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Harcèlement moral: l’ingrat fardeau de la preuve

Il fait beaucoup trop de dégâts dans le monde du travail, entraînant une sévère perte de productivité des entreprises en plus d'avoir des impacts catastrophiques pour les personnes.
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Si le harceleur est en position d'autorité, il justifiera ses gestes par la parade classique et tellement prévisible: la légitimité de son autorité hiérarchique ou encore, son droit de gérance.
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Si le harceleur est en position d'autorité, il justifiera ses gestes par la parade classique et tellement prévisible: la légitimité de son autorité hiérarchique ou encore, son droit de gérance.

De récents ajustements aux Normes du travail ont resserré les obligations en matière de harcèlement au travail. À partir du 1 janvier 2019, tous les employeurs devront avoir une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes.

Le harcèlement moral est illégal

Le harcèlement moral est de plus en plus connu et fait beaucoup trop de dégâts dans le monde du travail, entraînant une sévère perte de productivité des entreprises en plus d'avoir des impacts catastrophiques pour les personnes. «Ça tombe comme des mouches, retraites anticipées, longs congés de maladie et parfois suicide...» La France a pris le sujet au sérieux et a même criminalisé ce genre de comportement.

Au Québec, nous naviguons dans des eaux plus troubles, même si la Charte québécoise stipule que «toute personne qui travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique».

Selon la Loi sur les normes du travail, le harcèlement psychologique se définit comme «Une conduite vexatoire se manifestant par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychologique ou physique du salarié, et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.» On trouve une définition et des informations pertinentes sur le site educaloi.qc.ca.

Le sujet a probablement commencé à être mieux connu à partir de la parution en 1998 de l'ouvrage de Marie-France Hirigoyen, Le harcèlement moral. L'auteur y décrit judicieusement le profil de la perversion narcissique derrière le phénomène. Les syndicats se sont davantage penchés sur le sujet depuis le tournant des années 2000. Nous avons nous-mêmes produit un document sur la question pour permettre aux travailleurs aux prises avec ce phénomène d'y voir un peu plus clair.

Preuve difficile à faire pour le travailleur

Si nous parlons de ce sujet aujourd'hui c'est que nous avons constaté qu'il est loin d'être facile pour le travailleur qui subit du harcèlement moral d'être pris au sérieux et d'obtenir gain de cause. Alors qu'il est psychiquement affaibli, il a l'ingrat fardeau de la preuve face à un environnement hostile. Le gestionnaire, surtout s'il est un harceleur de type pervers narcissique, sait faire preuve de stratégie et parvient souvent à renverser la situation en démontrant qu'il est lui-même la victime dans la circonstance.

Si le harceleur est en position d'autorité, il justifiera ses gestes par la parade classique et tellement prévisible: la légitimité de son autorité hiérarchique ou encore, son droit de gérance.

Bien sûr, sous la pression constante du harcèlement ou de la provocation, une personne pourra avoir une réaction d'exaspération et cette réaction sera utilisée contre elle pour démontrer que c'est supposément elle est le harceleur: le monde à l'envers, quoi!

Autre stratégie efficace de l'employeur: faire passer le harcèlement pour un conflit de personnalités de la personne avec son supérieur ou son harceleur. D'autant plus que si le harceleur est en position d'autorité, il justifiera ses gestes par la parade classique et tellement prévisible: la légitimité de son autorité hiérarchique ou encore, son droit de gérance. Comme le harceleur se présente bien auprès de son supérieur, il est difficile d'être pris au sérieux en faisant appel à celui-ci pour dénoncer la situation.

L'intention inavouée du harceleur est de détruire sa victime, car elle est perçue comme une menace. Surtout si c'est quelqu'un qui s'affirme et se tient debout.

Il est alors difficile pour l'employé(e) de faire la démonstration du contexte de harcèlement qui peut se vivre sur des mois, voire des années. Plusieurs croient pouvoir réussir à s'ajuster et, ce faisant, pouvoir faire la démonstration de leur compétence ou de leur bonne conduite. Mais ils oublient qu'ils se retrouvent dans une dynamique perverse et perdue d'avance. Parce que l'intention inavouée du harceleur est de détruire sa victime, car elle est perçue comme une menace. Surtout si c'est quelqu'un qui s'affirme et se tient debout.

