occident doit peut être expérimenté son moment extrême pour mesurer à quel point l'extrême droite demeure une fausse bonne solution. C'est peut-être une position défaitiste, mais en entendant de trouver une autre alternative, je contente de faire contre-mauvaise fortune bon cœur.

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