Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Quand la religion est le prétexte du fanatisme

Une société devient hystérique quand elle ne sait pas comment répondre à des commotions sociales et à des traumatismes historiques et lorsque les frustrations sont trop nombreuses.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Contrairement à ce qu'on dit parfois, ce ne sont pas seulement la pauvreté, la misère, le chômage, le désespoir qui sont à l'origine de la violence et du fanatisme mais aussi un sentiment de vide intérieur qui finit par trouver une forme de résolution dans une idéologie athée ou religieuse. L'idéologie politique ou la religion, aussi nobles qu'elles soient dans leurs principes et leurs aspirations, ne sont que des prétextes à la violence du fanatisme.

Ce qui caractérise le fanatisme, c'est la mégalomanie, le refus de toute limitation, le fait de n'accepter aucun frein. Face aux contraintes, la force du fanatisme réside dans la promesse de réaliser des désirs infantiles de toute-puissance. Les fanatiques ne voient pas la complexité de la situation, avec ses nuances, avec ses aspects bons et mauvais. En de telles visions peuvent communier les mécontents et les déshérités.

Il serait indispensable de s'intéresser à l'état réel des sociétés arabes, en particulier de leur jeunesse, y compris dans ses aspects psychopathologiques. Les raisons pour lesquelles une partie importante de ces jeunes gens vivent leurs relations au monde sur un mode paranoïaque dans lequel l'autre est vu sans nuance, "tout noir" alors qu'on est soi-même "tout blanc" tiennent beaucoup à une problématique familiale et sociale d'une part, politique d'autre part.

La diminution de l'image de la force paternelle introduite par les révolutions techniques et industrielles représentées de manière significative par les puissances occidentales et leur super pouvoir technologique et militaire ont mis en cause l'identification des fils aux pères humiliés et dévalorisés. Une civilisation qui reposait sur une autorité patriarcale forte se transforme peu à peu dans une une société de fratries et de bandes. De même, les relations souvent peu cordiales entre les pères et les fils, les hommes et les femmes, les frères et les sœurs contribuent à la création de pathologies sociales.

Ces pathologies sociales ne touchent pas seulement les milieux les plus défavorisés. C'est en fait presque toute la société qui vit un phénomène de contagion psychique et entre dans une spirale de violence et d'excitation morbide. On peut parler en l'occurrence d'une dynamique hystérique.

Lorsqu'une société est prise dans une dynamique hystérique, elle agit comme si elle était unie quels que soient ses dysfonctionnements et dissensions intrinsèques. Sa cohésion est assurée par l'existence d'un ennemi. Ce mécanisme entretient un état de guerre permanent dans le psychisme collectif ; les membres de cette société entretiennent avec la réalité un rapport de plus en plus faux, les uns entraînant à leur suite les esprits les plus sensés, les autres donnant du sens à une soif de vengeance aveugle. Tous ensemble, ils deviennent incapables de voir que la cause de leurs malheurs et de leurs échecs réside dans un enchaînement normal de causes et d'effets. Ils cherchent des explications qui permettent de faire perdurer leur vision faussée de la situation. Les slogans permettent d'oublier les faits désagréables. En cherchant d'autres groupes sur lesquels faire retomber la faute et les responsabilités, ils peuplent le monde extérieur de croquemitaines et finissent par créer les intentions hostiles en face. La peur et l'excitation qui rendent violents créent en retour la peur et la violence de leurs adversaires.

Une société devient hystérique quand elle ne sait pas comment répondre à des commotions sociales et à des traumatismes historiques et lorsque les frustrations sont trop nombreuses. C'est le cas pour l'ensemble du monde arabe aujourd'hui. Ce climat hystérique fait émerger ceux qui font écho à l'hystérie de la communauté et réduit l'influence des personnalités clairvoyantes. Cet incendie prend son origine chez les individus, dans la pathologie des individus qui est lui-même allumé par les circonstances extérieures, l'environnement social et politique. Ainsi, la victoire israélienne de juin 1967, succédant à la Nakba de 1948, a contribué à l'écroulement des espoirs fondés dans l'unité arabe, et engendré une humiliation sans pareille, en même temps que subsistait la misère et la stagnation politique

