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La culture du viol existe, Michèle Ouimet

Parce que la condition de la femme était pire avant, on ne peut pas être révolté aujourd'hui? La position de Michèle Ouimet est à la fois déloyale envers les femmes et soumise à une perspective clairement machiste.
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La chronique La culture du viol, prise 2, de Michèle Ouimet me heurte profondément. Elle ferme les yeux sur un phénomène qui existe bel et bien. Elle adopte un discours minimisant, voire condescendant, sur les violences que les femmes vivent quotidiennement.

Parce que nos mères, nos grands-mères, ont vécu de grandes injustices, celles que nous dénonçons aujourd'hui sont illégitimes? Parce que la condition de la femme était pire avant, on ne peut pas être révolté aujourd'hui? Sa position est à la fois déloyale envers les femmes et soumise à une perspective clairement machiste. Madame Ouimet, sait-elle pourquoi elle rejette avec autant d'insistance le terme « culture du viol »? Je ne l'aime pas moi non plus. Mais pour ma part, si ces mots me font grincer des dents, c'est que j'ai internalisé, malgré moi, l'image populaire d'un mouvement féministe hystérique.

C'est que j'adhère, inconsciemment, au courant dominant qui normalise la violence sexuelle commise aux femmes. J'en ai honte. Nommez-le comme vous le voulez, mais on ne peut pas nier l'existence d'une culture où les violences sexuelles commises aux femmes sont normalisées. Normaliser signifie implicitement une certaine acceptation. Une amie me confiait récemment que son oncle lui caressait les fesses lorsqu'elle était petite. Spontanément, je me suis dit « reviens-en! » C'est un réflexe tristement naturel.

Je n'ai jamais été violée. Mais j'ai vécu de la violence sexuelle de manière répétée à l'enfance, à l'adolescence et au début de l'âge adulte. Au moment d'écrire cette dernière phrase, j'allais mettre entre guillemets le terme violence sexuelle. Comme s'il était exagéré. Parce que comme madame Ouimet et comme bien des gens, je suis un peu conditionnée à trouver banals des comportements déplacés, des comportements qui portent atteinte à mon intimité. Après tout, ça fait partie d'être une femme que de connaître ce genre de mauvaises expériences.

Autour de l'âge de 5 ans, il y a un monsieur qui venait souvent parler avec moi, quand j'étais seule, dans la ruelle. Il partait rapidement dès que mes parents s'approchaient. Vers l'âge de 7 ans, le monsieur qui venait me chercher à l'école et me porter à la maison insistait souvent pour que je lui donne un « bisou ». Il faisait semblant d'appeler ma mère et me disait qu'elle me donnait l'ordre de l'embrasser. Après un certain temps, mes parents ont simplement fait appel à un autre chauffeur. Jamais ils n'ont confronté ce pervers. Jamais ils n'ont avisé ses supérieurs.

À l'adolescence, ce que je qualifie maintenant d'agression (avec un petit sentiment d'exagérer) s'est multiplié. Elles se sont diversifiées aussi. J'ai eu droit à un premier exhibitionniste à 14 ans. Je dis un premier parce qu'ils ont été nombreux. Deux fois, j'ai été carrément suivie par des exhibitionnistes. La première fois, il était accoté contre sa voiture sur le chemin Camilien Houde et se masturbait. Il a pris le volant de sa voiture 2-3 fois pour nous rattraper (car on marchait). Il ressortait alors de son véhicule et recommençait à se masturber devant nous. Tout le long du chemin Camilien Houde. Une autre fois, j'ai déjà été suivi sur plusieurs coins de rue, jusqu'à l'intérieur d'une église. Je me recueillais quand un jeune homme a brandi son sexe dans mon visage en riant.

Ma mère, comme madame Ouimet (ou peut-être comme les femmes de cette génération?) a tendance à minimiser ce genre d'incidents. Elle ne comprenait pas que je sois secouée les minutes suivant cette agression. Puis, au début de l'âge adulte, j'ai connu un autre type de déviant : les voyeurs. J'ai surpris à 5 ou 6 reprises un homme, pas toujours le même, installé devant la fenêtre de ma chambre, à m'observer pendant que je m'habillais ou même pendant que je dormais... Un soir, un de ces hommes (que j'ai reconnu) a réussi à pénétrer dans l'immeuble où j'habitais et a cogné à ma porte.

Après toutes ces années où mon corps n'a pas été violé, mais mon intimité l'a été, j'en ai eu assez.

J'estime avoir vécu au moins une quinzaine de situations du genre au courant de ma vie et je n'ai pas trente ans. Après toutes ces années où mon corps n'a pas été violé, mais mon intimité l'a été, j'en ai eu assez. Je me suis présentée au poste de police pour qu'on m'aide; un homme du quartier me regarde chez moi. Il était installé, accroupi devant ma fenêtre. Est-ce qu'on peut faire quelque chose? Ça va être compliqué, m'a-t-on expliqué, parce qu'il n'y a aucune infraction commise, à part peut-être celle d'être sur un terrain privé après une certaine heure le soir... L'infraction de l'homme était d'être sur la pelouse de mon immeuble. Pas de faire du voyeurisme!

Mon histoire est celle de la plupart des femmes. Il semble normal qu'une femme soit exposée à la vue indésirable du sexe d'un parfait inconnu, qu'elle se fasse suivre par un homme, qu'un homme frotte son sexe à elle dans le métro ou passe sa grosse main par inadvertance, mais insistance sur ses fesses, sur ses cuisses, qu'on l'observe chez elle dans son intimité... Chaque fois que ça s'est produit, je me disais: « bah ce n'est pas grand-chose ». Jusqu'à récemment, jamais je ne me serais qualifiée de victime, alors que je l'ai été.

Pour moi, c'est ça la culture du viol. Hommes et femmes, nous y contribuons tous. Ce n'est pas normal que ces agressions soient aussi fréquentes. Ce n'est pas normal non plus de dire «bah, c'est pas grand-chose». En lisant la chronique de madame Ouimet, c'est ce que j'entends.

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