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Les «portes closes» à l'université, ou l'appel à une paranoïa généralisée

Madame Delvaux, si des professeur(e)s cessent de défendre l'institution à laquelle ils et elles ont consacré leur vie et à croire en son intégrité (ce, en dépit de tous les dérapages ayant pu y survenir) et si les professeur(e)s ne peuvent plus veiller à préserver notre lien de confiance nécessaire envers nos plus hauts lieux de savoir, qui le fera?
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Madame Martine Delvaux, professeure au Département d'études littéraires de l'Université du Québec à Montréal

Je fais entendre ma voix au sujet d'une grande inquiétude qui m'habite et qui se trouve décuplée depuis que j'ai pu entendre une entrevue que vous avez accordée à ICI Radio-Canada Première (Les samedis du monde, émission du samedi 15 novembre) à la suite du colloque Sexe, amour et pouvoir : il était une fois à l'université, un événement ayant eu lieu le vendredi 14 novembre à l'UQAM et dont vous êtes l'une des organisatrices. Mais peut-être devrais-je me méfier : vous siégerez peut-être un jour au sein de comités d'attribution de bourses que je convoiterai au département où j'étudie, ou vous ferez peut-être partie d'un comité d'embauche lorsque je voudrai obtenir un poste. Après tout, vous avez affirmé sur diverses tribunes que les professeurs d'université sont dans un rapport de « pouvoir » avec les étudiant(e)s et que c'est ce qui expliquerait le silence de plusieurs étudiantes qui, par peur de voir leur future carrière ou leurs sources de financement compromises (ou par crainte de ne pas être entendues), ne porteraient pas plainte auprès des instances officielles contre des professeurs qui les auraient agressées ou harcelées... Bien entendu, les enjeux ne sont pas du tout les mêmes. Je souligne simplement que si les professeur(e)s étaient bien dans un rapport de pouvoir avec les étudiant(e)s, rien ne vous empêcherait d'user de votre « pouvoir » pour veiller à ce que je ne puisse jamais enseigner!...

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À vrai dire, je ne crois pas à cette notion de « pouvoir » (voire cette toute-puissance) des professeurs, au cœur de votre argumentaire. Selon ce que vous avez rapporté en entrevue samedi, votre colloque aurait offert un aperçu des multiples déclinaisons de ces « rapports de pouvoir » à l'université : du malaise ressenti par une étudiante « lorsqu'elle s'est retrouvée dans la maison de son prof et qu'elle [a] constat[é] la différence de classes sociales » les séparant, au témoignage d'une étudiante qui se serait trouvée « enfermée » dans le bureau d'un professeur après qu'il eut fermé la porte derrière elle. Vous avez fait part de vos souhaits que la parole libérée soit entendue, que les gens comprennent qu'avec le «climat de paranoïa» qui s'installe et dans le «contexte actuel», les profs ne devraient plus sortir prendre un verre avec les étudiant(e)s après les cours (ni trop boire en leur présence). Surtout, vous avez réitéré votre souhait qu'il n'y ait « plus de rencontres derrière les portes closes » entre un professeur et une étudiante; une idée que vous avez d'ailleurs évoquée récemment, allant jusqu'à proposer que les rencontres se tiennent dans des lieux publics (voir l'émission Médium large du mercredi 29 octobre sur les ondes de ICI Radio-Canada Première).

