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Gouvernement Trudeau: une diversité de façade

Mais d'où vient cette manie de chercher à tout prix à qu'un gouvernement représente sociologiquement, et non idéologiquement, la société qu'il gouverne?
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À l'issue de la cérémonie d'assermentation du nouveau gouvernement libéral à Ottawa, on apprenait les noms de ceux et celles qui allaient en composer le Cabinet ministériel. Voyons voir de quoi il en retourne.

En termes de sexe, le cabinet comprendra 48% de femmes et 52% d'hommes. En termes d'origine, il comptera 29% d'Ontariens, 23% de Québécois, 23% de gens des provinces de l'Ouest, 13% d'immigrants de première génération, 10% de gens des provinces maritimes et 3%, soit un député, provenant des territoires canadiens. Par ailleurs, il y aura 7% d'autochtones, 19% de gens issus d'une religion autre que chrétienne (quatre sikhs, un juif et une musulmane), 3%, de réfugiés politiques et 6% d'handicapés.

D'aucuns ont célébré le caractère « diversifié » de ce cabinet. Ainsi, le journal Métro titrait : « Parité, diversité et proximité ». La chroniqueuse Judith Lussier se félicitait pour sa part que le nouveau conseil des ministres se compose à peu près à moitié de femmes : « En 2015, réjouissons-nous que les femmes soient représentées à leur juste valeur ». Rima Elkouri de La Presse en rajoutait de plus belle : « Le bien-fondé de la parité relève en effet de l'évidence en 2015 ». Justin Trudeau lui-même a déclaré qu'il était fier d'avoir formé un cabinet qui « ressemble énormément au Canada ».

Malheureusement, il ne faut pas se réjouir trop vite, ou trop inutilement, plutôt. Car en ce qui concerne la profession d'origine des nouveaux ministres, nous obtenons les chiffres suivants : 45% de politiciens de carrière ou d'anciens députés, 19% d'administrateurs privés ou publics et 13% d'avocats, soit 77% des membres du cabinet. Le reste, 23%, se compose d'un économiste, d'une entrepreneure, d'une géographe, d'une journaliste, d'une médecin, d'un militaire et d'une travailleuse sociale.

Autre considération à ne pas oublier : le conseil des ministres sera composé à 100%... de députés libéraux. Des rumeurs avaient couru selon lesquelles Elizabeth May, chef du Parti Vert du Canada, aurait pu siéger en tant que ministre de l'Environnement, mais Justin Trudeau semble avoir privilégié sa famille politique. Ce sera l'avocate Catherine McKenna qui assurera donc le poste. Du coup, on se rend vite compte que le nouveau gouvernement fédéral n'est pas si « représentatif » de la société canadienne qu'on veut nous le faire croire. Beaucoup de gens issus des professions libérales ou de la politique, et une poignée de députés issus de la classe moyenne. Quant aux classes modestes, n'en parlons même pas; elles sont tout simplement absentes de ce gouvernement 100% libéral.

Mais d'où vient cette manie de chercher à tout prix à qu'un gouvernement représente sociologiquement, et non idéologiquement, la société qu'il gouverne? La parité sociologique provient en fait d'un dogme largement répandu par la gauche sociale-démocrate depuis maintenant longtemps : on représente idéologiquement toujours mieux les intérêts de la catégorie sociale dont on fait partie. Ainsi, Justin Trudeau pense que son gouvernement représente les idées des Canadiens : ses femmes ministres représentent la vision politique des femmes canadiennes, ses ministres handicapés représentent la vision politique des personnes handicapées, et ainsi de suite. Pas de problème dans le meilleur des mondes : comme toutes (ou presque), les classes sociales sont présentes dans le cabinet, celui-ci prendra des décisions justes qui plairont aux Canadiens.

Ce qui transparaît dans une telle conception de la vie politique, c'est le fait d'assujettir la notion de Justice, de Bien commun, à celle de représentativité sociologique. Dès lors, la compétence à gérer les affaires publiques n'est plus une question d'idées et d'idéologies; elle devient une simple affaire d'identité. Je suis blanc? Mes idées sont nécessairement celles des Blancs. Je suis chrétien? Mes idées sont nécessairement celles des chrétiens...

Le philosophe et économiste Karl Marx est sans doute à l'origine de ce mythe dans notre monde contemporain. Lui qui théorisait que les gens issus du prolétariat représentaient forcément les intérêts de la classe ouvrière aurait déchanté bien vite en constatant que la majorité des prolétaires n'avaient que faire de la Révolution et du Grand Soir. Les libéraux sociaux-démocrates ont repris le mythe, mais en le restreignant aux aspects que les Français appellent « sociétaux » : le sexe, la race, la condition physique, la culture d'origine, la religion... Puisque la société est réduite dans le moule libéral à la somme des groupes d'intérêts qui la composent, faire une politique juste et équitable se limite à s'assurer que les intérêts de tous les groupes sociaux imaginables soient représentés proportionnellement parmi les dirigeants de l'État.

Or, une telle vision des choses est grotesque et n'a jamais fait ses preuves historiquement. Car les idées politiques n'ont pas de race, de sexe ou de religion. Certaines des politiques les plus rétrogrades ont été portées par des membres de minorités culturelles, sexuelles, raciales ou autres. Les exemples de Margaret Thatcher et de Joseph Staline sont à mon avis éloquents. Tous deux étaient issus de groupes minoritaires dans leur propre pays et ont pratiqué des politiques destructrices. Barack Obama est noir et Hillary Clinton est une femme. Cela n'a pas empêché le premier de mener son pays dans de nouvelles guerres et un déficit historique, ni la seconde de prôner le bombardement « préventif » de l'Iran. La représentativité sociologique d'un gouvernement n'est donc en rien le garant de la Justice sociale et du Bien commun.

Et s'il y a effectivement des corrélations entre plusieurs indicateurs sociaux et les idées politiques des individus, elles sont nettement plus marquées pour certains indicateurs, au premier rang desquels la classe économique et le métier pratiqué, deux catégories très peu diversifiées dans le cabinet Trudeau. Le premier ministre et les médias sociaux-démocrates se vantent donc d'une diversité de façade, qui n'est non seulement en rien garante de Justice sociale, mais qui, sur les indicateurs les plus importants, n'est au contraire en rien une diversité tout court.

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