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Québec-Écosse: la liberté finit toujours par trouver son chemin

Certes, les indépendantistes du monde entier auraient souhaité une victoire du OUI en Écosse, mais une défaite ne comporte pas moins d'enseignements pour autant. N'existe-t-il pas un proverbe disant que l'on sort grandi des moments difficiles?
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Catherine Fournier était déléguée du Bloc Québécois en Écosse du 10 au 22 septembre 2014 pour suivre le référendum.

Richard Martineau, dans sa chronique du mercredi 24 septembre dans Le Journal de Montréal, affirmait que les indépendantistes québécois, parce qu'ils se disent inspirés par le référendum sur l'indépendance de l'Écosse, veulent « perdre comme les Écossais ». M. Martineau n'a clairement rien compris (mais est-ce la première fois...?). Certes, les indépendantistes du monde entier auraient souhaité une victoire du OUI en Écosse, mais une défaite ne comporte pas moins d'enseignements pour autant. N'existe-t-il pas un proverbe disant que l'on sort grandi des moments difficiles? Ainsi, tant par leurs similitudes que par leurs différences, les mouvements indépendantistes québécois et écossais peuvent sans aucun doute tirer des leçons l'un de l'autre. Pas pour perdre, cette fois; mais pour gagner, enfin. Deux mois après le référendum et mon expérience en sol écossais, j'en retiens cinq principaux points.

1.Le contexte politique

Jacques Parizeau se fait toujours aujourd'hui accuser, par les Claude Morin de ce monde, d'avoir provoqué la défaite référendaire de 1995 en déclenchant une consultation populaire alors que l'option indépendantiste ne récoltait que 40% des appuis en avril 1995, six mois avant le référendum. Pourtant, plus que quiconque, il aura réussi à prouver qu'il est beaucoup plus efficace de créer soi-même les « conditions gagnantes », plutôt que de les attendre les bras croisés. Après tout, M. Parizeau est arrivé à quelque 54 000 voix du pays. Les Bouchard, Landry et Marois peuvent-ils en dire autant? Aujourd'hui plus que jamais, alors que les fédéralistes n'osent plus évoquer la question constitutionnelle de peur d'éveiller la fibre nationaliste québécoise en dormance, il faudra créer le contexte politique, mettre sur pied une initiative. C'est là, notamment, que l'exemple écossais peut servir au mouvement indépendantiste québécois.

Lorsque la tenue du référendum écossais a été officialisée, au début du mandat majoritaire du Scottish National Party (SNP) en 2011, le YES obtenait à peine 30% des appuis dans les sondages. Pourtant, sans contexte politique particulier, Alex Salmond et son équipe sont parvenus à mousser l'option indépendantiste de telle sorte que celle-ci a fini par récolter 45% du vote populaire au terme du référendum du 18 septembre.

Bien sûr, les indépendantistes n'ont pas remporté cette manche, mais ils ont connu une remontée spectaculaire, eux qui partaient de bien loin. Sans nul doute, cela représente une énième preuve que pour gagner, il faut d'abord savoir combiner courage et conviction en son option et en ses moyens, sans quoi on n'arrive à rien, comme le prouvent les résultats désastreux du mouvement indépendantiste québécois ces dernières années. Le simple geste de parler d'indépendance, comme les médias québécois l'ont fait dans le cadre de la couverture du référendum écossais, rend à lui seul l'option plus crédible. Ainsi, les appuis à l'indépendance du Québec ont augmenté de 7 points entre le mois d'août et le mois de septembre, alors que le référendum écossais a trôné au premier rang de la couverture médiatique québécoise pour plusieurs jours, selon la firme Influence Communication. Cela devrait être une première piste sur laquelle tabler. La question constitutionnelle n'est pas à l'agenda? Et bien, mettons-la!

2.La mobilisation

Une des principales forces de la campagne du OUI écossais fut sans contredit sa décentralisation. Puisque le mouvement indépendantiste est largement ancré dans la société civile en Écosse, plusieurs pans de celle-ci étaient représentés à travers diverses organisations pro-indépendance, qu'on pense notamment à Women for Independence, Asian Scots for Yes, Yes LGBT, Business for Scotland, Socialists for Yes, etc. Ainsi, de nombreux groupes d'intérêt ont pu faire leur place au sein du mouvement indépendantiste et y faire entendre leur voix. De plus, lorsque vient le temps d'une campagne référendaire comme celle récemment vécue par les Écossais, des organisations de la sorte permettent de ratifier plus large au sein de la population indécise du fait qu'elles adressent des enjeux particuliers liés à l'indépendance pouvant davantage interpeller une portion de la population X, Y ou Z.

