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L'Afrique est-elle en sursis?

Dans vingt ans, si rien de concret et de durable n'est fait pour sauver les Africains de la misère et de l'insécurité, leur continent est appelé à disparaître dans sa forme actuelle.
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Tenaillée entre peur et espoir, ballotée entre braconniers de grand chemin et garde-forestiers en petite forme, l'Afrique est à l'image de ses éléphants. Dans 20 ans, si rien de concret et de durable n'est fait pour sauver les Africains de la misère et de l'insécurité, leur continent est appelé à disparaître dans sa forme actuelle.

Les marchés africains à quelques nuances près, sont verrouillés en faveur de sociétés étrangères disposant de centrales d'achat basées en Europe, et ce au nom des monopoles d'importation (officiels ou officieux) et de distribution de tel ou tel produit. Monopoles concédés généralement sur recommandation ou sur injonction du « tuteur », avec souvent des contreparties pour les dirigeants de ces pays en tant qu'individus.

La mauvaise gouvernance et sa conséquence, la corruption, constituent des sérieux handicaps à l'émergence de l'Afrique. Le peu qui est produit ou qui est reçu est en grande partie détourné, blanchi dans le secteur bancaire local et étranger. Selon Transparency International, les trois quarts des pays africains présentent des niveaux de corruption élevés (note inférieure à 5 sur 10) et quinze d'entre eux font partie des trente pays les plus corrompus du monde. Les économies de ces pays sont pour la plupart des économies de prédation où une minorité s'accapare de l'essentiel des ressources disponibles, laissant ainsi la masse dans une pauvreté quasiment organisée, voire industrialisée.

L'Afrique est en deuil permanent

Les paroliers nous rappellent que « celui qui excelle à ramasser les serpents morts se ravisera le jour où il sera en possession d'un serpent inerte pris pour mort ». L'Africain du 21e siècle, « réfugié dans le combat pour la survie » -l'expression est de Kofi Yamgnane- a changé. Il a conscience de son extrême pauvreté et de l'immense richesse de son continent et de ses dirigeants. Sa patience a des limites. Il a prouvé qu'il s'est se faire entendre quand on le fait trop attendre. Dans le chaudron africain, des ruelles fumantes de Sidi Bouzid en Tunisie aux mines de platine ensanglantées de Marikana en Afrique du Sud, du centre-ville bouillant de Ouagadougou au Burkina Faso au littoral mouvementé du Puntland en Somalie, l'odeur de la colère des peuples africains, délaissés chez eux et indésirables ailleurs, ne cesse de fumer et d'enfumer.

Pour se convaincre de cette double peine, il suffit juste de visiter les routes clandestines de la mort tenues « mains dans la poche » par les filières mafieuses de passeurs. À travers le désert du Sahara, les forêts méditerranéennes, les fonds des mers, les coffres et pare-chocs de ces milliers de voitures, les cales de ces bateaux traversant mers et océans, vous allez faire la rencontre des « damnés de la mer », ces centaines voire ces milliers d'Africains, affamés, assoiffés, asphyxiés et apeurés, qui y ont laissé leur seul espoir sinon leur dernier soupir fuyant la misère, la famine, les conflits et la persécution dans leur pays à la recherche d'un mieux-être ailleurs. Rien qu'à Lampedusa, reconnu pour être le plus grand cimetière marin du monde, il a été enregistré 17 000 morts en 20 ans. La maire de cette petite île italienne Giusi Nicolini, citée par l'hebdomadaire Jeune Afrique, a sa formule: « On n'a plus de place, ni pour les vivants ni pour les morts. »

Tout un symbole du désespoir de la jeunesse du continent, de l'incapacité des gouvernants africains et de l'indifférence de la communauté internationale face au drame et à l'horreur qui se banalisent. Où est l'ONU? Où est l'UA? Leur apathie laisse sans voix. Voilà où mène le renoncement au développement ! Voilà comment on fabrique des désespérés, des « jusqu'au-boutistes »!

Et nul doute, dans les prochaines années, si les gouvernants africains plus soucieux de la gestion de leur temps de présence que du développement de leur pays ne leur proposent pas de meilleures conditions de vie, les populations africaines abandonnées à l'oubli et à la misère montreront du muscle en s'autoadministrant. Peut-être de façon chaotique et sarcastique?

