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Dénoncer pour que justice soit faite...

En tant que femme ayant dénoncé mes agresseurs, je voudrais simplement dire que la situation n'est pas aussi simple qu'on peut le croire à la lecture de ces histoires. On ne changera pas les mentalités simplement en disant qu'on doit fustiger les agresseurs et que ce que ces femmes ont vécu est terrible et que ça ne devrait jamais se produire.
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Depuis quelques semaines, vous avez sans doute entendu parler de l'affaire Gomeshi. Puis vous avez probablement lu quelques-uns de ces multiples articles où des femmes révélaient les agressions sexuelles qu'elles avaient subies. La plupart de ces femmes n'avaient jamais dénoncé leur agression.

En tant que femme ayant dénoncé mes agresseurs, je voudrais simplement dire que la situation n'est pas aussi simple qu'on peut le croire à la lecture de ces histoires. On ne changera pas les mentalités simplement en disant qu'on doit fustiger les agresseurs et que ce que ces femmes ont vécu est terrible et que ça ne devrait jamais se produire.

Le plus terrible, quand on dénonce une agression, c'est de devoir nommer les agresseurs. C'est de devoir faire face à notre entourage, c'est d'assumer ce qui s'est passé. C'est d'essayer de se tenir droite quand tout le monde nous questionne et remet en doute ce qui s'est passé. C'est de surtout, surtout ne pas changer d'une miette le témoignage que l'on a remis à la police un ou deux ans auparavant, lorsqu'on se présente ensuite devant le procureur, devant l'enquêteur, devant le juge. C'est d'accepter de revivre le pire moment de notre existence à de multiples reprises.

Le plus difficile, c'est la pression des autres. Parce qu'on ne le dit jamais, nulle part, mais ce n'est pas vrai qu'on est soutenues dès que l'on dénonce l'agression. C'est faux, que les gens nous croient dès le départ. Il faut des preuves! Quelles preuves peut-il y avoir d'une agression? Des cris? Une parole contre une autre? Ah oui, mais est-ce que tu avais bu? Comment étais-tu habillée?

J'ai dénoncé et j'ai regretté d'avoir dénoncé. J'ai perdu beaucoup d'amis, j'ai perdu beaucoup de confiance en moi, j'ai perdu la foi en le système de justice. J'ai compris à l'air arrogant et goguenard de l'avocat de la défense que, même si on dit la vérité et même si tout le monde sait qu'on dit la vérité, eux, les agresseurs, n'auront jamais à raconter leur version des faits. Ils n'ont qu'à se taire.

Je ne veux pas être défaitiste. C'est une bonne chose qu'on lève le voile sur ces multiples agressions et qu'on les dénonce. Mais il ne faudrait surtout pas faire comme avec toutes les nouvelles à sensation et ensuite oublier, enterrer l'affaire et qu'au fond, rien ne change. Il faut que les gens comprennent la réalité des victimes, la honte, la peur, l'horreur de l'agression. Il faut que les gens comprennent que c'est notre vie qui change. Qu'on a beau essayer d'oublier, on n'oubliera jamais. Que ce sont des moments qui reviennent, toujours lorsqu'on s'y attend le moins. La scène d'un film au cinéma. Le motif d'une brassière. Le parfum d'un homme croisé dans le métro. Un cauchemar récurrent.

Trois ans plus tard, j'ai compris que je ne guérirai jamais totalement. Ce ne sont pas seulement les mentalités qu'il faut changer, c'est le système lui-même. Si les femmes ne dénoncent pas, c'est parce qu'elles n'ont aucun véritable recours.

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