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Des trois conférences principales, je suis la seule femme et la seule qui vienne des sciences sociales.
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Tzido via Getty Images

On m'invite à donner une conférence dans le cadre d'une journée consacrée à la recherche scientifique, organisée par une association qui promeut cette dernière. Je décide d'y aller avec un aperçu des obstacles et des inégalités qui affectent encore les femmes qui souhaitent entreprendre et poursuivre une carrière universitaire. Je remarque que, des trois conférences principales, je suis la seule femme et la seule qui vienne des sciences sociales. Pas grave, je me dis, au moins j'y suis.

Je donne ma conférence, je présente des études, des statistiques, des données. L'écart salarial, le taux d'emploi des femmes qui diminue au fur et à mesure qu'on monte dans la hiérarchie universitaire, les biais genrés dans l'évaluation des demandes de subvention, les inégalités dans l'attribution des tâches de service aux collectivités, etc. Je livre.

Le collègue qui parle après moi, un scientifique de renommée, a aussi des responsabilités dans l'association qui organise la journée - et qui m'a invitée. Il ne dit pas un mot sur ma conférence. Il débute son intervention en mimant une voix féminine et dit: « si je parle comme ça est-ce que je peux passer pour une femme?» Je ne crois pas mes oreilles.

Il reprend son ton d'homme sérieux et dit qu'il est très content qu'il y ait une femme sur le panel: lorsqu'il avait vu que deux hommes étaient prévus sur le programme, raconte-t-il, il s'était inquiété, et il avait fait remarquer aux organisateurs « qu'il fallait absolument qu'il ne s'agisse pas d'un panel seulement d' hommes ». Au secours, il nous faut une femme! Imaginez son soulagement quand il a su que, après de longues recherches, les organisateurs avaient trouvé « Docteur Piazzesi »!

À ce moment, j'échappe justement un « WHAT? ».

Les organisateurs se tournent tout de suite vers moi pour dire que les choses se sont passées autrement - mais le collègue doit donner sa conférence, donc je leur fais signe qu'on s'en parlera plus tard.

Il n'y a jamais deux sans trois, disait ma grande-mère qui était vraiment très sage.

Il n'y a jamais deux sans trois, disait ma grande-mère qui était vraiment très sage. Je me demandais avec curiosité quel serait le troisième faux pas sexiste de mon collègue.

Sa conférence se termine, le mot de clôture est prononcé, les remerciements se font - soudainement le collègue reprend la parole: « je veux poser une question! » - et il commence à raconter une devinette sur les préjugés sexistes, très connue dans notre pays d'origine, l'Italie. Un jeune garçon et son père biologique sont dans une voiture et ont un accident. Le père meurt et l'enfant est transporté aux urgences pour être opéré. Le chirurgien entre dans la salle, voit le patient et dit: « je ne peux pas l'opérer, c'est mon fils!» Qui est le chirurgien?

« C'est la mère! », je lance à voix haute depuis mon coin. C'est la bonne réponse évidemment. La pointe de la devinette c'est que personne ne devine qu'il s'agit d'une femme. Je connais l'histoire, et je lui la gâche exprès parce que son paternalisme m'emmerde. « Ah, là vous me l'avez gâchée! » dit-il, « pouvez-vous croire que dans mon milieu de travail les femmes ont du mal à deviner qu'il s'agit d'une femme chirurgienne? Il y a vraiment du travail à faire sur les préjugés sexistes!»

Oui, c'est ce que je me disais aussi après t'avoir entendu feindre une voix de femme, me traiter de femme de service qui n'est pas là pour ses compétences, ne pas t'avoir entendu dire un seul mot sur les questions soulevées par ma conférence sauf pour ta petite devinette sexiste, qui t'a permis de reprendre l'avant-scène, de te rattraper sans doute (à tes yeux), d'affirmer que tu es du bon côté de la bataille.

Surprise: tu n'y es pas.

Voilà un jeudi soir de sexisme ordinaire.

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