La saga qui s'installe pour «casser» cette personne est sans pitié et se joue souvent dans une mauvaise foi absolue. On cherche des poux, on déforme la réalité, on sort les faits hors de leur contexte, on ment impunément, on nie la compétence, on camoufle des faits avantageant le travailleur, bref, tous les coups sont permis pour le harceleur.

Logique du harceleur: camouflage derrière le droit de gérance

La logique du harcèlement est une logique perverse (communication pervertie), à l'encontre de la vérité et de l'honnêteté. Le harceleur a intérêt à maintenir la communication trouble, afin de masquer son incompétence et ses comportements erratiques.

En arbitrage ou en conciliation, le travailleur aura de la difficulté à démontrer les tactiques du harceleur. Le syndicat et l'arbitre seront souvent dupés par les intentions légitimes de l'exercice de l'autorité et les bons principes du droit de gérance, lesquels auront rapidement fait de les convaincre de l'insubordination de l'employé ou de son «mauvais caractère».

D'autant plus que les témoins s'éclipsent, voulant éviter les représailles sur eux-mêmes. Et d'aucuns déplorent que les Ressources dites «humaines» soient au service de l'employeur et manquent souvent d'éthique face aux victimes de harcèlement moral.

Les comportements du personnel des relations de travail peuvent avoir des impacts majeurs sur les travailleurs mais, la plupart du temps, ils ne sont pas membres d'un ordre professionnel, il est donc difficile de porter plainte contre eux.

Comment faire la démonstration

La violence psychologique n'est pas facile à détecter pour une personne de l'extérieur, un collègue ou même un représentant syndical peu informé sur la problématique. Il s'agit d'une violence dans la subtilité des gestes et souvent sans témoins, au fil des jours. Rarement un seul de ces gestes pourrait être jugé comme étant du harcèlement ou de la violence morale.

Hirigoyen (1998) définit le harcèlement moral comme «une violence à petites touches, qui ne se repère pas, mais qui est pourtant très destructrice». S'y ajoutera également le critère de la banalisation. Par exemple, on disqualifiera le plaignant en disant qu'il a la «couenne» trop sensible. Mais cette violence se mesure à deux critères majeurs: 1) le portrait d'ensemble et 2) l'impact sur la personne.

Pour documenter l'ensemble du tableau, l'employé devra noter au quotidien (ou rétrospectivement) chaque geste, chaque parole, chaque attitude vexatoire, hostile, dénigrante, ou encore, portant atteinte à la dignité de la personne.

Si on n'a pas eu l'occasion de côtoyer de près un harceleur, il est difficile de croire à autant de mesquineries et de méchancetés, le plus souvent voilées.

Le Ministère du Travail (2001)[1] précise que cette forme de harcèlement, «se compose de petits incidents bénins dont le cumul et la convergence pourraient donner lieu à une lésion professionnelle» et que «c'est le caractère insidieux des comportements qui contribue le plus à l'atteinte psychique.»

Ce processus insidieux se développe dans le temps: le ou les harceleurs agissent à visage masqué, c'est là leur force. «Au quotidien, le harcèlement prend diverses formes, dont certaines sont parfois trop subtiles pour qu'on y prête attention sur le coup. Humiliation, menaces, chantage, accusations ouvertes ou à demi-mot, insinuations non fondées, critiques de la personnalité plutôt que du travail, etc.: pas étonnant que certains spécialistes de la question parlent de guerre psychologique entre la victime et son harceleur, voire de psychoterreur» (Tremblay 1999)[2]. Mais il y a aussi des actions concrètes telles qu'être mis(e) en état d'infériorité, soumis(e) à des manœuvres hostiles, subir une perte progressive des responsabilités, être exclu(e) des réunions ou mis(e) en doute quant à l'utilité de sa tâche ou de ses compétences.

La preuve de la violence psychologique se fait également au regard de l'impact destructeur sur la personne. Il faut insister sur l'examen de l'atteinte psychologique résultant de la violence morale, de l'intense souffrance psychique qui en découle. Le harcèlement moral est une forme de violence sournoise qui vise à déstabiliser la victime et ultimement la détruire. Il est possible de détruire quelqu'un juste avec des mots, des regards, des sous-entendus.

Les capacités de la victime sont peu à peu réduites, aboutissant parfois à une véritable destruction psychique si ce n'est une destruction tout court à travers l'issue suicidaire.Hirigoyen

On observe chez la victime une usure progressive et une perte de confiance en son propre jugement. À voir ses droits bafoués et le harcèlement quotidien banalisé sans pouvoir arrêter cette implacable dynamique, il y a de quoi devenir dingue.On observe souvent des réactions d'ordre post-traumatiques, des impacts psychosomatiques et une atteinte majeure à la santé physique.