Or contrairement à ce que croient les masses ou à ce qu'on leur fait croire, ce ne sont pas seulement les Israéliens ou les Occidentaux en général qui portent la responsabilité de cette situation, mais aussi les gouvernements autocrates, corrompus, clientélistes. Dans beaucoup de sociétés arabes, et en particulier dans la société palestinienne, ces sentiments de frustration et d'humiliation, s'ajoutant aux problèmes d'identité, créent un certain nombre de blessures au narcissisme individuel et surtout collectif. C'est le cas de toutes les sociétés qui vivent une impasse et voient s'écrouler tous leurs espoirs et constatent la stagnation et la paralysie politique. Une autre issue consiste à créer des mythes qui visent à restituer les époques de grandeur. Ce fut le cas pour les Allemands, hantés par le souvenir du Saint empire romain germanique mais surtout motivés par l'esprit de revanche, la défaite de 1918 et les clauses humiliantes du traité de Versailles. Ce fut le cas également pour les juifs, pour les Grecs, les Italiens au temps de Mussolini, les Serbes, etc. Dans les pays arabes, c'est l'Islam qui permet de constituer cette nouvelle identité et de restaurer le narcissisme blessé.

Dans l'entretien du climat hystérique et de la fièvre nationaliste, les mouvements islamistes fondamentalistes jouent en effet un rôle important. Leur emprise est tout à fait logique et inévitable car ils répondent à des besoins essentiels. Le narcissisme de groupe est proportionnel à l'absence de vraies satisfactions dans la vie et l'hystérie est une échappatoire devant les problèmes. La non-satisfaction de ces besoins met en danger l'individu. Lorsqu'elle est partagée par une proportion importante de la population, c'est la cohésion collective qui est menacée, fondée sur un équilibre de forces et de tensions. L'Islam a des effets réparateurs compensateurs. Face à la mondialisation et aux transformations qu'elle apporte, l'ethnocentrisme est une source de fierté, de dignité, de respect et de valeur morale. Face également à la propagation des idées démocratiques et libertaires qui sont liées à l'invasion ou à la domination étrangère et n'apportent pas toujours le bonheur et la justice. La fierté dont on parle beaucoup dans le monde arabe consiste à être inflexible et à relever la tête face à l'oppression.

Dans cet attrait pour l'Islam, il y a quelque chose de parfaitement rationnel, un idéal de justice et de liberté qui propose de préserver mes sociétés arabes de leurs maux politiques et sociaux, de la présence des dérives autocratiques, de la corruption, des enjeux de pouvoir. L'islam radical a remplacé la gauche anti-impérialiste. Mais à côté de ce désir légitime de justice et de liberté pour tous les opprimés, les mouvements islamistes représentent aussi une psychopathologie collective. Comme ce fut le cas pour d'autres mouvements politiques de masse qui furent en réalité, des psychoses collectives, des épidémies de masses, l'annihilation de l'adversaire est légitime parce que ce dernier représente le mal absolu.

Cette folie collective qui après avoir possédé l'Europe des croisades, de l'inquisition et de la Chasse aux sorcières, la Russie de Staline, l'Allemagne de Hitler, la Chine de Mao, le Cambodge de Pol Pot, s'empare aujourd'hui du monde arabe et musulman est le phénomène commun d'une même et terrible maladie collective qui prend des formes épidémiques et conduit comme toujours au massacre de tous ceux qui prétendent faire obstacle à l'avènement de la justice de Dieu ou de l'Idéologie sur la terre. La diabolisation des juifs et des Américains qui souillent une terre musulmane et qui représentent une autorité étrangère en pays musulman se combinent avec un bricolage explicatif du présent qui est une répétition du passé. Les discours contre le monde moderne - dont les sociétés israélienne et américaine sont très représentatives - la violence valorisée, sacralisée comme un rituel de purification, répondent aussi à une quête de féerie pour enchanter le monde et permet de transformer l'exclusion grâce au rêve nostalgique de l'Age d'Or.

Charles Rojzman est intervenant à TEDxVaugirardRoad. TEDxVaugirardRoad est un événement sous licence TED résolument centré sur l'humain. Retrouvez son actualité sur TEDxVaugirardRoad.com

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

La foi dans le monde

La foi dans le monde en 100 photos

Retrouvez les articles du HuffPost sur notre page Facebook.
Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.