Ce climat de paranoïa que vous avez évoqué en entrevue, je crois qu'il en va de votre devoir, en tant que professeure, de tenter de le contrer, de le désamorcer plutôt que de le nourrir (ne serait-ce qu'indirectement) par des propositions ébranlant des valeurs au cœur de toute université. Du baccalauréat au doctorat, la transmission du savoir passe par cette confiance qui se doit d'être inébranlable en l'institution qui, depuis des siècles déjà, transmet des savoirs grâce à une hiérarchie fondée sur le principe (on ne peut plus démocratique, d'ailleurs), que tous et toutes peuvent s'élever à la hauteur d'un savoir, un savoir garant de liberté et qui, comme toute liberté, est indissociable de devoirs. La hiérarchie au sein de l'université repose sur le fait que dans cette grande quête de savoir, il y a des étapes à franchir, des obstacles à surmonter, des années de dur labeur et de sacrifices à faire pour avancer et entendre quelque chose du savoir que d'autres qui ont parcouru un chemin semblable avant nous, tentent de nous transmettre. Ce qui est essentiel, c'est que chaque étudiant(e) puisse savoir que le/la professeur(e) qui corrige ses travaux ou révise les chapitres de son mémoire ou de sa thèse, est apte à lui montrer les lacunes de ceux-ci et se doit de le faire au nom d'une rigueur intellectuelle indispensable à toute évolution de la pensée. D'ailleurs, à ce que je sache, le fait d'habiter une grande maison d'Outremont ne rend pas un(e) professeur(e) inapte à juger objectivement de la qualité d'un travail écrit par tout(e) étudiant(e)!

Apprendre, cela ne peut se faire dans un contexte où chaque professeur masculin est accusé ou soupçonné, par défaut, d'être un agresseur potentiel et où chaque professeur(e) est perçu(e) comme détenant un « pouvoir », laissant toute étudiante vulnérable dans cette « dangereuse » université où les femmes auraient besoin d'un colloque prévu à cet effet, un « safe house » (toujours selon vos propos tenus en entrevue le 15 novembre), où des paroles pourraient se faire entendre « en toute sécurité ».

Je refuserai de rencontrer ma directrice de recherche dans son bureau avec la porte ouverte, parce que je suis libre d'échanger au sujet de ma thèse, de projets en cours (ou de tout autre sujet) avec cette personne en qui j'ai confiance et c'est mon droit de le faire en toute confidentialité si je le souhaite (ne serait-ce que pour protéger le caractère sensible et inédit de mes travaux en cours). Personne, encore moins des gens s'étant montrés indignes de leurs fonctions au sein de l'UQAM, ne viendra entacher cette confiance que j'éprouve envers des professeur(e)s et les institutions universitaires qui m'ont permis de grandir. Ce serait d'ailleurs accorder beaucoup trop de pouvoir sur nos vies à tous les agresseurs de ce monde que de vivre constamment dans la peur et la méfiance.

S'il y a eu des dérapages, viols, agressions ou cas de harcèlement à l'UQAM (ce dont je ne doute aucunement), je ne peux que souhaiter à toutes celles (et ceux) qui en ont été victimes (et qui souhaitent entreprendre de telles démarches) de trouver la force, le courage et le soutien nécessaires pour dénoncer les coupables, afin qu'ils (ou elles) puissent répondre de leur acte devant la justice et en subir les conséquences. C'est un geste honorable de vouloir aider les femmes à dénoncer. C'est tout autre chose d'alimenter une méfiance généralisée en laissant sous-entendre que l'université n'est pas un lieu sûr. On voudrait miner la confiance du public et de l'ensemble de la communauté universitaire envers notre institution, qu'on ne s'y prendrait pas autrement! Je persiste à croire que ma thèse sera évaluée selon ses qualités, que j'obtiendrai les bourses, contrats et postes que je mérite, peu importe les idées contre lesquelles j'aurai osé prendre la parole, tout comme je crois qu'il en serait ainsi pour tout(e) étudiant(e) qui oserait exprimer une opinion dissidente ou dénoncer un crime.

Madame Delvaux, si des professeur(e)s cessent de défendre l'institution à laquelle ils et elles ont consacré leur vie et à croire en son intégrité (ce, en dépit de tous les dérapages ayant pu y survenir) et si les professeur(e)s ne peuvent plus veiller à préserver notre lien de confiance nécessaire envers nos plus hauts lieux de savoir, qui le fera?

Cordialement,

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