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Itinérance à Montréal: Se trompe-t-on de cible ici?

L'abbé Pierre, que tout le monde connait pour son engagement auprès des pauvres (dont les itinérants) de France et du monde entier, a très bien résumé, dans cette vidéo, le malaise qui m'habite depuis que le rapport sur la judiciarisation de l'itinérance a été publié cette semaine à Montréal.
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L'abbé Pierre, que tout le monde connait pour son engagement auprès des pauvres (dont les itinérants) de France et du monde entier, a très bien résumé, dans cette vidéo, le malaise qui m'habite depuis que le rapport sur la judiciarisation de l'itinérance a été publié cette semaine à Montréal.

Ce rapport de deux universitaires, qui dénonce l'acharnement présumé du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) à l'égard de cette clientèle marginalisée, instable et/ou fragile en lui collant 31 000 constats d'infractions entre 2006 et 2010 (pour moins de 2% de la classe sociale qu'elle constitue) pour ébriété publique (32%), passages impayés (33%) et consommation d'alcool sur la voie publique (31%) passe totalement à côté de la plaque en visant la police et non le pouvoir politique qui, ultimement, a la légitimité et l'expertise requises pour prendre cette problématique de front.

C'est ce que l'abbé Pierre vient leur dire, à titre posthume, dans cette courte, mais très évocatrice vidéo de 0:44 secondes, alors qu'il attaque le socle sur lequel l'itinérance et la pauvreté se construisent au quotidien : les inégalités socio-économiques qu'engendre le néolibéralisme économique débridé et son corollaire idéologique, le désengagement progressif et inéluctable de l'État dans les affaires sociales (la solidarité).

On peut décortiquer les résultats du rapport tant qu'on veut, la réalité de l'itinérance ne se résume pas, loin s'en faut, à cette grossière manoeuvre qu'on pourrait qualifier de dilatoire par les auteurs. La job de la police est de faire appliquer les lois, qu'on soit itinérant ou pas. Qu'on lui reproche d'appliquer les lois municipales (avec zèle ou pas, ça personne ne le sait vraiment) relève d'une totale absurdité parce que la responsabilité de l'itinérance est d'abord et avant tout d'ordre POLITIQUE.

Le message indirect envoyé par le SPVM par l'émission de ces contraventions est pourtant limpide : plusieurs itinérants ont des problèmes assez importants pour nécessiter une intervention rapide de la part de la société civile. Qui dépasse largement son mandat et ses compétences.

Mais qui lève la main pour prendre la relève et les aider??? Surtout pas la classe politique qui louvoie constamment afin d'éviter une question pas très rentable électoralement. Les pauvres et les itinérants ne votent généralement pas et deviennent une préoccupation pour leur base politique seulement lorsqu'elle les croise... en entrant dans un restaurant!

Surtout qu'en définitive, cette problématique est loin d'être insoluble. Sur les quelque 30 000 itinérants existants à Montréal, dit l'Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, le rapport note que 2 000 d'entre eux récoltent plus de 50% des infractions émises par la police. De ce nombre, 150 ont cumulé 25% de toutes les contraventions constatées par le SPVM.

Mais il y a, au-delà des infractions, une réalité complexe qu'il faudrait attaquer autrement que par la désinvolture et le jovialisme généralement admis dans ces cas de figure.

À La Maison du Père, l'organisme montréalais dont la spécialité est de servir de refuge pour les hommes sans-abri de plus de 25 ans, on identifie justement les quatre principales raisons pour lesquelles des êtres humains deviennent, un jour ou l'autre, des itinérants. Des justificatifs complexes qui exigent une expertise propre ainsi que des actions claires provenant du politique:

1. Les mutations du marché du travail. En termes clairs, on dit que les pressions exercées sur les individus afin d'atteindre les exigences de l'économie du savoir sont de plus en plus importantes. La précarité de l'emploi et son corollaire, la pauvreté, sont en constante augmentation et laissent, conséquemment, de plus en plus de personnes sur la voie d'accotement;

2. La crise du logement, ou l'inaccessibilité de cette clientèle à obtenir des logements sociaux en quantité suffisante, n'a pas été réglée adéquatement depuis que dans les années 1980, le gouvernement fédéral de Brian Mulroney a cessé de les financer;

3. La désinstitutionalisation, depuis les années 1960, a entrainé plusieurs personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale importants vers la rue, la solitude et le désœuvrement;

4. Les problèmes de toxicomanie sont de plus en plus pointus, notamment en regard à la prolifération de drogues dures et dangereuses dans les zones urbaines.

La proximité du corps policier avec cette réalité de la rue permettrait pourtant d'identifier assez facilement tous les cas - et pas seulement les problématiques extrêmes comme c'est présentement le cas avec l'Équipe mobile de référence et d'intervention en itinérance (EMRII) - afin de les refiler aux services sociaux pour évaluation, traitement et suivi adéquat.

Et il y a des solutions simples qu'on pourrait envisager d'appliquer afin de limiter les dérives possibles de l'itinérance. La volonté de recommencer à mieux contrôler les dérives idéologiques de l'économie de marché par l'application plus humaine des lois du travail afin de limiter les risques de verser dans l'itinérance.

Ensuite, il faut donner suite aux demandes répétées sur PRAPRU (Front d'action populaire en réaménagement urbain) pour du logement social adapté à cette clientèle spécifique.

Il faut, enfin, élargir le mandat de l'EMRII dont font partie le SPVM et le CSSS Jeanne-Mance, engager davantage de travailleurs sociaux afin de faire le pont (et le suivi) entre les problèmes (réels et nombreux) rencontrés sur le terrain par les policiers et les services de santé, et mettre sur pied un registre informatique ouvert où il serait possible, pour tous les intervenants concernés, de recouper les informations recueillies sur cette clientèle afin d'intervenir rapidement et efficacement.

Mais cette façon d'instrumentaliser la polarisation entre les bons autoproclamés et les présumés méchants ne fait qu'accentuer un débat malheureusement encore très stérile..

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