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Rendez service aux malades: changez la façon dont vous parlez du cancer

Le jour où on arrivera à prononcer ce mot tabou sans trembler, où on montrera sur grand écran une bataille victorieuse sur cette maladie, sans pathos ni bons sentiments, mais plutôt un cocktail de gravité, d'impertinence et d'humour, on aura franchi un grand pas.
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A l'âge de 37 ans, j'ai appris que j'avais un cancer du côlon. Il a fallu encaisser le choc et digérer d'être frappée si jeune par un mal qui touche en grande majorité les plus de 50 ans. Quand le diagnostic est tombé, le médecin m'a annoncé : "Vous avez un cancer, on va vous opérer, puis vous taper sur la tête avec de la chimio...". J'ai eu peur, terriblement peur. Mais il a ajouté aussitôt : "Vous savez, vous allez vous en sortir sans séquelles". Je n'allais donc ni perdre mes cheveux, ni changer radicalement de quotidien. En l'écoutant me rassurer, j'ai arrêté la machine à fantasmes qui s'était mise en route dans ma tête et avec elle, la valse funeste des mots "cancer" et "chimio". J'ai décidé de croire à la vie, au bonheur, à ma guérison. Soutenue par ma famille et par mes amis, encouragée par les médecins, je me suis accrochée à cette idée comme un naufragé à sa bouée de sauvetage.

Tout en combattant la maladie, j'ai continué à travailler tant que je le pouvais, à sortir, prendre le métro, à faire du shopping, à porter du vernis à ongles, et même à chercher l'homme de ma vie! J'ai accordé du temps au cancer, mais il n'a jamais pris toute la place. Même pendant les traitements, je ne suis pas devenue une "malade". J'ai cherché plus d'une fois le cancer dans mon reflet sans jamais le trouver. Avec ma mère qui m'a accompagnée à tous mes rendez-vous médicaux, on a souvent ri dans les salles d'attente. Les médecins ou les autres patients s'adressaient spontanément à elle, la prenant pour la malade étant donné son âge. A chaque fois, je rectifiais amusée : "Euh non...c'est pour moi qu'on est là". Je me souviens aussi de cette scène cocasse : alors que l'on venait juste de me retirer les ovaires, l'aide-soignante qui découvrait mon dossier médical et avec qui je bavardais, m'a demandé étourdiment : "Et des enfants? Vous en voulez?". Loin de me formaliser, j'ai satisfait sa curiosité par un oui ferme et assuré... J'ai fait mon miel de ces bévues savoureuses. Le rire détend tout autant que les pleurs, avec l'avantage non négligeable de ne pas laisser les yeux rouges.

Je suis aujourd'hui en rémission depuis quatre ans et je ne bute plus sur ce mot, "rémission". Avant d'avoir un cancer, je n'arrivais pas à retenir sa signification, je confondais toujours avec rechute. Rémission, on remet ça, l'association me paraissait logique. Aujourd'hui, c'est clair comme de l'eau de roche : rémission, on s'en remet. Je ne mélange plus. Je sais d'expérience qu'on peut avoir eu un cancer et être en rémission, étape préalable à la guérison définitive. Cette maladie qui se soigne de mieux en mieux continue pourtant à faire peur au plus grand nombre. Tellement peur qu'on n'arrive toujours pas à la nommer. On use de précautions oratoires, on parle d'une "longue maladie", du "crabe" ou d'un "gros ennui de santé". À l'hôpital, on vous oriente en "oncologie", surtout pas en cancérologie (avec la chimiothérapie, on comprend pourtant vite qu'on ne soigne pas un simple rhume). Au cinéma ou dans les rayons des librairies, la vision des malades du cancer est trop souvent uniforme. Des-patients-condamnés-profitent-de-leurs-derniers-mois-pour-réaliser-leurs-rêves-et-resserrer-les-liens-avec-leurs-proches-parce-que-quel-sacré-moment-de-vérité-quand-même! La réalité est moins réductrice. Condamnées ou pas, les personnes qui ont un cancer le soignent, tout simplement, en espérant s'en sortir. Elles regrettent qu'on associe systématiquement cette maladie à la mort et elles n'ont pas tellement envie qu'on leur rappelle que l'hypothèse d'une issue fatale est envisageable - les magasins de pompes funèbres qui fleurissent aux abords des hôpitaux sapent déjà assez le moral! Elles n'ont pas besoin de cette épreuve pour être proches des leurs et leur dire qu'elles les aiment. Elles n'abandonnent pas leurs rêves et peuvent en accomplir de grands après la guérison. C'est ce qui m'est arrivé.

C'est donc avec la volonté de tenter de changer le regard sur les malades du cancer, que je raconte mon histoire dans un livre. Il le fallait. Le jour où on arrivera à prononcer ce mot tabou sans trembler, où on montrera sur grand écran une bataille victorieuse sur cette maladie, sans pathos ni bons sentiments, mais plutôt un cocktail de gravité, d'impertinence et d'humour, on aura franchi un grand pas. Tous ceux et celles qui luttent contre un cancer, comme tous ceux et celles qui s'en sont remis, diront alors d'une seule voix : "Merci de croire avec nous en la vie".

Charlotte Fouilleron, auteur de "On ne meurt pas comme ça".

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