Au Québec, nous avons certes une multiplicité d'organisations nationalistes et indépendantistes. Cependant, contrairement à l'Écosse, elles ne s'adressent pas à des clientèles particulières, étant plutôt toutes abreuvées à la même base. Ainsi, on retrouve notamment le Mouvement national des Québécois (MNQ), la Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB), le Rassemblement pour un pays souverain (RPS), le Conseil de la Souveraineté du Québec (CSQ) et plusieurs autres. Puisqu'elles induisent une concurrence entre elles, tant pour les ressources financières que militantes, cela a pour effet de diviser les forces au lieu de les multiplier comme ce fut le cas en Écosse.

La société civile québécoise doit prendre en mains le projet de pays. Les partis politiques sont certes un puissant outil, mais à la lumière de l'expérience écossaise, reconnaissons l'apport indispensable de groupes ciblés. L'option du OUI n'est pas passée de 25% à 45% en deux ans par magie.

3.Les médias

Sur le terrain en Écosse, les Québécois étaient abasourdis de constater que la campagne du NON écossaise («No thanks», faisant référence au fameux «Non-merci» de Pierre Elliott Trudeau en 1980) était en fait un calque de la campagne québécoise du NON de 1980 et 1995.

Les Écossais, en étant à leur premier référendum, se voyaient sans ressource face à ces discours de peur. Les ténors du camp du OUI avaient beau répliquer, ils ne trouvaient pas autant d'écho médiatique que leurs pendants du NON. Cela n'est pas sans rappeler la situation québécoise.

Le journaliste, politologue et indépendantiste bien connu Patrick Bourgeois fait l'excellente recension du favoritisme indu des médias québécois envers le fédéralisme canadien dans son ouvrage Nos ennemis, les médias paru en 2005. En analysant les articles de presse et chroniques d'opinion parus dans les grands quotidiens québécois au cours de la campagne référendaire de 1995, Bourgeois en arrive à la conclusion que sur 13 publications, 12 ont clairement penchée en faveur du camp du NON, ce qui contrevient évidemment aux normes journalistes les plus élémentaires. Seul un quotidien Le Devoir, a fourni une couverture équilibrée à ses lecteurs.

En Écosse, la situation est encore plus alarmante pour les indépendantistes. En effet, 37 publications quotidiennes et/ou hebdomadaires y paraissent chaque semaine, soit trois fois plus qu'au Québec alors que la population est moindre. Les Écossais ont donc l'habitude de pouvoir s'abreuver à même une information diversifiée sur les différents enjeux de société. Pourtant, dans le contexte référendaire récent, tous les médias ont pris position contre l'indépendance, mis à part le Sunday Herald, une publication hebdomadaire. Cela est sans compter que la chaînée télévisée la plus prisée des Écossais - la BBC - ne cachait évidemment pas non plus ses connivences avec le camp du NON. Il va donc sans dire que lorsque la campagne de peur du camp unioniste s'est mise en branle, à un peu plus d'une semaine du jour J, l'écho en fut des plus retentissants.

Comment faire pour s'en sortir? Au Québec, plusieurs tentatives ont été menées en ce sens, dont l'expérience bien connue du journal Le Jour, qui s'est cependant bien mal terminée, faute d'appui notable du mouvement indépendantiste lui-même et surtout, faute d'appui du vaisseau amiral que constitue le Parti Québécois. Ce fut une grave erreur et les leaders du temps le reconnaissent aujourd'hui. Sauf que Patrick Bourgeois a raison : les indépendantistes n'ont toujours rien fait pour pallier à ce problème majeur. Bien sûr, l'avantage de notre temps se situe dans les réseaux sociaux, par lesquels il est possible de contrecarrer la domination médiatique. Cependant, ces réseaux sont bien souvent, comme leur nom le dit... des réseaux. En effet, même sur internet, il est difficile de sortir de notre «cercle fermé», puisque les militants finissent par s'alimenter essentiellement entre eux.

À l'avenir, ici comme en Écosse, il faudra que le mouvement indépendantiste trouve le moyen de mettre en place et d'appuyer des initiatives médiatiques d'importance. Il avait été notamment question, dans les dernières années, de mettre en place une radio pro-indépendance. Qu'est-ce qu'on attend? Par ailleurs, il est à noter que dans quelques semaines sera lancée la plateforme Ecranlibre.tv, une initiative du Réseau Cap sur l'indépendance appuyée par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, par laquelle il sera possible de réaliser des émissions de télévision via les studios mis à la disposition de quiconque soumet un projet soutenable et intéressant. Les interactions seront également possibles via le format «vlog». Bref, le dossier est à suivre, mais chaque militant indépendantiste devrait avoir la responsabilité de soutenir une initiative de la sorte.

