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Pourquoi je renonce à mon documentaire sur Hillary Clinton

Aucun des partis politiques ne voulait que ce film voit le jour. Au terme d'une douloureuse réflexion, j'ai établi que je ne pouvais pas réaliser un film dont je serais fier. C'est pourquoi j'y renonce.
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Fin 2012, j'ai été contacté par CNN pour réaliser un documentaire. Nous avons discuté d'un certain nombre de sujets potentiels, et nous nous sommes finalement mis d'accord sur Hillary Rodham Clinton. Le film serait ambitieux, polémique, et très visible. Mais je sentais que c'était important, que j'étais qualifié pour le faire, et que je saurais me montrer objectif. CNN m'a donné tous les pouvoirs (le "final cut") sur la version qui sortirait au cinéma, ainsi qu'un budget conséquent.

C'est après que les choses se sont gâtées. Le lendemain de la signature de contrat, j'ai reçu un message de Nick Merrill, l'attaché de presse d'Hillary Clinton. Il était déjà au courant du film et sa source venait à l'évidence de CNN. Il m'a interrogé ; d'abord j'ai répondu, puis je me suis arrêté de parler. Lorsque j'ai demandé à avoir un entretien privé, hors caméra, avec Mme Clinton, Merrill m'a répondu qu'elle était occupée à écrire son livre, et qu'elle ne parlait pas aux médias.

Ensuite, cela a été au tour de Philippe Reines, qui gère les médias pour Hillary Clinton, de contacter différentes personnes à CNN, de les interroger, et d'exprimer ses inquiétudes au sujet de soi-disant conflits d'intérêts parce que mon film était à but promotionnel (comme c'est le cas de presque tous les documentaires et organismes d'information). Quand je l'ai contacté, il a refusé de parler avec moi. Il a ensuite répété ses accusations à Politico qui les a publiées.

CNN et moi avons alors décidé de confirmer publiquement le projet de film, histoire de mettre les choses au clair. Tout de suite après, le président du Comité national républicain (RNC) a annoncé que le parti républicain boycotterait CNN lors des débats des primaires républicaines pour la présidentielle de 2016. Peu de temps après, tout le RNC a voté pour approuver cette position. Cela ne m'a pas surpris. Ce qui m'a étonné en revanche, c'est que de façon privée et discrète, certains démocrates haut placés m'ont fait savoir, ainsi qu'à CNN, qu'ils n'étaient pas ravis non plus de ce film.

Puis, ça a été au tour de David Brock de publier une lettre ouverte sur son site Media matters, à tendance largement démocrate, dans laquelle il approuvait la position du parti républicain, répétant les accusations de conflit d'intérêts de Reines. Il insinuait que mon documentaire ferait remonter à la surface des vieux scandales de Clinton. Venant de M. Brock, c'était assez comique. David Brock a commencé sa carrière en tant que "journaliste d'investigation" ultraconservateur (les guillemets sont tout à fait volontaires), répandant le scandale sans jamais trop s'inquiéter de la véracité des faits. Il s'était d'abord fait remarquer pour "The Real Anita Hill", une affaire lors de laquelle il avait démoli gratuitement et sans fondement une jeune femme victime de harcèlement sexuel. Brock s'en était excusé des années plus tard et était passé dans le camp démocrate.

Quand Brock a publié sa lettre sur mon film, je me suis mis en contact avec plusieurs démocrates importants qui connaissaient Hillary Clinton. Je leur ai dit que cette campagne contre le film et contre CNN était contre-productive. Ils ont transmis mon message à Mme Clinton personnellement, ainsi que ma demande de m'entretenir avec elle. Je pourrais résumer ainsi sa réponse : "Moi vivante, jamais !"

Rien de tout ça ne m'a découragé, ni même beaucoup ennuyé. J'ai fait le voyage jusqu'à New York et j'ai eu un entretien de deux heures avec le président de CNN, Jeff Zucker, et son équipe senior. Ils ont été formidables. Ils m'ont demandé comment je tenais le coup - je leur ai répondu : "Bien". Ils se sont engagés à me soutenir, se désolant que les choses se passent si mal, et m'ont dit de continuer et de faire mon film. Ce que j'ai fait.

En juin, je me suis rendu à un dîner pour Bill Clinton, qui se révéla très instructif. Clinton a évoqué avec passion sa fondation, la faune et la flore africaine, les inégalités, l'obésité infantile, et bien d'autres choses, montrant sa grande maîtrise du sujet et ses talents d'orateur. Mais lui et moi avons aussi parlé en privé. Je lui ai posé des questions sur la crise financière. Il a fait une pause puis s'est montré encore plus touché, réfléchi, passionné et expressif. Et il a continué en me racontant les plus gros mensonges que j'ai entendus depuis longtemps.

