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Le meilleur repas est à Hong Kong

Dans une toute petite pièce blanche un peu crasseuse, le décor saute aux yeux, choque, provoque : papa cochon, maman cochon et sept bébés cochons sont accrochés et sèchent, comme des t-shirts sortis du lavage, directement dans la salle à manger. À la gauche de l'entrée, quelques oies entières vidées sont aussi accrochées, le cou tordu. Personne ne demande « qu'est-ce qu'on mange? », c'est assez évident. Il n'y aura pas de légumes au menu ce soir.
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Cedric Lizotte

Donc, vous courez, sous la pluie torrentielle, dans les rues désertes d'une grande ville asiatique, ou peut-être en Angleterre. Vous guidez un groupe d'Européens un peu éclectique, passant d'un côté à l'autre de la rue, tentant tant bien que mal d'éviter la soupe, qui tombe en trombe, grimpant une rue en pente, allant contre le sens de l'eau qui ruisselle sans cesse. Le soir est tombé et les quelques voitures qui passent font voler l'eau autour de leurs roues et font refléter leurs phares sur le bitume mouillé. Et vous endurez, vous et vos acolytes, cette torture mouillée parce que vous avez un but précis. Les autres ne sont pas exactement au courant, mais ils suivent. Et vous êtes absolument confiant que les deux Allemands, le Français et l'Italien vont adorer.

Passer d'une rue à une autre, traverser une intersection, s'assurer sur son smartphone qu'on est sur le bon chemin, prendre sur une petite rue cachée, puis vous y voici. Une fois entrés, c'est une révélation.

Dans une toute petite pièce blanche un peu crasseuse, le décor saute aux yeux, choque, provoque : papa cochon, maman cochon et sept bébés cochons sont accrochés et sèchent, comme des t-shirts sortis du lavage, directement dans la salle à manger. À la gauche de l'entrée, quelques oies entières vidées sont aussi accrochées, le cou tordu. Personne ne demande « qu'est-ce qu'on mange? », c'est assez évident. Il n'y aura pas de légumes au menu ce soir.

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Hong Kong

Un repas à Hong Kong

Puisque vous êtes un peu trop gourmands, et que votre enthousiasme dépasse votre raison, vous commandez une demi-oie et un cochon de lait entier. L'homme, un Chinois d'une cinquantaine d'années, vous regarde avec scepticisme. Mais vous insistez, et vous ajoutez qu'il vous faudra une bonne quantité de bière pour aller avec ça.

L'oie est déjà prête à être servie. Avec son immense couperet, prenant des élans démesurés, l'homme casse les os et tranche la viande déjà cuite, froide, ruisselante de gras. Et il vous la sert, avec des bouteilles de bière qu'il a cueillies au dépanneur du coin. Il se retourne, se dirige vers la défunte famille, prend un des Trois petits cochons, sa torche, et se dirige vers l'entrepôt voisin.

L'oie est délicieuse et parfaitement cuite. Le goût de volaille est plus prononcé que celui du poulet, mais absolument légère. Tous ont faim, mais vous savez très bien que la pièce de résistance s'en vient et mérite d'avoir de l'espace pour naviguer dans votre estomac.

Après une courte attente, Babe a changé d'aspect. Du blanc caractéristique de sa peau sans poils, comparable au reste de sa famille toujours accrochée, vidée et préparée tout près, elle s'est transformée sous l'effet de la torche. Le brun foncé de la peau caramélisée transforme votre bouche en chutes Niagara de salive. De quelques coups violents et experts de couperet, les os craquent, la peau fend, la chair obéit et se sépare parfaitement. L'homme place des bouchées de viande - de l'épaule, de la fesse, des côtes, de la poitrine - sur une grande assiette, puis prend la tête du souper et l'installe confortablement sur l'amas de viande. Et vous l'amène. Avec des baguettes en guise d'ustensiles. Et de la sauce soya, de la sauce hoisin et de la sauce douce-amère en guise de condiments. Et une nouvelle tournée de bières.

Et c'est à ce moment, lorsque vous prenez votre première bouchée, une combinaison absolument parfaite de peau caramélisée et grillée, de gras partiellement fondu et de viande rosée, sucrée, cuite idéalement, que la révélation vous envahit, vous et votre groupe. On peut presque goûter le lait maternel de la maman dans la chair du cochon de lait. La peau est si parfaitement croustillante et la chair est si parfaitement tendre que le gras, qui fait glisser chaque bouchée entre votre langue et votre palais, ne fait qu'agir comme lubrifiant pour créer une rencontre parfaite, une harmonie de goûts de viande idéale, incomparable. Le bacon vient de passer en deuxième place dans les merveilleux produits du cochon.

Il s'agit d'un des meilleurs repas de votre vie.

Le décor est absolument unique. La viande est absolument délectable. Le repas n'est pas encombré de manières, de politesses, d'élégance, d'obligation envers les autres. Depuis plusieurs minutes, les taquineries entre le Français et un des Allemands font entendre des éclats de rire jusqu'au coin de la rue - Hitler et la mère des gens impliqués ne sont d'ailleurs pas passés sous silence - et après deux litres de bière et presqu'un cochon de lait entier, tous sont heureux, rassasiés, excités et prêts à continuer la soirée. Contrairement à ce que vous auriez pensé, il ne s'agissait pas d'un repas exténuant ou trop lourd. Il ne s'agit que de bière et de cochon. Les deux meilleures choses sur la planète, au top du palmarès avec le sexe et le rock & roll.

Et cette expérience, vous ne pouvez la vivre qu'à Hong Kong.

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