4.L'organisation électorale

En 1995, le Québec a enregistré un taux record de participation électorale au niveau mondial avec 94% de ses électeurs inscrits ayant voté au référendum. Plus important encore, ce taux de participation était à peu près équivalent dans toutes les régions du Québec. Cela signifie que partout, tant les fédéralistes que les indépendantistes avaient réussi à mobiliser leurs électeurs lors du jour J. C'est ce qu'on appelle, dans le jargon électoral, une «sortie de vote» réussie. Pour ce faire, il fallait être bien structuré : c'est là que l'organisation électorale vient jouer un rôle-clé. Selon mon expérience d'observatrice du référendum du 18 septembre dernier, c'est toutefois à ce point-ci que le bât a blessé en Écosse. En effet, pour avoir participé au Jour J à Édimbourg, j'ai constaté que le YES Scotland ne disposait pas de structure pour «faire sortir son vote». La seule stratégie déployée consistait en l'acheminement d'un carton de rappel aux portes des citoyens, et ce, sans distinction des sympathisants ou des adversaires. Ainsi, en plus d'être non efficace (comment penser réussir à faire toutes les portes en une seule journée?), cette stratégie était contre-productive puisqu'elle risquait d'inciter des partisans du NON à aller voter, bénéficiant de ce rappel du camp du OUI.

Le mouvement indépendantiste québécois dispose donc, à ce chapitre, d'une bonne longueur d'avance sur son pendant écossais, mais il n'arrive pas encore à la cheville des organisations étasuniennes en termes de techniques de sortie de vote et de pointage par microciblage.

5.Le nationalisme

Bien que mon expérience en Écosse m'ait prouvé que les indépendantistes écossais ne veulent surtout pas être associés au nationalisme de quelque forme qu'il soit, il faut reconnaître qu'une part importante de nationalisme se retrouvait et continue de se retrouver au cœur de leur mouvement. « Scotland's future in Scotland's hands », le slogan principal de la campagne du OUI, n'est certainement pas dénué de sentiment national. Cependant, il s'agit d'un nationalisme davantage civique qu'identitaire. Pourtant, l'Écosse dispose d'un héritage culturel différent du reste du Royaume-Uni, à l'instar du Québec dans le Canada. Les indépendantistes écossais ont toutefois compris que ceux des leurs ayant un attachement particulier à leur culture distincte voteraient naturellement pour le OUI au terme de la campagne référendaire. Ainsi, puisqu'instinctivement mobilisateur, l'argumentaire identitaire n'était pas nécessaire à brandir.

Le cas québécois est certes différent de par l'enjeu linguistique - inexistant en Écosse - mais encore une fois, les défenseurs de la langue française savent a priori que l'indépendance du Québec est le meilleur moyen de préserver celle-ci. Ce sont des électeurs pratiquement acquis à la cause indépendantiste. C'est donc un combat qu'il m'apparaît important de mener, mais en parallèle pour plus d'efficacité.

En effet, il faut reconnaître que l'un des ascendants du mouvement indépendantiste écossais sur le mouvement indépendantiste québécois est sa capacité à rejoindre les minorités. Quelques semaines avant le référendum, un sondage montrait que les Écossais d'origine asiatique, le groupe immigrant le plus important en Écosse, appuyaient l'indépendance à plus de 60%. Quant aux Écossais d'origine anglaise, plus du tiers comptait voter OUI le 18 septembre dernier. C'est énorme. Imaginons la situation transposée au Québec, où une portion presque majoritaire des nouveaux arrivants serait favorable à l'option indépendantiste, tout comme 30% des anglophones. Le OUI remporterait dès lors à coup sûr un 3e référendum sur l'indépendance. La formule n'est toutefois pas magique. Il faut parler à ces groupes, connaître leurs aspirations et les intégrer dans notre projet de pays. Cela nécessite certes un travail colossal, surtout après l'épisode de la Charte des valeurs québécoises, mais il est à mon sens plus que nécessaire. Qu'on le veuille ou non, compte tenu de l'évolution démographique du Québec, cela représentera bientôt une condition essentielle pour obtenir un OUI à un référendum dans le futur.

En conclusion, une fois ces enseignements mutuels intégrés, je crois que les Québécois et les Écossais sauront se relever les manches et aller de l'avant avec leurs aspirations. Après tout, d'une façon ou d'une autre, la liberté finit toujours par trouver son chemin... mais un chemin dégagé sera toujours plus facile à emprunter.

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