Et au final, vous pouvez vous retrouver avec un congédiement déguisé, ou encore le harcèlement peut se traduire en pratiques interdites telles que suspension, déplacement, mesures discriminatoires, bris de confidentialité des dossiers, représailles ou toute autre sanction.

Quelques pistes

L'impact est très percutant. Il est important de consulter un psychologue pour vous aider à y voir clair, pour casser l'implacable mécanique de remise en question de soi, de sa compétence, voire, d'autodépréciation qui mène parfois à la pulsion suicidaire.

Assurez-vous que le psychologue est familier avec cette dynamique. L'impuissance vécue dans la situation est carrément infernale et dévastatrice. Il faut pouvoir être entendu dans sa réalité et pouvoir exprimer l'ensemble des émotions vécues dans un tel contexte et surtout être cru, car ces scénarios peuvent être perçus comme de la paranoïa.

Vous devez pouvoir exprimer vos sentiments d'impuissance et d'injustice, de dégoût et d'être à bout de forces. D'autant plus que la loi du silence tend à faire comme si de rien n'était.

Et, au surplus, l'abus de pouvoir peut se prolonger par des convocations aux relations de travail pendant une période d'invalidité, par la tactique de l'expertise psychiatrique alors que l'employé(e) peut se trouver piégé(e) par une expertise complaisante qui banalise le problème ou l'évacue carrément.

Demandez à votre syndicat de vous défendre dans cette situation. Assurez-vous toutefois qu'il connaît la dynamique du harcèlement et qu'il ne la banalisera pas. La situation empire lorsque l'employée sent que son syndicat est plutôt mou, voire carrément contre elle. Une personne victime de harcèlement déplorait qu'en tant que syndiquée, elle n'avait pas accès à d'autres ressources comme les Normes du travail ou la Commission des droits de la personne. Il est important de savoir que si vous êtes mal défendu(e) par votre syndicat, vous n'avez pas droit de recours auprès de ces instances.

Certains travailleurs ont dû engager un avocat pour faire valoir leurs droits auprès du syndicat local, car les syndicats n'ont pas tous la même compétence ni la même fermeté face à cette problématique.

De la jurisprudence existe également quant aux recours des syndiqués lorsqu'ils estiment que leur syndicat a failli à son devoir de représentation à leur endroit, notamment l'utilisation de l'article 47.2 du Code du travail. «En vertu de l'article 47.3 C.tr., un salarié qui a subi un renvoi ou une mesure disciplinaire ou qui croit avoir été victime de harcèlement psychologique pourra déposer une plainte à la Commission des relations du travail (CRT) s'il croit qu'à cette occasion le syndicat a contrevenu à son obligation de le défendre.»

Des lectures pourront vous aider à vous valider dans votre vécu et vous permettre de retrouver des points de repère et sortir de la nébuleuse confusion entraînée par le contexte continu de mensonges, de manipulation et d'agression psychologique. L'ouvrage de Marie-France Hirigoyen sur le harcèlement moral s'est avéré bénéfique pour plusieurs.

Si vous voulez vous contenter d'un court texte, nous vous suggérons notre document «Compréhension du phénomène de violence psychologique au travail». Vous pourrez également consulter les plaintes à la Commission des Normes du travail sur le site «Au bas de l'échelle».

Pour les personnes intéressées au soutien psychologique, nous avons récemment découvert un intéressant ouvrage (en anglais seulement), qui permet également de cibler les aspects qui peuvent nous rendre particulièrement vulnérables face au harcèlement moral. Il s'agit de «Desarming the narcissist» (Behary, W.T., 2013, Oakland: New Harbinger).

En terminant, souhaitons que la nouvelle politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes que devront instaurer les employeurs à partir de janvier 2019 facilitera la tâche aux personnes victimes de violence psychologique au travail pour faire valoir leurs droits et faire reconnaître et cesser la violence dont elles sont victimes.

[1] Ministère du Travail. 2001. Rapport interministériel sur le harcèlement psychologique. Gouvernement du Québec

[2] Tremblay, J. (1999). Harcèlement psychologique. La guerre des nerfs. «Coup de pouce». Mars.

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