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Avez-vous pensé à payer l'artiste?

Bien souvent, les artistes ne reçoivent pas un sou lorsqu'ils exposent leurs œuvres.
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J'écris ce texte comme on lance une bouteille à la mer...

J'écris pour dénoncer une réalité que vivent trop d'artistes au Québec.

Si j'ai eu beaucoup de chance depuis mon retour à la pratique artistique en 2010, avec notamment la publication d'un livre et l'obtention de plusieurs expositions solo, je me frotte depuis quelque temps à une pratique malheureusement courante dans le milieu artistique professionnel : le non-paiement de redevances de droits d'exposition. Autrement dit, bien souvent, les artistes ne reçoivent pas un sou lorsqu'ils exposent leurs œuvres.

Depuis l'automne dernier, j'ai refusé 4 offres d'exposition pour l'année 2016 de la part de diffuseurs qui n'accordent pas de redevances aux artistes : le Musée populaire de la photographie de Drummondville, le Centre culturel Stewart Hall de Pointe-Claire, la salle d'exposition de l'Entrepôt de Lachine et, l'Espace Mur-Mur des Arts de la bibliothèque Georgette-Lepage de Brossard. Il s'agit de lieux de culture respectables. Nous ne parlons pas d'exposer au café du coin ou sur les murs du Commensal.

Au Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV), on me dit que c'est une pratique courante et que la plupart des artistes acceptent quand même d'exposer sans recevoir de redevances, sans quoi ils n'exposeraient pas.

Plusieurs diffuseurs, même bien intentionnés, pensent suffisamment aider les artistes en leur donnant une vitrine et en leur permettant de vendre leurs œuvres lors des expositions. La belle affaire! Car même si le travail artistique est très apprécié des visiteurs, rares sont ceux qui peuvent se permettent d'acquérir une œuvre. Par ailleurs, donner de la visibilité à un artiste ne lui permet pas de payer son épicerie. C'est pourquoi le versement des redevances est justement si important.

À titre d'exemple, si on considère que la plupart des expositions restent en salle environ 6 semaines, et en tenant compte du temps de battement entre les expos, cela donne une moyenne de 6 expositions par année pour un lieu de diffusion. En accordant le tarif minimum suggéré par le RAAV pour une exposition solo, soit 1 500 $, cela représente 9 000 $ par année. Qu'un lieu de diffusion culturel digne de ce nom ne puisse pas débloquer environ 10 000 $ par année pour payer les artistes professionnels qu'il trie sur le volet, cela dépasse l'entendement.

Les diffuseurs qui n'ont pas les moyens de verser des redevances se moquent bien souvent de mes convictions, ils ont une longue liste d'artistes prêts à tout pour exposer. Pour ma part, j'estime que c'est une forme d'abus.

A-t-on idée d'aller chez le dentiste ou le coiffeur, ou encore de faire appel aux services d'un plombier ou d'un électricien, sans payer d'honoraires à ces professionnels? Alors, pourquoi demander aux artistes professionnels de travailler gratuitement?

Comme l'écrit très justement le scénariste et réalisateur Philippe Falardeau en commentaire à un des mes articles de blogue sur la question : « Il existe une réelle économie de la diffusion culturelle, subventionnée il est vrai, mais qui crée des emplois et qui répond à des objectifs collectifs. Il est absurde, voire immoral, de demander aux artistes de nourrir cette économie, d'en fournir sa matière première et de renoncer du même coup à toucher une part des bénéfices. »

Les défis auxquels font face les centres d'exposition, qui relèvent souvent des administrations municipales, sont certes grands. Ils doivent fréquemment composer avec des élus qui ne comprennent pas pourquoi il est si important d'investir dans la culture, et encore moins pourquoi il est vital de payer des redevances aux artistes. À la lumière de discussions que j'ai eues avec divers intervenants du milieu culturel, tant à Montréal qu'en région, il m'apparait néanmoins évident qu'il incombe aux diffuseurs de faire du versement des redevances une priorité. Ils sont les mieux placés pour faire valoir, auprès des instances dirigeantes, l'importance de s'occuper de la base de la culture : les artistes. Sur ce plan, même s'il y a des gens de vision qui font un boulot extraordinaire un peu partout au Québec (je pense notamment aux personnes derrière le réseau des Maisons de la culture de Montréal, aux centres d'artistes autogérés, aux centres affiliés à l'ACEAT en Abitibi-Témiscamingue, et au Centre d'art de Kamouraska, pour ne nommer que ceux-là), il y a clairement encore du chemin à faire, surtout en ce qui a trait à la sensibilisation du monde des arts au fait qu'il faut cesser de tabler sur la visibilité en guise de paiement.

Un élément qui favorise énormément la situation actuelle, c'est que les diffuseurs travaillent dans un contexte où la loi permet l'exploitation des artistes. Car la Loi sur le droit d'auteur stipule que, dès lors qu'une exposition est organisée à des fins de vente, le diffuseur n'est pas obligé de verser des redevances. Ainsi, c'est sous couvert de « fins de vente » que sont organisées des expositions dans des centres culturels municipaux, ce que le public ignore généralement et qui va totalement à l'encontre d'une optique où l'art est considéré comme un service de base. C'est donc légal de ne pas rémunérer les artistes lorsque la vente d'œuvres est permise. « Mais ce qui est légal est-il MORAL? », demande avec acuité le RAAV à ce propos. Et est-ce cette notion marchande de la culture que l'on veut perpétuer dans nos lieux de diffusion publics?

Les diffuseurs ne sont donc pas les seuls en cause; c'est tout un système, à la fois idéologique, politique et juridique, qui permet à cette problématique de perdurer. En tant qu'artiste, faire pression sur les diffuseurs en refusant d'exposer sans recevoir de redevances de droits d'exposition, demeure le meilleur moyen de défendre l'importance de sa profession et de faire passer le message qu'un artiste professionnel, ça se paye au même titre qu'un avocat ou un ingénieur. Si les artistes se montraient solidaires, ils participeraient ainsi activement à la résolution du problème.

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