Par exemple, M. Clinton s'est lamenté de n'avoir pu empêcher le Commodity Futures Modernization Act, qui a autorisé la dérégulation de produits financiers comme les transactions "gré à gré" (over-the-counter en anglais), ce qui a beaucoup aggravé la crise. M. Clinton m'a confié que lui et Larry Summers avaient argumenté auprès d'Alan Greenspan, mais n'avaient pas réussi à le faire céder, et qu'ensuite, le Congrès avait fait passer la loi à une très large majorité, rendant tout veto impossible, et lui ligotant les mains. Or, en réalité, la raison pour laquelle cette loi est passée avec une si grande majorité est que l'administration Clinton l'a beaucoup défendue, notamment grâce à un discours au Congrès de Larry Summers et aux dures attaques de ce dernier et de Robert Rubin contre les défenseurs de la régulation.

Wow, ai-je pensé, ce type est vraiment un bon acteur. J'y ai aussi vu une raison pour laquelle Hillary Clinton n'était pas enthousiasmée par mon film. J'en ai découvert d'autres. En Arkansas, elle a rejoint les conseils d'administration de Walmart et Tyson Foods. L'un des plus grands donateurs de la Fondation Bill, Hillary, et Chelsea Clinton est le gouvernement d'Arabie Saoudite. La valeur nette du patrimoine des Clinton excède probablement aujourd'hui les 200 millions de dollars : bien qu'il ait été gagné légalement, la provenance de cet argent comme les déclarations publiques des Clinton témoignent de leur réticence à faire des vagues ou à se faire de puissants ennemis.

Ça ne s'est pas toujours passé ainsi. Quand Bill Clinton est devenu président, lui et Hillary ont tenté au départ de faire passer d'ambitieuses réformes : autoriser les homosexuels à servir dans l'armée, une taxe carbone, la réforme de l'Assurance santé. Mais Colin Powell est intervenu à la télévision pour raconter à l'Amérique que si les homosexuels servaient dans l'armée, le moral en souffrirait. Les Clinton ont aussi appris à connaître l'argent, parce qu'à l'époque, ils n'en avaient pas. Quand ils ont été traqués sans pitié par Kenneth Starr et les députés républicains, jusqu'à la mise en accusation, leurs frais d'avocats se sont envolés et les Clinton se sont retrouvés endettés pour plusieurs millions de dollars (sans doute que Bill Clinton a ajouté de l'huile sur le feu en mentant). Il est très clair qu'après ça, les Clinton ont décidé qu'ils ne seraient plus jamais à la merci de qui que ce soit. Depuis que Bill Clinton est devenu pour la première fois gouverneur de l'Arkansas, le coût des campagnes présidentielles est passé de 66 millions (les deux partis combinés, en 1976) à 5 milliards estimés en 2016, lorsque Hillary se présentera. Bref, les Clinton ont plus que jamais besoin d'argent et des gens qui peuvent leur en fournir.

J'aurais adoré explorer tout cela. Mais quand j'ai contacté des gens pour les interroger, j'ai découvert que personne, je dis bien personne, ne souhaitait m'aider à faire ce film. Ni les démocrates, ni les républicains - et certainement pas quelqu'un travaillant avec les Clinton, souhaitant avoir accès aux Clinton, ou rêvant d'un poste dans une administration d'Hillary. Pas même les journalistes qui veulent avoir des passe-droits, pouvant leur être facilement confisqués. J'ai même ressenti la difficulté potentielle pour avoir l'autorisation pour des images d'archives de la part de CBN (Pat Roberston) et de Fox. Après avoir contacté plus de 100 personnes, seules deux d'entre elles, qui n'ont jamais eu affaire à Mme Clinton, ont accepté de témoigner face caméra, et j'ai dans l'idée que même elles auraient fini par faire machine arrière.

Ceci est la conséquence véritable, et probablement le but réel, des déclarations du parti républicain, de Philippe Reines et de David Brock. Aucun des partis politiques ne voulait que ce film voit le jour. Au terme d'une douloureuse réflexion, j'ai établi que je ne pouvais pas réaliser un film dont je serais fier. C'est pourquoi j'y renonce (et non à cause de pression de CNN, bien au contraire). C'est une victoire pour les Clinton, et pour les partis qui sont devenus désormais des machines à faire de l'argent. Mais je ne pense pas que ce soit une victoire pour les médias ou pour le peuple américain. Je continue de croire que Mme Clinton a de nombreuses qualités, notamment une grande intelligence, du courage, et un profond engagement à améliorer la vie des femmes et des enfants dans le monde. Mais tout ceci ne constitue pas son heure de gloire.

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