Qu'importe pour eux si le sacrifice est déjà consommé ! Ils s'en contrefichent. Et il n'y aura ni recul ni renoncement de leur part. Pour autant la conscience citoyenne africaine est interpellée pour sa part de responsabilité dans le choix des hommes devant conduire les affaires de la cité. Elle devrait se rappeler ce dicton peul: « Si tu fais d'une grenouille un roi, ne t'étonne pas de l'entendre coasser ».

Plus sérieusement, l'Afrique accuse un retard inadmissible à l'allumage alors qu'elle a tous les atouts pour s'y faire. Que nous arrive-t-il? Avons-nous tiré toutes les leçons du passé? Qu'avons-nous fait de l'Afrique, cette vieille dame au silence écouté, qui nous a tout donné et à qui nous avons tout refusé? Les oreilles des populations africaines ont été tellement travaillées par les gouvernants et les intellectuels à coup de fausses promesses, de fausses vraies réalisations distillées à travers meetings, conférences, sommets et autres forums que nous doutons qu'elles puissent encore entendre.

Le sage de Bandiagara Amadou Hampaté BA rappelle que « La force du mensonge est qu'à force d'être répété, un beau jour le menteur lui-même finit par y croire ». Pour réinstaller la confiance, il sera utile de faire appel à des « orthophonistes » d'un tout autre genre. Pour l'ancienne ministre malienne, Aminata Dramane Traore, « les acteurs politiques et sociaux ont cru et continuent de penser qu'on peut dormir sur la natte des autres (pour employer une expression chère au Professeur Joseph Ki Zerbo), et bien s'en porter. » Or, comme le dirait l'autre: « les bêtises, comme les impôts, tôt ou tard vous allez les payer ». Et si tel est notre destin, assumons-le!

Mais allons-nous hypothéquer l'avenir des générations futures en les condamnant, non à développer leur continent, mais à le libérer à coup de sang et de devises pour ainsi recouvrer leur dignité et leur honneur que nous avons sacrifiés sous l'autel de nos égos, de nos clivages et de nos inerties?

Point de fatalité! Nous ne pouvons pas être en détention et revendiquer les privilèges de la liberté. Oui ce sont nous, les Africains, qui avions mis notre continent dans les liens de la détention et de la servitude. Point de bouc émissaire ! Il faut sortir de la victimisation, assumer ses responsabilités et avoir le regard lucide sur la situation de l'Afrique.

Quelle solution?

Pour prescrire la thérapie, il faut d'abord s'accorder sur le diagnostic. Un constat semble être partagé, tant que le commerce intra-africain restera à ce niveau ridicule et minuscule de 15%, point d'émergence pour le continent. Ou l'Afrique intensifie ses échanges avec elle-même ou elle organise son suicide collectif.

Il est illusoire de croire que le développement économique de l'Afrique sera le fruit du hasard. C'est faire preuve d`angélisme. Faut-il attendre des « partenaires » de l'Afrique qu'ils développent le continent? Assurément, non. Ce sera trop leur demander. Et même si c'était le cas, ils ne le feront pas. Ce n'est pas parce qu'ils aiment le foie gras qu'ils doivent forcement s'intéresser à la vie du canard. Les relations économiques internationales sont un jeu à somme nulle. Chacun veille, légitimement et jalousement, sur ses intérêts. Et tout y passe pour les préserver.

Et l'Afrique ne peut pas continuer à tendre la main ad vitam aeternam. L'aide a ses limites. Aucun plan de développement crédible et pérenne ne peut reposer principalement sur ce modèle au risque de secréter l'assistanat, la pauvreté et la misère dans le pays adressé. Il faut donc changer de logiciel de développement. Il va falloir s'y résoudre définitivement, le développement de l'Afrique ne viendra pas d'ailleurs. Ni maintenant ni demain. Il viendra, ou ne viendra pas, par le seul fait des Africains. Tant mieux, bien sûr, si un soutien étranger peut y contribuer. Mais, comme le dirait l'autre, ce soutien ne sera rien s'il n'y a rien à soutenir.

L'Afrique est condamnée à réussir. Et elle réussira. Avec notre vie. Nos neurones et nos muscles.

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Avril 2018

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